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LOUIS JOUVET, une personnalité, trente-deux personnages

Il peut sembler paradoxal d’entreprendre une publication sur Louis Jouvet au cinéma. Il fut avant tout homme de théâtre, et cet engagement total de son intelligence, de son savoir, de toute sa personne parait exclure de sa part toute approche, même furtive, de cet art cinématographique qui, de son temps, était déjà « une écriture ». Pourtant, il a tourné trente-deux films… Mais lorsqu’il apparut pour la première fois au cinéma, il avait 46 ans (Topaze, première version, en 1933), c’est-à-dire à une époque où sa gloire de comédien et d’animateur dramatique était acquise et éclatante.  C’est donc un homme d’une maturité artistique accomplie, d’une notoriété et mondialement reconnue qui va débuter au cinéma, et dans un rôle consacré déjà par le succès, mais qu’il n’a jamais joué. Pourquoi un tel retard ? On est évidemment tenté de répondre qu’avant 1933 le cinéma présentait peu d’attrait pour un comédien aussi profondément enraciné que lui dans le théâtre. Le cinéma muet avait ses stars, étrangères pour la plupart à l’art dramatique, et dans les deux ou trois premières années de son existence le film parlant fit une large place à la comédie musicale, à l’opérette, à ces « movies show » style Broadway melody ou Our dancing daughters (Les Nouvelles vierges) qui déclenchèrent en Europe les Congrès s’amuse et les Chemin du paradis… Que serait donc allé faire dans ces délectables « friandises cinématographiques » le créateur de Siegfried, le continuateur, à la Comédie des Champs-Elysées, du Vieux-Colombier de Copeau ? Pourtant ce n’est peut-être pas par manque d’intérêt pour lui que Louis Jouvet se tint éloigné du cinéma jusqu’à 46 ans : c’est tout simplement parce que jusque-là il n’eut pas le temps de s’y intéresser…

QUAI DES ORFÈVRES – Henri-Georges Clouzot (1947)

« Rien n’est sale quand on s’aime », fera dire Clouzot à l’un de ses personnages dans Manon. Dans Quai des orfèvres, déjà, tout poisse, s’encrasse, sauf l’amour, qu’il soit filial, conjugal ou… lesbien. En effet, il n’y a pas que Brignon, le vieux cochon, qui est assassiné dans ce chef-d’œuvre. Pendant qu’on s’interroge sur l’identité du coupable, Clouzot trucide tranquillement la censure. Il faut entendre l’inspecteur Antoine (Louis Jouvet, prodigieux) dire à Dora, la blonde cérébrale : « Vous êtes un type dans mon genre… » Car si Dora veille sur Jenny Lamour, la Mimi Pinson ambitieuse, et sur Maurice, son pauvre bougre de mari, c’est par amour pour Jenny. L’énigme regorge de fausses pistes et de faux témoignages parce-que chacun, si veule qu’il puisse paraître, est prêt à se sacrifier pour l’être aimé. Magnifique hommage aux petites gens de cabaret, Quai des orfèvres est aussi une peinture de mœurs d’une grande tendresse cafardeuse : même si le cœur a ses raisons, la loi lui donne tort. Clouzot le regrette et il met cette réplique, à la fin, dans la bouche d’un chauffeur de taxi : « Je vous fais bien mes excuses, mais on n’est pas les plus forts. » [Guillemette Odicino – Télérama (août 2016)]

UN REVENANT – Christian-Jaque (1946)

Ce revenant qui, la quarantaine franchie, continue à hanter la mémoire, comment le conjurer ? Spectre à malices, il se drape dans un suaire aux changeantes couleurs. On croit le saisir et, léger, il s’esquive. Il ébouriffe, fait des pieds de nez, tire la langue. Au claquement des répliques, son drame bourgeois vire au vaudeville. Le vinaigre de la satire assaisonne la sauce policière. La comédie fuse dans le crépitement des mots d’auteur. Les comédiens rompus à ces brillants exercices triomphent dans la virtuosité. Le réalisateur, célèbre pour ses exercices de voltige, a freiné ses travellings et s’est borné à prêter l’oreille pour mettre en valeur un texte pince-sans-rire où parfois, les larmes affleurent. Le dialoguiste qui venait de fustiger les bourgeois coincés et couards de Boule de suif poudré, cette fois, de mélancolie à fleur de peau les échanges les plus cinglant, voire les plus sanglants.

LE RÉALISME DÉPRESSIF

On a beaucoup écrit depuis une quarantaine d’années sur le réalisme fantastique de cet avant-guerre. On en a répertorié les figures : la thématique « chienne de vie », on n’échappe pas à son destin, et l’esthétique : les rues sombres, les ports, les pavés mouillés, la musique triste et belle de Maurice Jaubert, et les mugissements embrumés des sirènes… Ce sont les sirènes des bateaux qu’on ne prend pas, à Alger ou au Havre, puis, après la guerre (car le genre vivra longtemps, de plus en plus convenu, jusqu’à s’épuiser dans les « série noire » des années 1950), à Anvers ou à Hambourg – ou bien les sirènes des usines où on ne travaille plus.
Quai des brumes, Gueule d’amour, Hôtel du Nord, La Bête humaine, Le Jour se lève… Ce n’est certes pas chaque fois le même film. Mais c’est la même désespérance, la même conscience de l’inutilité tragique de la volonté. L’amour est un leurre : il prolonge l’agonie et rend la mort – l’arrachement, l’exclusion – encore plus difficile.
[Jean Pierre Jeancolas – Le Cinéma des français (15 ans d’années trente : 1929 /1944) – Ed. Nouveau Monde (2005)]

LA FIN DU JOUR – Julien Duvivier (1939)

Le générique, déjà, serre le coeur : des vieillards assis dans un grand couloir, comme dans l’antichambre de la mort. Des vieux pas comme les autres : des comédiens nécessiteux et oubliés. Avec Poil de Carotte, c’est sans doute le film le plus personnel de Julien Duvivier : dans sa jeunesse, il avait débuté sur les planches et éprouvé la déconvenue — un humiliant trou de mémoire en scène, entre autres. Cabrissade, le cabot, la doublure qui n’est jamais entrée dans la lumière, ce représentant des « petits, des sans-grades », c’est un peu lui. Dans le rôle, Michel Simon est absolument bouleversant. Face à lui, Saint-Clair (Louis Jouvet), narcissique et érotomane, confond le théâtre et la vie, jusqu’à se persuader qu’une jeune première peut encore mourir d’amour pour lui. Son double inversé, Marny le lucide, l’amer (Victor Francen), l’acteur au grand talent reconnu par ses pairs, souffre de rester inconnu du public. A travers ces trois figures, mais aussi chaque visage de pensionnaire de l’asile en faillite, Julien Duvivier, qui passait pourtant pour un misanthrope, célèbre la force du collectif face à la cruauté du destin. Le cinéaste rend l’hommage le plus poignant qui soit aux saltimbanques. Ces êtres à part qui, comme le dit Michel Simon dans une superbe supplique, méritent tout de même quelques égards pour nous avoir, le temps d’un soir, d’une représentation, fait oublier le tragique de nos propres vies. [Guillemette Odicino – Télérama (octobre 2016)]

DRÔLE DE DRAME – Marcel Carné (1937)

Drôle de Drame sort le 20 octobre 1937, au cinéma Le Colisée aux Champs-Élysées, le même jour que Regain de Marcel Pagnol. À l’affiche également quelques mètres plus loin Carnet de de Bal de Julien Duvivier et Gueule d’amour de Jean Grémillon. Avec le recul, l’année 1937 se révèle l’une des plus riches de notre histoire cinématographique. Marquée également par les sorties de Faisons un Rêve de Sacha Guitry, de La Grande Illusion de Jean Renoir et de Pépé le Moko de Julien Duvivier. Drôle de Drame réunit l’une des plus belles distributions du moment, Françoise Rosay, Michel Simon, Louis Jouvet, Jean-Louis Barrault, Jean-Pierre Aumont, sous l’autorité d’un des plus fameux tandems du cinéma français, on le sait, Jacques Prévert écrit, Marcel Carné réalise.

HÔTEL DU NORD – Marcel Carné (1938)

« Dans un hôtel situé sur le bord du Canal Saint-Martin à Paris, on célèbre une communion. Les propriétaires et clients de l’établissement fêtent l’événement autour d’un repas chaleureux. Un couple de jeunes amoureux (Pierre et Renée) s’installe dans une des chambres. Au cours de la nuit, un coup de feu retentit… » C’est ainsi que démarre l’intrigue d’Hôtel du Nord, merveilleux film d’ambiance dont le personnage principal est bien entendu cet hôtel du canal parisien. Sur un scénario de Jean Aurenche et des dialogues de Henri Jeanson, Marcel Carné décrit avec autant de minutie que de passion les hommes et les femmes qui logent dans l’hôtel ou ses environs. Au milieu des décors imaginés par Trauner, on croise un patron paternaliste, un policier raciste, de jeunes amoureux naïfs, un éclusier cocu, et un mac accompagné de sa protégée.

MARCEL CARNÉ 

Marcel Carné illustre parfaitement cette école – ou cette tendance – dite du « réalisme poétique », qui marqua si profondément le cinéma français de la fin des années 30. Une tendance dont on retrouve l’influence dans les domaines les plus divers de la vie artistique, et qui donnera aux œuvres de cette période troublée de l’avant-guerre une atmosphère tout à fait caractéristique. Pour sa part cependant, Carné préférait parler de « fantastique social », reprenant ainsi une expression de Pierre Mac Orlan.

LES BAS-FONDS – Jean Renoir (1936)

L’action des Bas-fonds se situe à la fois dans la Russie des tsars et la France du Front populaire. Renoir n’a pas cherché à tricher. Seuls les noms, les costumes et quelques anecdotes de scénario rappellent le pays de Gorki. Le « réalisme extérieur » ne compte pas. L’auteur du Crime de monsieur […]