Adapté d’un best-seller de Mickey Spillane, Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse) est le troisième film de Robert Aldrich. Film noir violent et sexy, parsemé de vamps et de cadavres, Kiss Me Deadly a été salué par les meilleurs critiques et rapidement été élevé au rang de film culte. Référence absolue pour de nombreux auteurs, de la Nouvelle Vague à Quentin Tarantino, cette aventure du célèbre dur-à-cuire Mike Hammer est un thriller totalement paranoïaque, au rythme effréné et au dénouement apocalyptique.

Lorsque Robert Aldrich réalise Kiss Me Deadly, il sait très bien où il veut emmener le spectateur par rapport au film noir traditionnel, il doit donc prévenir le spectateur dès le début du film. Il va donc concevoir un pré-générique et un générique le plus incroyable de l’histoire du cinéma. C’est une combinaison de chocs, physiques, énergétiques et sexuels.

Adapté d’un roman de Mickey Spillane, Kiss Me Deadly réussit tout à la fois à être a priori fidèle à l’œuvre originale et en réalité encore plus proche de l’univers de Robert Aldrich qui aidé de son scénariste Bezzerides, a apporté au roman de Spillane une surprenante seconde dimension. Certes, la violence inhérente à la production littéraire de Spillane, la personnalité de Mike Hammer, son héros d’élection, les comparses habituels (Velda, la fidèle secrétaire, Pat, l’ami policier) et la galerie inévitable de filles et de tueurs sont au rendez-vous mais Bezzerides et Aldrich, en remplaçant le trafic initial par le péril atomique, ont contribué à faire exploser l’intrigue elle-même. Aldrich et Bezzerides n’ont jamais caché le peu d’estime qu’ils portaient à Spillane et à son roman. « À vrai dire, déclarait Aldrich à François Truffaut, je regrette d’avoir accepté Kiss Me Deadly. Il y avait déjà eu deux films exécrables de la même série d’après le même auteur et j’aurais dû refuser. Mickey Spiliane est un esprit antidémocratique… fasciste.» Il ajoutait quelques années plus tard : « Le livre n’était rien. Nous avons juste gardé le titre et jeté le reste. Le scénariste, A.l. Bezzerides, a fait un travail remarquable et a énormément contribué à l’invention du film. La boîte diabolique, par exemple – une référence évidente à la bombe atomique – était principalement son idée. »
Bezzerides racontait de son côté sa rencontre avec ce qui allait être Kiss Me Deadly : « Robert Aldrich m’a donné le roman de Mickey Spillane et j’ai dit : « Ça ne vaut rien. Voyons ce que je peux en faire. On m’avait donné de la camelote. Je ne pouvais pas l’adapter. Il fallait que j’écrive quelque chose d’autre. Je me suis alors mis au travail, j’ai écrit vite parce que j’avais du mépris pour le roman. Ce fut une écriture automatique. Vous pénétrez à l’intérieur d’une espèce de courant et vous ne pouvez plus vous arrêter. Je suis dans une véritable isolation psychique lorsque j’écris. J’ai fini le scénario en trois semaines, chez moi, en écrivant jour et nuit. L’introduction du poème de Christina Rossetti, du mythe de Pandore, du thème de la bombe atomique et du péril nucléaire ont valu au film une immédiate admiration en Europe. « Les Artistes Associés, reconnaîtra Aldrich, n’ont jamais compris de quoi le film parlait. Ni alors, ni maintenant. La référence à la boîte de Pandore a été comprise en Europe, mais pas ici. »
« En réalité, ajoutera-t-il, bien que ce film renferme énormément d’allusions symboliques au maccarthysme à l’adresse des Américains, les Français y ont lu encore d’autres symboles. On est toujours très heureux de ce genre de réactions, mais il est gênant d’avoir à justifier ou expliciter des éléments que l’on ne comprend pas soi-même. Je pense que c’est un bon film. J’en suis très fier. Je crains seulement que ce ne soit pas un aussi bon film que certains ne le croient, simplement parce qu’ils y lisent plus que ce qu’il contient réellement. Il traite de l’atroce période que ce pays a traversée pendant McCarthy et des suites qu’elle a eues. McCarthy n’était pas encore liquidé. Le procès commença à l’époque où le film sortit, mais l’angoisse était encore là pendant que nous tournions. La référence au maccarthysme était notre seule justification théorique pour faire ce film. Nous ne voulions pas faire une adaptation de Spillane. Nous nous sommes servis de lui pour faire passer certains commentaires. »

Le travail considérable fait par Aldrich et Bezzerides – qui se plaît à donner à Mike Hammer l’un des premiers répondeurs téléphoniques – apparaît clairement si l’on compare l’état premier du scénario et le résultat définitif. Le dialogue, encore distendu, est raccourci et mieux distribué entre les personnages, le ton devient plus dur et plus sec et les personnages prennent peu à peu leur force définitive. Le résultat témoigne de cette osmose entre un excellent scénariste – qui revendiquera volontiers la plupart des idées nouvelles du film – et un cinéaste puissant et intuitif.
Le début – Mike Hammer en voiture, une fille court sur l’autoroute nue sous son imperméable – précipite en quelques secondes le spectateur dans une intrigue qui ne se terminera que par l’explosion nucléaire, jalonnée de personnages bizarres et d’éclairs de violence – la vue de Christina pendue et torturée, Hammer écrasant la main du médecin de la morgue, Lily illuminée par l’incandescence de la « boîte diabolique ». On se souvient de Nick le garagiste et de ses « va-va-voom », de Fortunio Bonanova, du couple de tueurs formé par Jack Lambert et Jack Elam, deux inoubliables mauvais garçons du cinéma hollywoodien, et de ces femmes aimantes, pulpeuses ou destructrices, qui croisent la route de Mike Hammer. Volontairement. Aldrich choisit un son inexistant pour symboliser le bruit que l’on entend chaque fois que l’on ouvre la « boîte », un son qui est en réalité le mélange d’un moteur d’avion et des cordes vocales humaines de quelqu’un qui se trouve à bout de souffle. Le soin apporté à ces différents détails, l’utilisation de décors réels et la présence menaçante – dès les premiers plans – d’un monde nocturne sont à l’origine de l’impact du film, l’une des plus fascinantes descentes aux enfers décrites au cinéma.

«Spilliane a trouvé que c’était un film formidable», dira Aldrich. Bezzerides reconnaîtra au contraire que Spillane n’a jamais aimé ce qu’il avait fait de son roman et avait fait semblant de ne pas le voir lorsqu’ils se trouvèrent face à face dans un restaurant… Le simple fait que le générique se déroule à l’envers suffit à indiquer que le film n’est pas destiné à suivre les conventions à la mode. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]

« N’ouvrez pas… N’ouvre pas la boîte ! » Mais qui est cette femme en trench-coat qui erre la nuit, pieds nus, dans une rue sombre ? La police devra dresser des barrages pour l’intercepter. Est-elle une criminelle ? Jusqu’à la fin, le spectateur aura le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond. L’idée de base du scénario est on ne peut plus simple : le détective privé Mike Hammer, la police et une bande de gangsters sont à la recherche d’une mallette contenant un matériau radioactif. Mais les apparences sont trompeuses : le détective à l’abord sympathique est un imbécile gauche, ballotté par les événements, un macho imbu de sa personne et incapable de comprendre qu’il n’est pas il la hauteur de la situation. De nombreuses femmes l’accompagneront tout au long du film pour les motifs les plus divers : il y a d’abord Christina (Cloris Leachman) la femme qui errait dans la rue et qui aiguise sa curiosité ; puis Velda (Maxin Cooper), sa secrétaire séduisante et intelligente qui tente sans cesse de se rapprocher de lui, en vain ; et enfin l’énigmatique Lily (Gaby Rodgers), qui se prête à un double jeu pour réussir à s’emparer du « Great Whatsit », ainsi que Velda nomme le minerai radioactif utilisé pour le « Projet Manhattan », qui été subtilisé – une allusion claire au projet secret de recherche du gouvernement américain sur la bombe atomique au cours des années 1940.
Avec sa trame à ramifications multiples et son style visuel expressif, le film met tout en œuvre pour désorienter durablement le spectateur, refusant de lui donner une vue d’ensemble des événements. Le spectateur voit avec les yeux du détective privé et, malheureusement, celui-ci est toujours en retard sur l’événement. À aucun moment, ni lui, ni le spectateur ne sait à quel stade il en est dans cette histoire. Une seule chose est sûre: c’est la mystérieuse Christina qui livrera littéralement la clé de l’énigme. En effet, l’autopsie révélera la présence d’une clé dans l’estomac de la jeune femme torturée. Comme Hammer va le découvrir, cette clé ouvre l’armoire d’un club de sport sélect d’Hollywood. Hammer y découvre une sorte de mallette bien curieuse: il l’entrouvre – il en surgit une lumière aveuglante accompagnée d’un bruit formidable qui envahit la pièce.
La tragédie commence à prendre forme, comme nous avons pu le pressentir : jusqu’ici nous n’avons rencontré que des gens terrorisés – manifestement victimes d’une technologie obscure qui leur a laissé des brûlures sur la peau -, des accidents mystérieux et mortels, des tueurs sans scrupule et une police tout aussi démunie que Hammer dans sa recherche du matériau fatal. L’affaire se corse lorsque la troisième femme, Lily – son vrai nom est Gabrielle et elle est l’assistante du docteur Soberin (Albert Dekker), celui qui tire toutes les ficelles – profite des recherches du détective privé qui ne se doute de rien pour entrer en possession de la mallette. Restent un détective déconfit et des criminels détenant du minerai radioactif. Mais à la fin, la curieuse Gabrielle ne peut résister à l’envie de découvrir ce qui se cache dans la mallette ; en ouvrant la « boite de Pandore », elle déclenche une explosion atomique. Dans une scène apocalyptique, Mike Hammer et Velda parviennent à s’enfuir vers la plage et retournent finalement à la mer, source de toute vie.
Ce film noir aux accents surréalistes est une parabole effrayante et comique de la situation de l’époque: tous les thèmes sont abordés – de l’architecture à la musique en passant par les formes d’union non maritales : mais il évoque également – de manière peu subtile il est vrai – le problème de l’autodestruction de l’humanité conséquente à l’utilisation abusive de découvertes scientifiques et technologiques – telle la fission nucléaire – ou l’incapacité des êtres humains à manier ces technologies avec un réel sens des responsabilités.
Si l’on regarde le film à la lumière de ces considérations, on constate que sa composition formelle est d’une précision séduisante. Sa moindre qualité n’étant pas de traduire avec talent le thème complexe de la responsabilité de certaines découvertes technologiques en une rhétorique de fin du monde à l’ère nucléaire. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
L’histoire
Le détective privé Mike Hammer (Ralph Meeker) recueille une jeune femme – Christina (Cloris Leachman) – qui fuyait sur l’autoroute. Mais Christina est torturée puis tuée par un groupe d’hommes qui s’emparent d’elle. Mike lui-même n’échappe que de peu à la mort. Mike apprend la mort de Christina et décide de retrouver la trace des assassins. Il fait la connaissance de Lily Carver (Gaby Rodgers), l’amie de Christina. Son enquête lui fait découvrir qu’un savant nommé Raymondo est mort sur l’ordre du gangster Carl Evello (Paul Stewart). La voiture de Mike est piégée mais le détective échappe – une nouvelle fois – à une mort violente. Nick (Nick Dennis), le fidèle ami garagiste de Mike est assassiné et Velda (Maxine Cooper ), tout à la fois secrétaire et maîtresse de Mike, est enlevée. Prisonnier du gang, Mike parvient à lui échapper et comprend qu’une mystérieuse mallette est à l’origine de toute l’histoire. Son ami, le policier Pat (Wesley Addy), lui fait comprendre l’importance de l’affaire en lui disant : « Manhattan Project Los Alamos Trinity » ¬. Mike se rend dans la demeure du docteur Soberin (Albert Dekker), au bord de la mer. C’est là que se trouvent à la fois la mallette et Lily. Celle-ci abat le docteur Soberin et ouvre le feu sur Mike qui réussit à fuir avec Velda. Lily ouvre la mallette et déclenche le feu du ciel provoquant immédiatement la destruction de la maison de Soberin et sa propre mort.
Les extraits



Bonus
Découvrez, dans son intégralité, l’article dédié, par François Truffaut, au film de Robert Aldrich, lors de sa sortie en 1955, Kiss me deadly (En quatrième vitesse).
Sur une route, la nuit, une fille nue sous un imperméable tente vainement d’arrêter une voiture. En désespoir de cause, elle se précipite au-devant d’une Jaguar qui fait une embardée pour l’éviter : « Montez ! » Et sur ce trajet de la voiture, se déroule à l’envers le générique le plus original depuis des années, ponctué par le halètement de la fille.
Il est inutile de chercher à raconter le scénario de Kiss me deadly (En quatrième vitesse) d’autant qu’il faut voir le film plusieurs fois avant de s’apercevoir qu’il est construit solidement et qu’il raconte une histoire, en définitive, assez logique.
La jolie auto-stoppeuse est assassinée. Mike Hammer, détective privé et propriétaire de la Jaguar, mène l’enquête ; aux trois quarts du film, il est tué d’une balle de revolver mais ressuscite trois minutes plus tard. Si Kiss me deadly est le film américain le plus original depuis The Lady from Shangaï d’Orson Welles, il ne possède point ses multiples résonances et ne gagne guère à être analysé sur le plan de la signification de l’intrigue.
Le roman de Mickey Spillane d’où a été tiré le film est évidement assez médiocre. Une dizaine de personnages s’y entretuent pour quelques milliers de dollars enfermés dans une boîte en fer blanc. L’astuce des auteurs du film est d’avoir gommé tout ce qu’il y avait de trop sottement précis dans le livre au profit d’éléments purement abstraits, voire féeriques. C’est ainsi que la boîte en fer blanc – dans le film – renferme non plus des billets de banque, mais une sorte de boule de feu qui irradie et brûle quiconque la regarde en face. Lorsque le héros du film, après avoir entrouvert la boîte, se retrouve avec le poignet brûlé, comme la peau des survivants d’Hiroshima, un policier, considérant la brûlure, lui adresse quelques mots et l’histoire, tout à coup, devient très grave : « Ecoutez Mike, écoutez-moi bien ! Je vais prononcer quelques mots inoffensifs mais très importants. Essayez d’en deviner la signification : Plan Manhattan … Los Alamos … Trinity. » Tel est le subterfuge imaginé par Aldrich pour que le mot atomique ne soit pas prononcé une seule fois au cours de ce film qui sur une sorte de cataclysme : la boîte de Pandore est par une gamine trop avide et curieuse, le « soleil » se met à tout brûler autour de soi tandis que le héros et sa maîtresse se r dans la mer et qu’apparaît le mot FIN.

Pour apprécier Kiss me deadly, il faut aimer passionnément le cinéma et conserver un souvenir ému des soirées au cours desquelles nous furent révélés des films tels que Scarface, Under Capricorn, Le Sang d’un poète, Les Dames du Bois de Boulogne ou The Lady from Shangaï . Nous avons aimé des films qui reposaient sur une, vingt ou cinquante idées. Dans les films de Robert Aldrich, il n’est pas rare de saluer une idée par plan. Ici la richesse d’invention est telle qu’il nous arrive de ne plus savoir quoi regarder dans l’image, trop pleine et trop généreuse. A regarder un film de ce genre, on vit si intensément que l’on voudrait le voir durer plusieurs heures. On devine facilement l’auteur, un homme débordant de vitalité qui se trouve aussi à l’aise derrière une caméra qu’Henry Miller devant sa page blanche. Voilà bien le film d’un jeune cinéaste qui ne songe pas encore à s’encombrer de contraintes, qui avec une liberté, une gaieté qui devaient être celles de Jean Renoir lorsque, ayant le même âge qu’Aldrich, il tournait dans forêt de Fontainebleau un Tire au flanc échevelé.
Il est certain que l’événement cinématographique pour 1955 sera pour nous la révélation de Robert Aldrich ; au 1″ janvier, nous ignorions jusqu’à son nom. Il y a eu World for Ransom (Alerte à Singapour), petit film cocasse tourné dans les conditions du cinéma d’amateur, Bronco Apache poétique et délicat, Vera Cruz farce violente, The Big Knife (Le Grand couteau) qui vient de décrocher une grosse timbale à Venise et enfin Kiss me deadly qui, en dépit d’un scénario imposé, cumule les qualités des précédents.
Il faut voir Kiss me deadly car, si l’on connaît les conditions dans lesquelles se tournent les films d’aujourd’hui, on ne pourra qu’admirer l’extraordinaire liberté dont a bénéficié celui-ci, que l’on se surprend à maintes reprises à comparer au Sang d’un poète de Jean Cocteau, classique favori des ciné-clubs. (1955)
[Les films de ma vie – François Truffaut – Ed. Les Films de ma vie – Champs Contre-Champs (1975)]

LE DÉTECTIVE PRIVÉ DANS LE FILM NOIR
Si tout le monde s’accorde à considérer The Maltese Falcon (Le Faucon maltais) comme le point de départ de la période classique du film noir, cela signifie que le privé est depuis le départ la figure emblématique du genre. Qu’on l’appelle privé, limier ou fouineur, le prototype du héros du film noir est issu des polars hard-boiled, de la littérature à deux sous qui remplissait les pages de magazines bon marché comme Dime Detective ou Black Mask au début de années 1920.
- LIFEBOAT – Alfred Hitchcock (1944)
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
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