Les Actrices et Acteurs

DAVID NIVEN

Le plus britannique des acteurs américains a peut-être eu tort de ne jamais se prendre au sérieux. Quelques films, trop rares, ont donné la mesure d’un talent qui est pratiquement resté inexploité.

En dépit des quelques fort jolis rôles qu’il a tenus tout au long de sa féconde carrière, David Niven n’a jamais eu la prétention ni même la tentation de devenir une star. Il est vrai que lorsque l’on a comme lui porté la tenue d’officier de Sa Majesté et que l’on a, comme le Don Juan de Mozart, la noblesse inscrite sur son front, on ne peut briguer sans quelque ridicule les très vulgaires honneurs de la célébrité hollywoodienne. Car David Niven avait toutes les apparences de la noblesse, y compris cette ironie un peu distante qui faisait que, dans ses meilleurs rôles, il donnait toujours la troublante et sympathique impression de ne pas se prendre tout à fait au sérieux. Aristocrate, il s’amusait beaucoup, manifestement, à jouer à l’aristocrate : la comparaison avec Erich von Stroheim ne laisse pas, à cet égard, d’être fort piquante. Alors que le génial mystificateur viennois s’était forgé une stupéfiante figure d’officier prussien à la morgue suprêmement wilhelminienne, l’ancien officier britannique, lui, revêtait l’uniforme avec l’air de quelqu’un qui cherche à mystifier son monde.

Les débuts de David Niven ne manquent pas de pittoresque. Né le 1er mars 1909 à Kirriemuir, en Ecosse, il est entré à l’âge de dix-sept ans à la fameuse école militaire de Sandhurst, pépinière de plusieurs générations d’officier dévoués à l’empire. En fait, le jeune Niven ne restera pas longtemps dans l’armée britannique : à sa sortie de l’école, affecté dans une unité de l’infanterie légère, le Highland Light, il sert deux ans à Malte puis résilie son contrat pour courir l’aventure. Il se rend d’abord au Canada où, tenté par le journalisme, il écrit une série d’articles sur la chasse au renard, après quoi il se retrouve à New York où, entre autres métiers, il se fait quelque temps représentant en vins et spiritueux. C’est en 1935 qu’il s’en va tenter sa chance à Hollywood, faisant notamment de la figuration dans de petits westerns. Comme il le raconte dans son autobiographie « Décrocher la lune », le sémillant David Niven avait alors l’humeur plutôt vagabonde. Insouciant, épris de liberté, aimant la bonne vie et les jolies femmes, il avançait dans la vie, au gré des circonstances et de son inspiration. On le vit même, peu avant son départ pour la Californie, mêlé à une révolution cubaine…

Engagé pour quinze ans pas Samuel Goldwyn, avec qui il ne parviendra d’ailleurs jamais à s’entendre, David Niven prend aussitôt place au premier rang des acteurs réputés pour leur style impeccablement anglo-saxon. Capable aussi bien d’incarner le duc de Wellington que l’inattendu James Bond de Casino Royale (1967), l’anglissime David Niven, grâce à son élégance naturelle et à son humour, devient membre à part entière du cercle aristocratique formé par Ronald Colman, Errol Flynn, Douglas Fairbanks Jr. et, un peu plus tard, Laurence Olivier. S’il n’avait pas été cantonné dans des rôles subalternes, il eût admirablement représenté les charmes ambigus d’une « gentry » décadente et ravagée par l’ennui.

Malheureusement, jusqu’à son retour en Angleterre, au début de la Seconde Guerre mondiale, David Niven ne fut guère autre chose que l’ami fidèle du héros, l’officier intègre, bien élevé et finement moustachu, toujours prêt à se sacrifier ou à s’effacer pour la gloire de plus flamboyant ou plus malin que lui. Après avoir donné toute satisfaction dans Splendeur (Splendor, 1935) d’Elliott Nugent, il allait toutefois établir une solide réputation professionnelle avec des films comme Dodsworth (1936), de William Wyler, La Charge de la brigade légère (The Charge of the Light Brigade, 1936) de Michael Curtiz, Le Prisonnier de Zenda (The Prisoner of Zenda, 1937) de John Cromwell, The Dawn Patrol (1938) d’Edmund Goulding, Quatre Hommes et une prière (Four Men and a Prayer, 1938) de John Ford, La Huitième Femme de Barbe-Bleue (Bluebeard’s Eighth Wife, 1938) d’Ernst Lubitsch, Divorcé malgré lui (Eternally Yours, 1939) de Tay Garnett, ou Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights, 1939) de William Wyler, où il ne parvint pas à donner une certaine consistance à l’insipide personnage d’Edgar.

Pendant la guerre, David Niven eut toutefois l’occasion de prouver qu’il n’était pas un officier d’opérette, et sa présence au combat ne fut pas de pure parade, contrairement à celle de quelques-uns de ses illustres confrères de Hollywood. Engagé dans les commandos de Sa Majesté, il fut démobilisé avec le grade de major (c’est-à-dire de commandant). Cette période lui laissa cependant la possibilité de jouer dans deux remarquables films de propagande militaire anglais : The First of the Few (1942), réalisation de Leslie Howard à la gloire du créateur du Spitfire, le célèbre avion de chasse anglais, et L’Héroïque Parade (The Way Ahead, 1944) de Carol Reed.

Au lendemain de la guerre, David Niven reprend ses activités hollywoodiennes, toujours lié par contrat à Samuel Goldwyn. Jusqu’à la fin des années 1950, sa filmographie, en partie anglaise, est surtout caractérisée par une grande médiocrité. Mais de cette décennie plutôt sombre, il faut tout de même retenir l’admirable Une question de vie ou de mort (A Matter of Life and Death, 1946), chef-d’œuvre de Michael Powell et Erneric Pressburger où il incarne un aviateur anglais qui, abattu au retour d’une mission de bombardement, est jugé par un tribunal céleste, ainsi que La Lune était bleue (The Moon Is Blue, 1953) d’Otto Preminger. Dans cette comédie qui, en son temps, fit scandale en raison du caractère scabreux du sujet et de la verdeur du dialogue, David Niven amorce une évolution décisive : le jeune et brillant officier des années 1930 est devenu un homme mûr dont le charme et la distinction ne sont pas sans prestige auprès des dames.

La fin des années 1950 lui sera, à cet égard, très favorable. Engagé par Mike Todd pour interpréter le personnage de Philéas Fogg dans Le Tour du monde en 80 jours (Around the World in 80 Days, 1956) de Michael Anderson, il témoignera de beaucoup d’intelligence et de subtilité dans La Petite Hutte (The Little Rut, 1957) de Mark Robson, aux côtés d’Ava Gardner et de Stewart Granger, ainsi que dans Tables séparées (Separate Tables, 1958) de Delbert Mann, où son interprétation de faux héros soudainement confondu par son passé d’obsédé sexuel lui vaudra un Oscar. C’est en effet un David Niven tout à fait inconnu du grand public que ces deux films d’un faible intérêt cinématographique, il faut bien le dire, ont révélé. Il sera encore excellent dans ces deux succulentes comédies de Charles Walters que sont Une fille très avertie (Ask Any Girl, 1959) et Ne mangez pas les marguerites (Please, Don’t Eat the Daisies, 1960).

Mais le meilleur film que David Niven ait alors tourné, qui est peut-être aussi le meilleur de toute sa carrière, demeure sans conteste Bonjour tristesse (1957) d’Otto Preminger. Dans cette élégante et cruelle adaptation du roman de Françoise Sagan, David Niven, entre deux âges, compose un assez fascinant personnage d’oisif couvert de femmes et qui, incapable de faire preuve de caractère entre une fille exigeante (Jean Seberg), une amante grave et hautaine (Deborah Kerr) et une adorable et frivole petite maîtresse (Mylène Demongeot), laissera la tragédie s’insinuer irrémédiablement, du fait de sa faiblesse et de son irrésolution.

Était-il déjà trop tard ? David Niven, toujours aussi aristocratique et aussi britannique, s’est alors, non sans indolence, laissé porter par les vicissitudes de la production hollywoodienne, faisant des apparitions souvent délectables mais presque toujours futiles dans des films dont la plupart ne méritent même pas d’être cités. Son expérience de la guerre lui permit tout de même d’être un chef de commando convaincant dans Les Canons de Navarone (The Guns of Navarone, 1961) de J. Lee-Thompson, tandis qu’il était un fort plausible diplomate victorien dans Les 55 Jours de Pékin (55 Days at Peking, 1963) de Nicholas Ray. Seul Blake Edwards sut tirer le meilleur parti de son talent somme toute méconnu en faisant de lui le savoureux et distingué voleur de bijoux de La Panthère rose (The Pink Panther, 1963). Les mauvaises langues assurent que, depuis, il a trouvé ses meilleurs rôles dans les « spots » publicitaires des cafés Maxwell.


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« David Niven, Mémoires » – Editions Séguier (mai 2021)

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