Dans La Bandera, Gueule d’amour ou Quai des Brumes, l’acteur a popularisé l’archétype du soldat romantique et désabusé, à une époque où l’armée le rebutait pourtant. Sans se douter que lui-même deviendrait bientôt un héros de la Seconde Guerre.



En 1924, le jeune Jean Gabin mène à Paris une existence plutôt satisfaisante : s’il ne ressent pas encore de véritable vocation pour le métier de comédien, il apprécie néanmoins de gagner sa vie en tenant de petits rôles au music- hall. Et, surtout, il file depuis peu le parfait amour avec la danseuse Gaby Basset. Hélas, le voilà bientôt contraint d’effectuer son service militaire : c’est à reculons qu’il rejoint l’unité de fusiliers marins basée à Lorient, affectation lointaine où Gaby, sa famille et la vie parisienne vont beaucoup lui manquer. Mais le pire, c’est de devoir obéir aveuglément aux ordres de gradés un brin obtus. Gabin a toujours eu un caractère bien trempé, et l’inévitable finit par se produire : le jeune appelé frappe un jour un supérieur particulièrement borné, écopant à la fois d’un séjour en cellule et d’un allongement de service dont il se serait bien passé… Ironie du sort, le Gabin comédien devra ensuite une partie de son succès à la manière dont il porte fièrement l’uniforme. Dès 1932, il joue ainsi les comiques troupiers dans Les Gaîtés de l’escadron, mais c’est évidemment le légionnaire de La Bandera qui lui offre la gloire trois ans plus tard. Poursuivant dans ce registre, Gabin incarne à nouveau un soldat dans des films qui contribueront fortement à son fameux « mythe » : officier de spahis dans Gueule d’amour de Jean Grémillon, le comédien joue ensuite un prisonnier de guerre dans La Grande illusion de Jean Renoir, puis un déserteur dans Quai des Brumes de Marcel Carné. Et lorsqu’il gagne Hollywood pendant la guerre, il tourne sous la direction de Julien Duvivier L’Imposteur, l’histoire d’un criminel qui devient un héros des Forces Françaises Libres…



Pour Gabin, L’Imposteur sera une sorte de répétition générale : en 1943, l’acteur décide en effet de s’engager lui-même dans les FFL, bien qu’on lui objecte qu’un acteur aussi renommé devrait plutôt continuer à tourner des films « patriotiques » à Hollywood. Mais Gabin veut participer activement aux combats. Retrouvant les fusiliers marins, arme dans laquelle il a été brièvement affecté pendant la « Drôle de guerre » de 1940, il s’embarque sur l’Elorn, navire chargé d’escorter les pétroliers depuis les États-Unis jusqu’en Algérie – ce qui lui vaudra d’essuyer de terribles attaques allemandes. À Alger, Gabin est ensuite nommé instructeur, mais il insiste pour rejoindre, en tant que chef de char, la division blindée du Général Leclerc : il participera ainsi il la libération de Royan et, en Allemagne, du fief hitlérien de Berchtesgaden…



Curieusement, malgré ces hauts faits, Gabin ne tournera après la guerre aucun film évoquant cette période de sa vie. Et les seuls personnages de soldats joués dans la seconde partie de sa carrière seront celui, fort bref, du maréchal Lannes dans le Napoléon de Sacha Guitry, puis du légionnaire à la retraite du Tatoué. Mais le chemin de l’acteur recroisera tout de même une dernière fois celui de l’institution militaire. Lorsque Gabin disparaît en novembre 1976, ses funérailles célébrées au cimetière parisien du Père-Lachaise seront suivies d’une cérémonie organisée sur un navire de la marine nationale, au large de Brest. C’est là que le commandant du vaisseau, en présence de la famille et des proches de l’acteur, jettera à la mer son urne funéraire.



JEAN GABIN
S’il est un acteur dont le nom est à jamais associé au cinéma de l’entre-deux-guerres, aux chefs-d’œuvre du réalisme poétique, c’est bien Jean Gabin. Après la guerre, il connait tout d’abord une période creuse en termes de succès, puis, à partir de 1954, il devient un « pacha » incarnant la plupart du temps des rôles de truands ou de policiers, toujours avec la même droiture jusqu’à la fin des années 1970.

LA BANDERA – Julien Duvivier (1935)
Après avoir tué un homme, Pierre Gilieth s’enfuit et passe en Espagne, où il s’engage dans la Légion étrangère… (…) Dans le cinéma français d’alors, la mode était aux films de légionnaires, et Le Grand Jeu, de Jacques Feyder, avec Pierre Richard-Willm (1934), était déjà un classique. Celui-ci aurait d’ailleurs dû tenir le rôle de Gilieth. Il revint à Gabin.

GUEULE D’AMOUR – Jean Grémillon (1937)
En attendant le feu vert pour L’Etrange Monsieur Victor, Jean Grémillon a eu le temps de réaliser Gueule d’amour, adapté par Charles Spaak d’un roman d’André Beucler. Nous sommes en 1937, et ce film qui devait être une parenthèse, une œuvre de circonstance, marquera au contraire un tournant dans la carrière du réalisateur : grâce au succès commercial qu’il obtient, il permet à Grémillon d’entamer la période la plus féconde de son œuvre et de produire régulièrement jusqu’en 1944, des films qui marquent une synthèse réussie entre ses exigences artistiques et les contraintes d’un cinéma populaire.

LA GRANDE ILLUSION – Jean Renoir (1937)
« La Grande Illusion, écrivait François Truffaut, est construit sur l’idée que le monde se divise horizontalement, par affinités, et non verticalement, par frontières. » De là l’étrange relation du film au pacifisme : la guerre abat les frontières de classe. Il y a donc des guerres utiles, comme les guerres révolutionnaires, qui servent à abolir les privilèges et à faire avancer la société. En revanche, suggère Renoir, dès que les officiers, qui n’ont d’autre destin que de mourir aux combats, auront disparu, alors les guerres pourront être abolies : c’est le sens de la seconde partie, plus noire, qui culmine dans les scènes finales entre Jean Gabin et Dita Parlo, à la fois simples et émouvantes.

LE QUAI DES BRUMES – Marcel Carné (1938)
« T’as de beaux yeux, tu sais ! ». D’une simplicité presque banale, ces quelques mots suffisent pourtant à faire ressurgir tout un pan du cinéma français, et avec lui les figures qui l’ont bâti. À commencer par Jean Gabin, dont la célèbre phrase est devenue l’un des signes distinctifs. Les imitateurs du comédien l’ont d’ailleurs tellement galvaudée qu’en revoyant le film, on est presque surpris d’entendre Gabin la murmurer d’un ton si juste. Mais la réplique évoque évidemment aussi celle à qui s’adresse ce compliment, et dont le regard, dans la lumière irréelle du chef-opérateur Eugen Schufftan, brille de manière admirable.

THE IMPOSTOR (L’Imposteur) – Julien Duvivier (1944)
En 1943, la nouvelle se propage parmi les Français d’Hollywood : Gabin et Duvivier, le célèbre tandem de Pépé le Moko, tournent ensemble un film de propagande gaulliste. Une œuvre qui sera diversement appréciée des deux côtés de l’Atlantique.
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – LE CHARME VÉNENÉUX D’AUTANT-LARA (7/10)
- L’ESSOR DE LA COMÉDIE À L’ITALIENNE
- RIO BRAVO – Howard Hawks (1959)
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – L’HOMME AU PIÉDESTAL (6/10)
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – CALVACADES ET PÉTARADES (5/10)
En savoir plus sur mon cinéma à moi
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
Catégories :Les Actrices et Acteurs

Une très belle présentation de cette acteur fétiche du grand cinéma français, une gueule et une forte personnalité, le cinéma de papa comme j’aime.
J’aimeJ’aime
un acteur imposant et unique en son genre . il ne joue pas il est comme dans la vie. une personnalité marquante et inoubliable.
J’aimeJ’aime
un acteur imposant et unique en son genre. il ne joue pas. il est tel quel comme il était dans la vie avec une personnalité qui marquera à jamais le 7éme art comme Bourvil, Louis de Funés, Harry Baur et Raimu ces sacrés monstres.. inoubliables.
J’aimeJ’aime