Histoire du cinéma

ALEXANDRE TRAUNER

Superstar parmi les chefs décorateurs, Alexandre Trauner a collaboré avec les plus grands cinéastes d’Europe et d’Amérique, mais ce sont les fabuleux décors créés pour Marcel Carné et Billy Wilder qui l’ont fait entrer au panthéon du cinéma.  

De son vrai nom Alexander Trauner, le futur décorateur naît en 1906 à Budapest, ville qui fait encore partie à l’époque de l’Empire austro-hongrois. Après des études à l’école des Beaux-Arts, le jeune homme s’oriente vers le monde du théâtre et du cinéma. Souffrant de l’antisémitisme qui sévit à l’époque dans son pays, il décide en 1929 de se rendre à Paris, capitale dont le rayonnement culturel le fascine. Trauner ne tarde pas à s’y faire une place, côtoyant de nombreux artistes. Choisi par le grand directeur artistique Lazare Meerson pour le seconder, le jeune homme travaille aux décors de Quatorze juillet de René ClairZouzou de Marc Allégret (qui se trouve être l’un des premiers films de Gabin) et La Kermesse héroïque de Jacques Feyder. Marc Allégret fera à nouveau appel à lui pour Sans famille et pour Gribouille, mais c’est avec un débutant du nom de Marcel Carné que Trauner va entamer sa collaboration la plus décisive.  

Réalisme poétique

En 1937, Alexandre Trauner se voit en effet confier les décors de Drôle de drame, film écrit par son ami Jacques Prévert. Carné, dont c’est la seconde réalisation, s’avère si enthousiasmé par le travail de Trauner qu’il ne voudra plus d’autre décorateur ; celui-ci va donc participer coup sur coup aux chefs d’œuvre que sont Quai des brumes, Hôtel du Nord et Le Jour se lève. Dans chacun de ces films, les magnifiques décors construits en studio contribuent tellement à l’expressivité de l’ensemble que Trauner sera considéré comme l’un des créateurs de cette fameuse école désignée sous le nom de « Réalisme poétique » ; au même titre que le scénariste Prévert, ou les cinéastes Carné et Grémillon. Car pour lui, l’immeuble du Jour se lève doit, tout autant que le jeu de Gabin ou la musique de Maurice Jaubert, exprimer l’isolement dans lequel se débat le héros… Cette sensibilité, doublée d’une grande virtuosité technique, vont faire de Trauner le plus grand décorateur de son temps. Obligé de se cacher pendant l’Occupation, il n’en conçoit pas moins les somptueux décors des Visiteurs du soir et des Enfants du paradis. Après-guerre, il restera le décorateur attitré de Carné, signant quatre autres films avec le réalisateur.  

Grands espaces

Au tournant des années 1950, la carrière d’Alexandre Trauner prend une dimension internationale. Tout en continuant à collaborer en France avec Marc Allégret (En effeuillant la marguerite) ou son frère Yves (Manèges), le décorateur entame une carrière américaine en créant pour Orson Welles le vaste palais d’Othello. Suivront Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, La Terre des Pharaons (Land of the Pharaohs), superproduction d’Howard Hawks, et Ariane (Love in the Afternoon), de Billy Wilder, cinéaste avec qui Trauner va nouer une grande amitié (voir ci-dessous). Hollywood devient même sa nouvelle patrie et, de Stanley Donen à John Huston, en passant par Gene Kelly et Fred Zinnemann, de nombreux réalisateurs se disputent les talents de cet artiste venu d’Europe. Mais au milieu des années 1970, Trauner préfère rentrer en France, où il va collaborer à des films aussi différents que Monsieur Klein et Don Giovanni de Joseph Losey (qui lui valent chacun un César), Tchao Pantin, Autour de minuit, ou encore Subway (pour lequel il recevra son troisième César). Alexandre Trauner dessinera ses derniers décors en 1990 pour Le Voleur d’arc-en-ciel, avant de disparaître trois ans plus tard.  [Collection Gabin –  Eric Quéméré (2005)]

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Alexandre Trauner sur le plateau d’IRMA LA DOUCE de Billy Wilder (1963)
Alex & Billy

Pour le public hexagonal, le nom de Trauner évoque immédiatement l’univers de Carné, mais on sait moins que le décorateur a connu aux Etats-Unis une collaboration tout aussi fructueuse. Car s’il a tourné neuf films avec le cinéaste français, il a également  participé à huit films de Billy Wilder et non des moindres  : La Garçonnière (The Apartment) lui vaut même un Oscar en 1961. Trauner concevra également des décors remarquables pour Ariane (Love in the Afternoon) ou Embrasse-moi idiot (Kiss Me, Stupidt Kiss Me, Stupid), mais c’est pour Irma la douce qu’il livrera son plus grand tour de force, en reconstituant dans les studios de la Warner l’ancien quartier des Halles de Paris.  


LE JOUR SE LÈVE – Marcel Carné (1939)
Le Jour se lève raconte la destruction d’un homme, d’un homme simple pris au piège, humilié, condamné à mort par un salaud. Il fallait cette architecture rigoureuse, du coup de feu initial du meurtre au coup de feu final du suicide, pour que se mettent en place les mâchoires du piège qui broie François (Jean Gabin). On ne lui laisse pas une chance. Le combat est inégal, il n’y a pas de justice. Un pouvoir aveugle et brutal vient parachever ce que le cynisme de Valentin (Jules Berry) avait commencé : le peloton anonyme des gardes mobiles repousse les ouvriers solidaires et piétine la fragile Françoise (Jacqueline Laurent).

DRÔLE DE DRAME – Marcel Carné (1937)
Drôle de Drame sort le 20 octobre 1937, au cinéma Le Colisée aux Champs-Élysées, le même jour que Regain de Marcel Pagnol. À l’affiche également quelques mètres plus loin Carnet de de Bal de Julien Duvivier et Gueule d’amour de Jean Grémillon. Avec le recul, l’année 1937 se révèle l’une des plus riches de notre histoire cinématographique. Marquée également par les sorties de Faisons un Rêve de Sacha Guitry, de La Grande Illusion de Jean Renoir et de Pépé le Moko de Julien Duvivier

LE QUAI DES BRUMES – Marcel Carné (1938)
« T’as de beaux yeux, tu sais ! ». D’une simplicité presque banale, ces quelques mots suffisent pourtant à faire ressurgir tout un pan du cinéma français, et avec lui les figures qui l’ont bâti. À commencer par Jean Gabin, dont la célèbre phrase est devenue l’un des signes distinctifs. Les imitateurs du comédien l’ont d’ailleurs tellement galvaudée qu’en revoyant le film, on est presque surpris d’entendre Gabin la murmurer d’un ton si juste. Mais la réplique évoque évidemment aussi celle à qui s’adresse ce compliment, et dont le regard, dans la lumière irréelle du chef-opérateur Eugen Schufftan, brille de manière admirable. 

HÔTEL DU NORD – Marcel Carné (1938)
Hôtel du Nord est d’abord un film de producteur, celui de Un hôtel modeste au bord du canal Saint-Martin… Inutile de raconter l’histoire, ce qui compte, évidemment, c’est… l’atmosphère de ce quatrième film de Marcel Carné. Au départ, il est embauché par la société de production Sedi pour tourner un film avec la star du studio, la jeune et douce Annabella. On ne lui donne qu’une directive : faire un Quai des brumes, mais un Quai des brumes moral…

LES PORTES DE LA NUIT – Marcel Carné (1946)
Après Les Enfants du paradis et quelques chefs-d’œuvre, le tandem Marcel Carné-Prévert se reconstitue pour un nouveau film, Les Portes de la nuit, avec Jean Gabin et Marlène Dietrich en vedettes. Mais au dernier moment, ils abandonnent le projet. Ils vont être remplacés par deux comédiens quasi-débutants : Yves Montand et Nathalie Nattier.

DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES – Jules Dassin (1955)
Sorti sur les écrans français le 13 avril 1955, Du rififi chez les hommes constitue, en raison de la nationalité américaine de son réalisateur, un cas particulier au sein du film de gangsters français des années 1950. Victime de la chasse aux sorcières maccarthyste, le cinéaste Jules Dassin est contraint d’interrompre sa carrière hollywoodienne après avoir achevé le tournage de Night and the City (Les Forbans de la nuit, 1950) en Angleterre. Il émigre peu de temps après en France, et se voit proposer en 1954 d’écrire et de réaliser l’adaptation de Du rififi chez les hommes.

IRMA LA DOUCE – Billy Wilder (1963)
Un ratage, selon Wilder, mais le public en fit un de ses plus gros succès. Shirley MacLaine joue avec autorité l’archétypale prostituée au grand cœur. Lemmon s’attaque hardiment au double rôle de Nestor, l’agent de police français qui travaille dans le quartier chaud tout en se faisant passer pour « Lord X  », client d’Irma. Le film est paillard et pittoresque, plein de surprises, plus charmant et sexy que le réalisateur ne veut bien l’admettre. 


MARCEL CARNÉ 
Marcel Carné illustre parfaitement cette école – ou cette tendance – dite du « réalisme poétique », qui marqua si profondément le cinéma français de la fin des années 30. Une tendance dont on retrouve l’influence dans les domaines les plus divers de la vie artistique, et qui donnera aux œuvres de cette période troublée de l’avant-guerre une atmosphère tout à fait caractéristique. Pour sa part cependant, Carné préférait parler de « fantastique social », reprenant ainsi une expression de Pierre Mac Orlan.

BILLY WILDER
Après une brillante carrière de scénariste, Billy Wilder, sans nul doute le meilleur disciple de Lubitsch, affronta la mise en scène avec une maîtrise éblouissante. On lui doit, en effet, quelques-uns des films qui marqué plusieurs décennies. 



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