Tourné à la fin de l’année 1948, Le Retour à la vie est une authentique curiosité, une œuvre unique dans le cinéma français de l’après-guerre et qui a d’ailleurs suscité l’intérêt de plusieurs historiens attachés à l’étude de la représentation de la guerre et de ses séquelles au cinéma.

Le Retour à la vie est un film noir dont l’initiative revient au producteur Jacques Roitfeld, à qui l’on doit notamment Copie Conforme de Jean Dréville avec Louis Jouvet. Marqué par le retour à la liberté de milliers de soldats et de déportés entre 1944 et 1945, Jacques Roitfeld a été sensible au douloureux problème de leur réinsertion dans la vie civile par l’extrême difficulté de la reprise d’une activité normale.
En effet, en quatre ans d’absence, bien des choses avaient changé pour ces soldats ou ces civils, leurs conjoints les avaient parfois abandonnés, leurs familles s’étaient trouvées dispersées, leurs biens dilapidés et le retour du prisonnier parmi les siens s’était avéré bien plus difficile qu’ils n’avaient pu l’imaginer.
Cet épisode méconnu de l’immédiat d’après-guerre est au cœur de Retour à la vie par deux fois novateur. D’abord c’est la première fois dans le cinéma français qu’est évoquée la déportation, sujet alors tabou et pas seulement au cinéma. Ensuite d’un point de vue plus anecdotique, Retour à la vie est le premier long métrage français à sketches réalisés par différents cinéastes. Auparavant, chaque sketch était réalisé par un unique metteur en scène. Julien Duvivier en avait fait une de ses spécialités (Carnet de bal). Le producteur Jacques Roitfeld a donc réussi à convaincre une partie de la fine fleur du cinéma français de partager l’affiche, ce qui n’était pas évident vu les différences de personnalité et des caractères des uns et des autres.



Le premier sketch est réalisé par André Cayatte avec le scénariste Charles Spaak du Retour d’Emma. A vrai dire, cette première histoire est la seule du film qui traite de la déportation, les autres évoquant toutes des retours de prisonniers de guerre. Ouvrir ainsi le film revenait à frapper le spectateur d’un violent uppercut. La vision du corps terriblement amaigri de Tante Emma choqua de nombreux spectateurs qui croyaient avoir à faire à une véritable déportée alors qu’il ne s’agissait que d’une comédienne choisie pour son extrême maigreur. La scène fait donc son effet et l’intrigue est l’une des plus grinçantes. De retour de Dachau où elle a subi les pires sévices, Emma revient chez elle pour y mourir. Sa tranquillité est vite troublée par ses neveux et nièces qui jouent les attentionnés pour mieux s’approprier de sa fortune. Evidemment André Cayatte montre ici des Français ordinaires, ces Français qui sont restés chez eux en se plaignant de leur condition de vie pendant que d’autres agonisaient dans les camps. Une image triste et sordide, Bernard Blier est de ses neveux sans scrupule, répugnant, assaillant sa tante sur son lit de mort et qui voit bien vite où est son intérêt. On pourra saluer le courage du comédien qui a accepté de jouer un tel salaud quand on sait qu’il fut lui-même prisonnier pendant la guerre puis interné dans un camp où il est ressorti tout aussi amaigri que le personnage de Tante Emma.
LE RETOUR DE TANTE EMMA d’André Cayatte
Madame de Revinsky : Tante Emma
Héléna Manson : Simone
Jane Marken : Tante Berthe
Nane Germon : Henriette
Bernard Blier : Gaston
Lucien Nat : Charles



Le deuxième sketch intitulé Le Retour d’Antoine est signé Georges Lampin, un réalisateur qui a sombré dans un oubli absolu tant sa carrière de cinéaste ne fut marquée par aucun coup d’éclat. Pourtant, ici, il se distingue d’une bien curieuse façon. Le Retour d’Antoine conte l’histoire d’un libéré qui trouve une place de barman de nuit dans un hôtel réquisitionné par un bataillon de séduisantes Wac de l’armée américaine. Il est beau garçon et les soldatesses se disputent ses faveurs tout au long de la nuit. On est loin du premier sketch. L’acteur engagé pour jouer le barman Antoine est François Perrier qui au cinéma a une étiquette de comique, le parti pris du cinéaste est pour le moins surprenant, c’est vaudeville à tous les étages. A travers ce parcours de barman de nuit qui devient la coqueluche de ces dames, on devine mal les intentions de l’auteur si tant est qu’il y en ait eu une. S’agissait-il d’un intermède de décompression chargé de remettre le spectateur de ses émotions du premier sketch ?
LE RETOUR D’ANTOINE de Georges Lampin
François Périer : Antoine
Patricia Roc : Lieutenant Evelyne
Tanya Chandler : Capitaine Betty
Gisèle Préville : Lilian
Janine Darcey : Mary
Max Elloy : Le vieux barman



Avec Le Retour de Jean, le film retrouve son ton de départ, réalisé par Henri Georges Clouzot, le troisième sketch, est sans nul doute le plus dur de tous. Ancien prisonnier de guerre, Jean, interprété par Louis Jouvet traîne sa souffrance dans une pension de famille où les pires difficultés à renouer avec la vie communautaire. Il se tient délibérément à l’écart des autres pensionnaires qui ont tôt fait de le marginaliser. Un soir, il recueille dans sa chambre un tortionnaire allemand en fuite et grièvement blessé. Il le sauve des mains de la police, profite de la situation pour se lancer dans un interrogatoire sauvage afin de découvrir comment un homme en apparence ordinaire a bien pu devenir bourreau et finit par le tuer de ses propres mains. Fidèle à ses habitudes, Clouzot impose sa vision pessimiste de la nature humaine, il met en scène des personnages qui portent en eux le bien et le mal qui ne sont pas sans rappeler les protagonistes du Corbeau et de Quai des Orfèvres. Le personnage de Jean met en évidence ce que personne ne veut voir : la banalité du mal. Clouzot révèle la part d’ombre qui est en nous et porte une explication à la victoire du nazisme. Tout être ordinaire plongé dans une situation qui lui est favorable est parfaitement à même de devenir un salop. Comme l’écrira François Chalais : « Encore une fois c’est Clouzot le premier qui a le courage de poser de telles questions, qui a le courage de provoquer la réflexion des gens dans un sens où elle hésite d’ordinaire à avancer. » Ce sketch sera évidemment le moins bien reçu de la critique qui supporte mal que le cinéaste enfonce avec une évidente délectation des doigts rouillés dans une plaie purulente. Et tous, de condamner l’amoralisme du film et la dégénérescence où Clouzot semble se complaire.
LE RETOUR DE JEAN d’Henri-Georges Clouzot
Louis Jouvet : Jean Girard, blessé de guerre
Monette Dinay : Juliette
Jeanne Pérez : La mère de famille
Germaine Stainval : Une pensionnaire
Cécile Dylma : La serveuse
Noël Roquevert : Le commandant
Jean Brochard : L’hôtelier
Léo Lapara : Bernard, le médecin
Maurice Schutz : Le vieux
Jo Dest : L’Allemand



Les deux derniers sketchs sont l’œuvre d’un même cinéaste Jean Dréville qui fut le plus critique par rapport aux faux résistants et aux comités d’épuration, le cinéaste n’a d’ailleurs pas caché que tel était son propos dans Le Retour de René qu’interprète son acteur fétiche : Noël Noël. Jean Dréville choisit pour faire passer la pilule de son fiel une histoire qui ressemble de très près à une comédie légère. René Martin est le quinze cent millième prisonnier rapatrié en France, il est accueilli par le ministre qui le félicite et rentre chez lui pour apprendre que sa femme est partie avec un autre et que son appartement est occupé par des sinistrés. Il se réconfortera vite dans les bras d’une jeune veuve séduisante.
LE RETOUR DE RENÉ de Jean Dréville
Noël-Noël : René Martin
Madeleine Gérôme : La jeune veuve
Suzanne Courtal : La concierge
Marie-France : La gamine
Jean Croué : L’oncle Hector



Le ton est léger mais mordant tout comme le dernier sketch intitulé Le Retour de Louis. Ce film compte l’histoire d’un prisonnier qui revient marié avec une Allemande, cet homme c’est Serge Reggiani. Sa famille et son entourage refusent de l’accepter jugeant le couple scandaleux. « Je me suis inspiré d’un événement qui s’est passé dans mon village, dira plus tard Jean Dréville à propos d’elle, puisque la fille qui voulait se suicider était ma femme de ménage, à l’époque une allemande ».
LE RETOUR DE LOUIS de Jean Dréville
Serge Reggiani : Louis
Cécile Didier : Mme Froment
Elisabeth Hardy : Yvonne
Anne Campion : Elsa
Paul Frankeur : Le maire
Sorti sur les écrans parisiens le 14 septembre 1949, le film est dans l’ensemble très mal accueilli par la presse de tous bords et remporte un succès très relatif. On n’aime pas le pessimisme, l’amertume et la dérision qui caractérisent le film. Après l’exaltation suscitée par la Libération de Paris et la reprise d’activité des entreprises à leur propre compte, l’heure est à la reconstruction, au ralliement et au « baby-boom ». Le douloureux discours de Retour à la vie ne pouvait évidemment satisfaire ceux qui avaient décidé de tout oublier pour mieux appréhender l’avenir. Conclusion : en 1949, les Français ne sont pas prêts pour un tel spectacle.





LE CINÉMA FRANÇAIS SOUS L’OCCUPATION
Dès 1940, les Allemands entendent contrôler l’industrie cinématographique de la France occupée, et, surtout, favoriser l’exploitation de leurs propres films. Le cinéma français connaîtra pourtant une exceptionnelle vitalité. En juin 1940, après les quelques semaines de combats qui suivirent ce que l’on a appelé « la drôle de guerre », les Allemands occupent Paris, Le gouvernement du maréchal Pétain s’installe à Vichy, au sud de la Loire, et la France, coupée en deux, peut apparaître désormais comme un élément de l’ »Europe nouvelle » en cours d’édification…

LES RISQUES DE L’OCCUPATION
En continuant à tourner dans la France occupée, les cinéastes s’exposaient à des risques divers : encourir les foudres de la censure national-socialiste, ou au contraire se voir accusés de « collaboration ».

LE CINÉMA FRANÇAIS DE L’APRÈS-GUERRE
Tout de suite après la guerre, le cinéma français sembla revenir à ses thèmes traditionnels. Mais de nouveaux auteurs et de nouveaux ferments laissaient déjà présager le changement décisif qui allait intervenir.

VERS UN NOUVEAU CINÉMA (1949 – 1959)
Entre 1941 et 1944, en moins de trois ans, une vingtaine de cinéastes nouveaux avaient fait leurs débuts, dont cinq ou six de premier plan. Dans les quinze ans qui suivirent, Il n’en fut pas de même, et il fallut attendre 1959, année de l’apparition de la nouvelle vague, pour assister à une floraison comparable à celle de l’Occupation.

LES ANNÉES D’INCERTITUDE DU CINÉMA FRANÇAIS
La confusion politique et idéologique qui, succédant à la fin de la guerre d’Algérie (1962), débouchera sur les événements de mai 1968, va de pair avec un essor économique sans précédent. Parallèlement, la crise du cinéma prend une ampleur inconnue jusque-là. Subissant le choc de la télévision et la concurrence des autres loisirs la fréquentation cinématographique s’effondre.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
Catégories :Le Film français
Je viens de lire avec intérêt votre article sur Retour à la vie, vu hier soir.
Mais, que diable, faites un effort en terme d’orthographe. Utilisez un correcteur, svp.
Bien à vous
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