Les Actrices et Acteurs

MONTGOMERY CLIFT

Au cours de sa brève carrière, Montgomery Clift imposa un nouveau style d’interprétation et composa une figure inoubliable d’Américain tourmenté, correspondant parfaitement aux années de doute et d’anxiété que fut le temps de la guerre froide.

Né en 1920 à Omaha, dans le Nebraska, Montgomery Clift débuta très jeune au théâtre, dans une troupe d’amateurs, avant de jouer sa première pièce à Broadway, à l’âge de quinze ans, sous la direction de Thomas Mitchell. Toutefois il doit son premier rôle important à un incomparable découvreur de talents, Elia Kazan, qui fera aussi débuter Brando et Dean dans leurs premiers vrais rôles. La pièce était de Thornton Wilder et s’appelait « The Skin of our Teeth » ; Kazan la mit en scène en 1943. Pendant quelques années, Clift se consacra uniquement au théâtre, jouant notamment des pièces de Lillian Hellman et de Tennessee Williams, avant de décrocher un contrat pour Hollywood.

Montgomery Clift et Marilyn Monroe (The Misfits, 1961)
Ultra-sensible

Il eut la chance de faire son premier film sous la direction d’un des plus grands cinéastes du moment, Howard Hawks. Ce fut Red River (La Rivière rouge, 1948) un des meilleurs westerns de ce prodigieux metteur en scène, et Clift y partageait la vedette avec John Wayne. Nullement écrasé par ce partenaire de poids, il imposa d’emblée son talent frémissant et son personnage à la fois fragile et habité d’une tenace passion de la vie. Dès son troisième film, The Heiress (L’Héritière, 1949), remarquable adaptation d’Henry James par William Wyler, qui valut un Oscar à Olivia de Havilland, Montgomery Clift acheva de dessiner ce personnage que les quelques films suivants suffirent à rendre inoubliable. Plus que The Big Lift (La Ville écartelée, 1950), film « anti-rouge » de George Seaton sur le blocus de Berlin par les Soviétiques, ce fut d’abord A Place in the Sun  (Une Place au soleil, 1951) de George Stevens ; dans un personnage d’arriviste criminel, il formait avec Elizabeth Taylor (alors âgée de dix-neuf ans et au sommet de sa beauté), un admirable couple d’une radieuse photogénie, un des plus séduisants que le cinéma ait jamais proposés.

La réussite suivante fut encore plus intéressante, car cette fois le metteur en scène était Alfred Hitchcock : ce fut I Confess (La Loi du silence, 1953), où Clift trouva peut-être son plus grand rôle. Il y incarnait un prêtre lié par le secret de la confession, et qui finit par être lui-même soupçonné du meurtre commis par un de ses pénitents, en raison de son propre passé coupable, qu’il n’a pas fini de racheter. Dans ce personnage complexe et tourmenté, le jeu ultra-sensible de Clift faisait merveille. Toutefois, la même année, c’est dans un autre film, le célèbre et surestimé From Here to Eternity (Tant qu’il y aura des hommes, 1953) de Fred Zinnemann, qu’il rencontra son plus grand succès public (ce film eut l’Oscar de l’année).

En 1956, un terrible accident de voiture faillit lui coûter la vie, et marqua une brisure dans son existence et sa carrière. Laissé défiguré, il fallut lui refaire un nouveau visage qui, pour n’avoir plus la séduction de l’ancien, n’en était que plus émouvant et douloureux. Il ne revint à l’écran qu’en 1957-1958, avec deux films d’Edward Dmytryk : Raintree county (L’Arbre de vie) et The Young Lions (Le Bal des maudits) où il retrouvait Elizabeth Taylor dans le premier et dans le second, confronté avec Marlon Brando, devenu son grand rival.

Montgomery Clift et Lee Remick (Wild river, 1960)
« …tant il souffrait »

En 1959, Joseph Mankiewicz reforma encore le couple Clift-Taylor, face à Katharine Hepburn, dans Suddenly Last Summer (Soudain l’été dernier), saisissante réussite oppressante et morbide d’après une pièce de Tennessee Williams. Ce fut un de ses meilleurs rôles, avec celui du père Logan pour Hitchcock et surtout celui de l’ingénieur Chuck Glover du Wild River (Le Fleuve sauvage, 1960). Dans ce chef-d’œuvre sans faille d’Elia Kazan, Clift était admirable de dignité, de sobriété et d’émotion contenue, partagé entre deux devoirs contraires, le respect des valeurs individuelles et le dévouement à la collectivité. Dans son précieux livre d’entretiens avec Michel Ciment, Kazan a bien expliqué pourquoi il avait porté son choix sur un tel acteur : « J’ai pris Clift parce qu’il était incertain et que je voulais que cet intellectuel ne soit pas sûr de lui… Comme il est sensible, il est attiré par les gens qu’il blesse. Si Kirk Douglas avait joué le rôle, il aurait été un fonctionnaire disant : « Désolé, on va mettre votre ferme sous l’eau. » C’est tout, et bonsoir ; Le film était fini. »

Il est vrai que Montgomery Clift traduit à merveille le côté blessé du personnage, et que c’est d’abord grâce à lui (et à sa confrontation avec Lee Remick, également remarquable) que le film doit d’être un chef-d’œuvre. Kazan a donné la clé d’une pareille réussite, lorsqu’il a révélé (c’était après la mort de Clift) que, dans la vie, le comédien était alors « dans un état épouvantable » ; précisant ses liens d’amitié avec lui, Kazan ajoutait : « Il venait chez moi me raconter ses problèmes et ma femme était pour lui une espèce de figure de la mère. Monty avait une quantité terrible de problèmes psychiques. Il arrivait même quelquefois qu’on ne puisse pas le regarder tant il souffrait. » Enfin, Kazan révèle dans ses propos que Montgomery Clift était alors parvenu à un degré avancé d’éthylisme, ce qui contribuait à son déséquilibre intérieur, et il souligne un dernier trait qui éclaire bien la personnalité complexe et instable de l’interprète de tant de personnages douloureux : « Il était terriblement peu sûr de lui en face des femmes – comme l’est un homosexuel. »

Olivia de Havilland et Montgomery Clift (The Heiress, 1949)
Un film porte-malheur

Wild River fut pour Montgomery Clift, déjà profondément atteint dans son énergie vitale, un véritable chant du cygne, que vint achever, à un degré moindre, The Misfits (Les Désaxés, 1961) de John Huston. Ce film porte-malheur, dont le titre résonne comme un glas, fut, on s’en souvient, le dernier film de Clark Gable, qui mourut au lendemain du tournage, et le dernier de Marilyn Monroe, qui devait disparaître l’année suivante. A côté de ces stars de légende, Montgomery Clift fut comme toujours excellent, mais il apparaît comme un peu en retrait, pour ne pas dire presque effacé, dans un rôle qui ne semble pas lui convenir parfaitement. Néanmoins, The Misfits fut le dernier grand film de Clift.

L’année suivante, toujours sous la direction de John Huston, il fut l’interprète principal de Freud (Freud, passions secrètes, 1962). La composition du comédien n’est pas sans intérêt, mais le film, qui avait subi bien des avatars, ne fut pas un succès. A l’origine, c’était un scénario (fort copieux) de Jean-Paul Sartre, qui fut jugé intournable tel quel. Le « script » fut totalement remanié par des scénaristes américains qui ne gardèrent pas grand-chose du travail de l’écrivain français, et c’est ce nouveau scénario qui fut réalisé par Huston sans beaucoup de bonheur. La vie du célèbre fondateur de l’école de psychanalyse de Vienne y était dépeinte sous des couleurs assez conventionnelles, sinon un peu ennuyeuses, et les inconditionnels de John Huston furent bien les seuls à penser qu’il s’agissait d’un grand film.

Quelques mois avant Freud, Montgomery Clift avait tourné un autre film, qui ne compta guère dans sa carrière : Judgment at Nuremberg (Jugement à Nuremberg, 1961). Cette réalisation de Stanley Kramer, un peu pesante comme tous les films de ce cinéaste, était consacrée aux procès de Nuremberg qui firent suite à celui des hauts dignitaires du IIIe Reich ; elle comportait un générique éblouissant, au premier rang duquel se distinguaient surtout Spencer Tracy, Burt Lancaster, MarIene Dietrich et Richard Widmark. Au milieu de ces super-vedettes, Clift n’avait droit qu’à un rôle presque secondaire, qui semblait signifier pour lui l’amorce d’un prochain déclin. Effectivement, après cette apparition mélancolique et l’échec commercial de Freud, l’acteur disparut des écrans. Cette absence devait durer quatre ans.

Au milieu des années 1960, l’acteur interrompt sa carrière. Son intérêt pour le septième art n’est plus le même et il quitte les studios californiens pour New York. François Truffaut le veut dans son prochain film Fahrenheit 451, mais Clift décline l’offre. En 1966, l’année même de sa mort, il effectuait un bref retour fugitif, dans une médiocre production française, L’Espion, réalisé par le producteur Raoul Lévy (qui devait se suicider peu de temps après). Ce film, justement oublié, montrait un Clift vieilli, changé, brisé par les épreuves d’une destinée trop lourde pour lui. Il consent à participer au prochain film de John Huston, Reflections in a Golden Eye (Reflets dans un œil d’or), uniquement parce qu’il a à nouveau l’occasion de partager l’affiche avec Elizabeth Taylor. Mais le destin en décide autrement, peu de temps après ce retour manqué, Montgomery Clift, âgé de quarante-cinq ans mourait à New York, quittant un monde où il n’avait jamais trouvé sa vraie place. Grâce à Kazan, Hitchcock, Huston et Hawks, nous savons aujourd’hui que celle-ci est inscrite dans l’histoire du cinéma, une place singulière et unique, que nul ne viendra lui disputer.


I CONFESS (La Loi du silence) – Alfred Hitchcock (1953)
Alors qu’il est suspecté du meurtre de Vilette, le père Logan n’aurait qu’à parler pour se laver de tout soupçon et éviter la vindicte populaire. Mais un prêtre ne rompt pas le secret de la confession… En tournant I Confess, Hitchcock réalisait un projet qui lui tenait à cœur depuis des années. S’inspirant d’une pièce de Paul Anthelme, il transposa le thème qui lui était cher du transfert de culpabilité dans l’univers catholique de la ville de Québec.

THE MISFITS (Les désaxés) – John Huston (1961)
Après son divorce, Roslyn rencontre Gay, un cow-boy désabusé qui lui propose de partir à la campagne. Une fois au vert, ils retrouvent Perce, un champion de rodéo aussi fêlé qu’eux. Roslyn comprend alors avec horreur que les hommes ne sont là que pour tuer des chevaux sauvages… Arthur Miller a composé la partition de cette tragédie pour son épouse, Marilyn Monroe, qu’il s’apprêtait à quitter. Autobiographie se confond ici avec autodafé. Alors que l’écrivain ne frémit plus devant sa femme mythique, il lui offre paradoxalement le plus beau rôle de sa vie.


HOWARD HAWKS 
Du début des années 1920 à la fin des années 1960, Howard Hawks a réalisé des comédies et des films d’aventures qui témoignent d’une vision singulièrement pessimiste de la condition humaine.  

ALFRED HITCHCOCK
Alfred Hitchcock fut l’un des seuls cinéastes dont le physique et le nom étaient aimés du grand public. Chacun connaissant sa silhouette ronde au visage de ras bébé. Son sens de la publicité, ses apparitions télévisées, sa présence dans les bandes annonces de ses œuvres, ses passages dans ses propres films, tout cela avait contribué à le rendre célèbre. Il était aussi populaire que les plus grosses vedettes du cinéma international.

JOHN HUSTON
Cinéaste des destins dérisoires et des illusions perdues, John Huston a pris le contrepied des poncifs hollywoodiens pour délivrer une vision du monde où sa lucidité ironique était équilibrée par un puissant sentiment de fraternité humaine. L’homme était comme ses films : génial et indépendant.

JOSEPH L. MANKIEWICZ
En 20 films, et autant de chefs-d’œuvre, Joseph L. Mankiewicz s’est installé au panthéon des plus grands réalisateurs hollywoodiens. Après avoir été dialoguiste et producteur, il met en scène ses propres scénarios, écrits d’une plume vive et acérée. Il fait tourner les plus grands, décortique les rapports humains et moque avec finesse les différences sociales.



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4 réponses »

  1. Bonjour,

    Les gens admirent Montgomery Clift pour sa profondeur émotionnelle et sa présence captivante à l’écran. Son jeu subtil et authentique a révolutionné le cinéma, créant une connexion sincère avec le public.

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