Irena, une jeune dessinatrice, fait la connaissance d’Oliver au zoo de Central Park. Ils se marient, mais une malédiction la terrorise : sur le coup du désir ou de l’émotion, les femmes de sa lignée se transformeraient en panthère… En 1942, Val Lewton, producteur de films fantastiques chez RKO, confie à Jacques Tourneur une étrange histoire de désir et d’horreur. Cat People (La Féline) se tourne en vingt et un jours, et Simone Simon, la petite Française, lui prête son minois énigmatique. A cause d’un manque de moyens, mais surtout d’une volonté délibérée, le réalisateur innove. Jamais la chair n’apparaît, ni dénudée ni torturée. Tout est suggéré. Le film peaufine une subtile métaphore de la sexualité, vécue comme un dangereux mystère, mélange de fascination et de culpabilité. Reflet aussi, d’une société de sa patte griffue, Cat people égratigne une Amérique qui venait d’entrer en guerre après des années d’isolationnisme, effrayée et enivrée par sa puissance et son inexorable évolution. Discours insolite sur les méandres de l’inconscient, l’oeuvre connut un succès considérable, et suscita en 1982 un remake racoleur avec Nastassja Kinski. [Cécile Mury – Télérama]

Au cours d’une « party » hollywoodienne, Charles Koerner, le nouveau directeur de production de la RKO, entend un invité suggérer un titre inédit de film : « Cat People ». Il est séduit. A tel point que le lendemain, il déclare à ses collaborateurs : « Et maintenant boys, écrivez-moi un scénario qui puisse s’appeler Cat People ! »

Ainsi est né Cat people , le premier et le plus célèbre des films fantastiques à petit budget de la RKO produits par Val Lewton, maître incontesté du genre. Au début pourtant, Lewton est sceptique. Néanmoins il estime – d’accord en cela avec Koerner – que le public est plus que saturé de vampires, de loups-garous ou autres monstres style Frankenstein. Il a également une raison toute personnelle de s’intéresser à ce sujet inédit : l’aversion innée qu’il éprouve pour les chats…

Le premier soin de Lewton sera de s’entourer de collaborateurs de talent. Avant même d’avoir choisi un scénario, il a décidé d’en confier la mise en scène à son ami Jacques Tourneur (le fils du réalisateur français Maurice Tourneur), qui est installé à Hollywood depuis 1934. Les deux hommes se sont connus – et appréciés – pendant le tournage de A Tale of two cities (Le Marquis de Saint-Evremond, 1935) : Tourneur était metteur en scène de seconde équipe, tandis que Lewton, grand lecteur de Dickens, était conseiller littéraire et historique.

Le producteur fait également appel au scénariste DeWitt Bodeen, avec lequel il a travaillé pour David O. Selznick à la MGM. Enfin, on lui recommande comme chef monteur Mark Robson : l’ancien assistant monteur de Citizen Kane (1940) et de The Magnificent Ambersons (La Splendeur des Amberson, 1942), relégué dans les productions de série « B » depuis qu’Orson Welles est en disgrâce à la RKO, se révélera toujours un excellent conseiller technique pour Lewton, qui lui confiera par la suite plusieurs réalisations.

Lewton et DeWitt Bodeen se plongent dans la littérature consacrée aux félins. Le producteur songe un instant à adapter une nouvelle d’Algernon Blackwood, « Ancient Sorceries », mais il renonce assez vite à ce projet en raison du contexte trop historique du récit, qui empêcherait, selon lui, le public de s’identifier totalement aux personnages. Entre-temps d’ailleurs, des dessins de mode que lui a montrés sa sœur lui inspirent un nouveau canevas : un Américain moyen s’éprend d’une jeune étrangère névrosée ; celle-ci croit descendre d’une secte moyenâgeuse de sorcières des Balkans, qui avaient la faculté de se transformer en panthères pour assouvir leurs passions sanguinaires ; cette obsession détruit leur amour et le jeune homme cherche une consolation auprès d’une camarade de travail, éveillant ainsi les instincts meurtriers de son épouse.

Pour incarner son héroïne, Lewton pense à Simone Simon, dont il a admiré le charme idéalement « félin » dans le film de William Dieterle All that money can buy (Tous les biens de la terre, 1941). La carrière américaine de la vedette française n’a pas eu le retentissement escompté, aussi son engagement ne se révélera-t-il pas trop onéreux pour le modeste budget alloué par Charles Koerner.

Avant que DeWitt Bodeen ne commence à rédiger le scénario, Lewton lui avait fait projeter un choix de classiques du film d’épouvante, comme exemples de ce qu’il ne fallait pas faire. Il entend en effet faire surgir l’inquiétude par la seule suggestion plutôt que par des effets spectaculaires. Grâce à l’accumulation savamment orchestrée de détails insolites, une sourde menace semble planer sur les décors les plus familiers, comme l’appartement d’lrena (les pattes de lion de la baignoire) ou le petit restaurant du repas de noces (avec l’apparition de l’étrange « femme-chat ». Puis c’est la terreur inexplicable qui saisit les pensionnaires du marchand d’oiseaux dès qu’Irena pénètre dans la boutique…

Dès lors, la tension croît inexorablement, à mesure que des dangers indéfinissables cernent Alice, la rivale d’Irena. Lewton et Tourneur nous offrent une des scènes les plus inquiétantes jamais vues à l’écran : Alice traverse de nuit Central Park, et tandis qu’elle se hâte vers le halo rassurant des réverbères, un écho feutré et assourdi répond à ses pas ; une présence invisible semble agiter les feuillages et un bruit aussi anodin que le chuintement des portes automatiques d’un autobus fait sursauter comme s’il s’agissait du feulement d’un animal féroce. Le parc très civilisé est devenu une jungle où règnent les vieilles terreurs ancestrales.

L’ambiguïté subtile voulue par Lewton et Tourneur est malheureusement gâchée par des effets très appuyés, exigés par les dirigeants de la RKO (comme l’apparition d’une panthère en chair et en os dans le bureau d’Oliver et d’Alice). Les obsessions d’Irena (remarquablement servie par Simone Simon), qui peuvent s’expliquer par sa frigidité névrotique et ses tendances homosexuelles latentes, perdent ainsi malheureusement beaucoup de leur intensité dramatique.

« Le film fut tourné en vingt-et-un jours, et quand les gens du studio l’eurent vu, il leur parut étrange qu’ils ne voulurent plus nous adresser la parole. Le film fut vendu difficilement, et finalement le Hawaii Cinéma, une nouvelle salle qui venait de passer Citizen Kane pendant douze semaines, le prit, car le directeur n’avait aucun autre film à programmer. Il dit à la RKO : « Je le prends pour une semaine, avec option pour une deuxième ». Première semaine : record. Deuxième semaine : record battu. Ils ajoutent une séance le matin et ils renouvellent le contrat. Nous avions dépassé Citizen Kane en tenant treize semaines. Le film avait coûté 130 000 dollars et il en a rapporté plus d’un million. Il a sauvé la RKO qui, cette année-là, en 1941, allait très mal. Et la critique aussi a énormément soutenu le film. » Jacques Tourneur






L’histoire et les extraits
Au zoo, Oliver Reed (Kent Smith), jeune architecte new-yorkais, fait la connaissance d’Irene Dubrovna (Simone Simon), une ravissante modéliste d’origine serbe. C’est le coup de foudre réciproque et ils se marient aussitôt. Au restaurant où a lieu le repas de noces, une femme inconnue, à l’étrange aspect félin, affirme être une parente d’Irene.
Le soir, Irena refuse de se laisser approcher par Oliver et s’enferme dans sa chambre. Afin de lui prouver sa tendresse, Oliver lui offre un petit canari. Inexplicablement effrayé par la jeune femme, le canari meurt. Irena conserve l’oiseau dans son sac pendant un certain temps avant de l’offrir à la panthère du zoo. Alarmé par le comportement bizarre d’Irene, Oliver la persuade de consulter un psychiatre, le docteur Judd (Tom Conway). Celui-ci tente vainement d’exorciser les angoisses d’Irena, obsédée par la peur de se transformer en panthère, car elle se croit la descendante d’une ancienne secte démoniaque d’adorateurs d’animaux des Balkans. Elle se refuse toujours à Oliver.
Dans son désarroi, celui-ci se confie à Alice (Jane Randolph), une camarade de bureau qui est éprise de lui. Irena a compris qu’elle a une rivale : dans un accès de jalousie, elle lacère de ses ongles le velours du canapé. Puis elle téléphone à Alice, sans se nommer, afin de vérifier qu’elle est encore à son bureau à cette heure tardive. En quittant son travail, Alice a l’impression d’être guettée et suivie. Elle est ensuite mystérieusement agressée dans une piscine. Une autre étrange « femme-chat » fait son apparition et Alice découvre que son peignoir de bain a été déchiré.
La nuit suivante, Alice et Oliver, qui sont restés à travailler très tard, sont attaqués par une panthère noire. Ils préviennent le docteur Judd, qui doute encore de la démarche d’Irena. Mais il est attaqué sauvagement par la jeune femme lorsqu’il se rend à son appartement et il la blesse. Irena se réfugie au zoo où elle est tuée en tentant de libérer la panthère. Olivier et Alice, horrifiés, hésitent à identifier son cadavre, masse noire et imprécise, qui gît devant la cage…

LE GOÛT DES ANNÉES 1940 POUR L’ONIRISME ET LE SURNATUREL
En Europe comme à Hollywood, des fantômes très freudiens envahissent les écrans. Emanations du subconscient collectif, ange et démons incarnent les angoisses et les incertitudes des années d’après-guerre.








OUT OF THE PAST (La Griffe du passé) – Jacques Tourneur (1947)
Le titre même du film évoque pleinement le cycle noir : le protagoniste Jeff, incarné par Robert Mitchum, marqué par le destin, porte sur son visage cette fatalité qui se lit dans son regard sombre et sans joie ; Jane Greer fait une très belle prestation dans le rôle de Kathie, la femme érotique, et destructrice ; le scénario de Mainwaring réussit, quant à lui, à , déterminisme implacable qui resserre le présent et le futur de Jeff, grâce au procédé du flash-back, enfin, les éclairages sombres du chef opérateur, Nicholas Musuraca, un familier des films noirs, soulignent parfaitement la sensibilité tragique de Tourneur.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
Catégories :Le Film étranger
Un blog très complet.
Une cinémathèque…
J’aimeJ’aime