Sans Johnny Hyde (agent puissant d’Hollywood), Marilyn aurait pu périr en tant qu’actrice et rester dans le circuit des cocktails et des soirées. Il l’aida à obtenir les deux petits rôles qui allaient faire démarrer brusquement sa carrière : celui d’Angela, dans The Asphalt Jungle (Quand la ville dort), de John Huston en 1950, et celui de Miss Caswell dans AlI About Eve, de Joseph L. Mankiewicz, également en 1950. Dans l’un comme dans l’autre film, elle n’apparaît pas plus de quelques minutes à l’écran, mais elle capte toute notre attention : on dirait qu’elle éjecte les autres acteurs du cadre – telle sera sa marque de fabrique, ce don subversif de rendre ses partenaires invisibles, même Laurence Olivier dans The Prince and the Showgirl (1957). Arthur Miller a le sentiment qu’elle échappe aux directives de chaque réalisateur : Marilyn se dirige toute seule, « elle dégage tout le plaisir qu’elle a à jouer. » Telle une ingénue ensorcelée, elle se révèle toujours elle-même comme si c’était la première fois.

Arthur Miller, l’auteur dramatique qui a été son troisième mari, n’a jamais compris ce don-là. Il dit que dans The Asphalt Jungle « elle était plus un accessoire qu’une actrice, un commentaire satirique presque muet sur le pouvoir officiel et les manières de Louis Calhern ». Seul quelqu’un d’aussi prude qu’Arthur Miller pouvait voir en elle un accessoire. Et Angela est loin d’être muette : elle parle comme une tornade, tandis qu' »Oncle Lon » (Calhern) envisage de l’envoyer en vacances permanentes : « Imagine-moi sur cette plage avec mon costume de bain vert. Youpi ! J’ai failli en acheter un blanc, mais il n’était pas assez sexy. Comprends-moi bien, si j’en avais voulu un sexy, sexy, j’en aurais pris un français … »
Louis Calhern joue le rôle d’Alonzo P. Emerich, « Oncle Lon », un avocat véreux au bout du rouleau. Affublé d’une épouse malade, il cache Angela, sa petite protégée, dans « son cabanon près de la rivière ». Calhern est un des rares acteurs à avoir pu cohabiter sur l’écran avec Marilyn Monroe et il reste le meilleur partenaire qu’elle ait jamais eu. Il existe quelque chose entre eux, une nuance, une mélodie triste qui a pu interférer avec la relation qu’elle entretenait avec Johnny Hyde. Oncle Lon se montre tendre avec elle, il a l’air de comprendre ses désirs : « Ne t’en fais pas, baby, tu feras plein d’autres voyages. »
Huston était très indulgent à l’égard de Marilyn, il lui permettait de faire venir Natasha Lytess (professeur d’art dramatique) sur le plateau, puisqu’elle était son coach. Marilyn pouvait s’amuser devant un appareil photo, séduire le photographe et l’objectif lui-même, mais elle était terrorisée par la caméra, qui pouvait s’emparer non seulement de son image, mais aussi de sa voix. Les réalisateurs étaient naturellement des ennemis parce qu’ils la réduisaient à n’être qu’un membre de toute une équipe, de toute une distribution.

Quand la ville dort est le neuvième film de Marilyn Monroe, où elle pointe en onzième position au générique de fin (elle n’est pas mentionnée en début de film). Il s’agit, avec Love Happy des Marx Brothers un an plus tôt, d’un film de premier plan et non plus d’une série B, car réalisé par un metteur en scène renommé, John Huston. C’est son imprésario qui fit tant pour sa carrière, Johnny Hyde, qui lui décroche le rôle.

Marilyn y joue le personnage d’Angela Phinlay, jeune maîtresse d’Alonzo Emmerich, un avocat – marié – qui s’avérera véreux et aux abois. Elle ne semble pas avoir d’activités autres que vivre dans une résidence secondaire dudit avocat et l’y attendre. Elle n’a que trois scènes dans ce film, sans jamais rencontrer Sterling Hayden. L’avocat lui rend visite, ce qui permet au spectateur de saisir la duplicité de celui-ci : Marilyn l’appelle « Uncle Al » mais l’on comprend alors qu’ils sont amants (en 1950, le terme « nièce » était compris par tous les spectateurs comme synonyme de « maîtresse », que la censure ne tolérait que rarement). Elle porte une sorte de pyjama de luxe (avec broche) et doit rapidement aller se coucher. « Some sweet kid » (« Elle est vraiment gentille ») commente Al d’un œil à la fois concupiscent et tendre.

Une autre rencontre dans la résidence secondaire, avant la chute, où Angela, en robe noire sexy, et Al discutent d’un projet de vacances à Cuba. Marilyn pousse par deux fois un petit cri étrange « Yawp ». Puis, elle enchaîne une confrontation avec le commissaire où elle craque et dit la vérité, encouragée par l’oncle Al. Alors qu’elle lui demande si son voyage à Cuba tient toujours, il répond (une sorte de présage s’agissant de Marilyn) « Don’t worry, baby, you’ll have plenty of trips » (« Ne t’inquiète pas, mon petit, tu en auras ton content de voyages »). Une quatrième scène implique le personnage Marilyn sans qu’on l’aperçoive : prétextant des raisons politiques, l’avocat lui demande au téléphone de dire à la police qu’ils étaient ensemble la nuit précédente, sans qu’elle sache de quoi il retourne. Selon les biographes de la comédienne, ce film attira l’attention du public sur Marilyn, et donc de Hollywood qui commença à faire appel à ses services. Marilyn tournera à nouveau avec John Huston dans The Misfits (Les Désaxés) (1961), son dernier film achevé.











THE ASPHALT JUNGLE (Quand la ville dort) – John Huston (1950)
Rendons hommage à ces messieurs, et en particulier à John Huston, pour leur magnifique travail ! Dès le tout premier plan, dans lequel la caméra suit un voyou en maraude qui se faufile entre les immeubles pour semer une voiture de police dans la grisaille humide de l’aube, ce film laisse entrevoir, sous des dehors aussi implacables et lisses que l’acier, la présence de tout un monde de personnalités déviantes et de criminels Invétères.

MARILYN MONROE
Mélange explosif de candeur et de sensualité débordante, Marilyn Monroe est une actrice proche du génie. Sous le maquillage et les atours, elle restait une « petite fille ». Elle ne ressemblait à personne…

JOHN HUSTON
Cinéaste des destins dérisoires et des illusions perdues, John Huston a pris le contrepied des poncifs hollywoodiens pour délivrer une vision du monde où sa lucidité ironique était équilibrée par un puissant sentiment de fraternité humaine. L’homme était comme ses films : génial et indépendant.
L’extrait
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
- JEAN GABIN : LE MAL DU PAYS
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