Histoire du cinéma

Hollywood et le nazisme

Le cinéma américain pouvait difficilement ignorer la réalité du nazisme et du fascisme en Europe, mais les réflexions qu’elle lui inspira ne furent pas toujours à la hauteur de ce qu’on en attendait. Elles allèrent d’une certaine indifférence à la neutralité, avec de rares moments de franche opposition.
Pendant les années 30, dans le milieu du cinéma, pour vouloir faire connaître leurs idées sur ce phénomène politique, et plus d’un groupe social influent considéra qu’il était de son devoir de prendre position, mais Hollywood, imperméable aux idées progressistes, préféra s’engager dans la voie beaucoup plus sûre de l’indifférence et du compromis.

Idéologies de gauche

A Hollywood, à cette époque, la plupart des hommes de gauche étaient des réfugiés européens ou des gens de théâtre. Parmi ces derniers on pouvait compter Clifford Odets, John Wexley, John Howard Lawson, Lester Cole et Albert Maltz (ces derniers figureront plus tard sur la fameuse liste des « dix de Hollywood », c’est -à-dire parmi les premières victimes de la chasse aux sorcières déclenchée par le sénateur McCarthy).
Le premier travail de Clifford Odets fut l’écriture du scénario de The General Died at Dawn ( Le Général est mort à l’aube, 1936), un film d’espionnage interprété par Gary Cooper. Odets, qui était connu pour ses opinions progressistes, fut accusé par certains de ses amis de les avoir « laissées au vestiaire» et d’avoir écrit un banal film d’aventures.
Pour répondre à ces accusations de lâcheté politique, les scénaristes firent remarquer que leur situation était très particulière : ils étaient payés et employés par des patrons capitalistes et réactionnaires qui n’auraient pas compris que l’on transforme un long métrage en pamphlet politique. Ce fut justement l’ambiguïté de cette situation qui poussa les scénaristes à s’organiser et à créer la Screen Writer’s Guild. Un même esprit de révolte animait les acteurs et les cinéastes. Parmi les chefs des « insurgés », les plus acharnés à faire reconnaître les nouvelles corporations étaient souvent les plus engagés dans le combat idéologique, notamment au sein de la ligue antinazie.
Les dirigeants du parti communiste, comme d’ailleurs la majorité des progressistes les plus connus, étaient le plus souvent des syndicalistes qui avaient déjà affirmé leur position lors de la guerre civile espagnole.
Pour tous, Hollywood apparaissait, dans les années 30, comme une citadelle du conservatisme, et il faut admettre que les grandes compagnies ne faisaient rien qui pût corriger cette impression. De nombreux magnats du cinéma avaient bien sûr connu la pauvreté au cours de leur enfance, et ceux-là étaient justement souvent les plus conservateurs : ils défendaient jalousement leurs biens et leurs prérogatives, et ne voulaient rien tenter qui risquerait de les leur faire perdre. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]

Juarez de William Dieterle (1939) avec Paul Muni, Bette Davis, Brian Aherne, Claude Rains

Le problème des pays étrangers

La situation du marché outre-Atlantique eut bien sûr une importance primordiale sur les positions conservatrices de Hollywood. Traditionnellement, les maisons de distribution américaines tiraient leurs bénéfices de l’exploitation européenne, après avoir récupéré les coûts de production grâce à l’exploitation nord-américaine. Dans les années 30, les pays étrangers devinrent de plus en plus sensibles et attentifs à la manière dont ils étaient dépeints dans les films américains.
Il fallait tenir compte du fait que les Japonais coupaient régulièrement toutes les scènes où les protagonistes échangeaient un baiser, et que les Anglais avaient tendance à soupçonner d’ingérence politique tout film se déroulant dans leurs colonies. The Bitter Tea of General Yen (La Grande muraille, 1933), de Frank Capra, fut interdit dans tout l’empire britannique parce qu’il montrait un mariage inter-racial entre un Chinois et une femme blanche.
La situation politique en Europe, particulièrement instable, n’était pas sans créer certains problèmes. L’Italie décida d’interdire des films comme Clive of lndia (1935) The Lives of a Bengal Lancer (Les Trois Lanciers du Bengale, 1935), et The Charge of the Light Brigade (La Charge de la brigade légère, 1936), sous prétexte qu’ils contenaient des éléments de propagande probritannique. L’Allemagne nazie et les territoires qui passèrent progressivement sous son contrôle refusèrent de montrer les films interprétés par Mae West, Johnny Weissmuller, Francis Lederer, Fred Astaire et Ginger Rogers, Warner Oland, George Arliss et Jean Hersholt pour toute une série de raisons à la fois raciales et politiques.
Ces restrictions furent une cause de soucis constants pour les capitaines de l’industrie hollywoodienne, entièrement préoccupés de rentabilité financière, au point qu’ils décidèrent de se limiter à la réalisation de films de pur spectacle, exempts de toute allusion politique qui pourrait perturber leur carrière financière.
Obsédés par la dépression économique et par la perspective de connaître une crise de l’ampleur de celle qui avait bouleversé la fin des années 20, les Américains regardaient en général l’Europe avec une indifférence marquée, considérant avec répugnance la possibilité d’un nouveau conflit mondial. De fait, dans le sillage de la motion Pittman sur la neutralité (août 1935) et à la suite de l’installation à des postes clefs de sénateurs résolument isolationnistes, le président Roosevelt ne parvint pas à convaincre le pays d’adopter une position claire et nette face au fascisme.

La Grande Muraille (The Bitter tea of General Yen) de Frank Capra (193) avec Barbara Stanwyck, Nils Asther

Pour ou contre l’Espagne en guerre

L’invasion italienne en Éthiopie (1935) laissa l’Amérique assez indifférente, mais l’année suivante, le début de la guerre civile espagnole souleva par contre quelques commentaires. Malgré cette réalité brûlante, le film de la Paramount The Last Train From Madrid (Le Dernier Train pour Madrid, 1937), se déroulait dans les compartiments d’un train traversant une Espagne qui n’avait rien à voir avec la triste réalité de la guerre civile. Une fois encore le vieux réflexe des grandes compagnies américaines – qui faisaient tout dépendre de la rentabilité – avait joué dans le sens de l’indifférence. Quand le producteur indépendant Walter Wanger produisit Blockade (Blocus, 1938), un film sur la guerre écrit par John Howard Lawson, le Hays Office et les financiers de l’United Artists, qui distribuait le film, apportèrent tant de modifications et mutilèrent le film à un point tel que la version finale ne ressemblait plus en rien au sujet imaginé par Lawson et Wanger. Déjà victime d’une censure politique manifeste, Blocus donna lieu à des polémiques passionnées. En raison de fortes pressions exercées par les associations catholiques qui s’identifiaient à quiconque luttait contre les « rouges » espagnols, l’importante chaîne de cinémas appartenant à la Fox refusa de projeter le film sur la côte Ouest. Dans plusieurs villes du Michigan, du Nebraska, de la Louisiane et de l’Ohio, des piquets de grève organisés par les autorités religieuses locales obtinrent le même résultat.

Blocus (Blockade) de William Dieterle (1938) avec Henry Fonda, Madeleine Carroll, Leo Carrillo, Vladimir Sokoloff

Le public veut se distraire

Ce n’est qu’à la fin des années 30 que Hollywood reconnut, avec bien des réticences, que la menace d’une guerre se précisait. En 1938, le rapport du Hays Office sur l’industrie cinématographique avait lancé un avertissement sévère en déclarant que le public payait pour se distraire et non pour subir de la propagande camouflée. Un an plus tard, il déclarait cependant qu’il n’y avait aucune contradiction entre les impératifs économiques du marché américain et le fait d’élever le niveau de conscience du public. En dépit de ces assertions qui tenaient compte des changements décisifs survenus en Europe pendant la dernière année de paix, un examen attentif de la production cinématographique de 1939 montre que la préférence du public allait toujours vers des films tels que Abe Lincoln in Illinois de John Cromwell, Young Mr. Lincoln (Vers sa destinée) de John Ford et Mr Smith Goes ta Washington (M. Smith au Sénat) de Frank Capra.
Un film mis en évidence la désapprobation de l’Amérique face aux régimes autoritaires d’Allemagne et d’Europe centrale. Juarez de William Dieterle, où Paul Muni interprétait le rôle du président mexicain élu par le peuple et Brian Aherne celui de Maximilien de Habsbourg, placé sur le trône sur décision de Napoléon III. Dans le matériel publicitaire destiné à assurer le lancement du film, les rédacteurs du bureau de presse de la Warner Bros faisaient une comparaison entre le Mexique de 1863 et la Tchécoslovaquie de 1939. Les auteurs du scénario, qui se définissaient comme progressistes et interventionnistes, étaient John Huston et le réfugié allemand Wolfgang Reinhardt.

Voici la marine (Here Comes the Navy) de Lloyd Bacon (1934) avec James Cagney, Pat O’Brien, Gloria Stuart

Opposition ouverte au nazisme

Toutefois, la prise de position antinazie la plus résolue de la Warner Bros fut Confessions of a Nazi Spy (Les Aveux d’un espion nazi, 1939), inspirée par l’expérience de Leon Turrou, un ancien agent du F.B.I. qui avait réussi à démanteler un réseau d’espions allemands caché dans les rangs du German American Bund, une organisation américaine aux positions clairement hitlériennes. L’équipe des collaborateurs de ce film était un microcosme de ce qu’on pouvait trouver de plus « à gauche.» à Hollywood. Le scénario était de MiIton Krims et John Wexley, tous deux hommes d’extrême gauche, et la réalisation était due à un réfugié juif ayant échappé aux nazis, Anatole Litvak. La vedette du film était Edward G. Robinson, un juif progressiste très influent à Hollywood dans le clan des « politiques».Confessions of a Nazi Spy rencontra une très vive hostilité, Harry et Jack Warner reçurent des menaces par téléphone, et une salle de cinéma du Milwaukee fut incendiée par une bande de sympathisants nazis furieux que le film n’ait pas été interdit. Pour Hans Thomsen le chargé d’affaires allemand auprès de Washington, ce genre de film diffamatoire pouvait empoisonner les relations entre les deux pays.
Bien qu’il semble un peu primaire aujourd’hui, Confessions of a Nazi Spy représenta une pierre angulaire dans la politique étrangère américaine. Il délivrait un message simple et compréhensible par tous, qui définissait avec précision la position des Etats-Unis vis-à-vis de l’Allemagne. Harry et Jack Warner nourrissaient une haine particulière à l’égard des nazis, due non seulement à des options philosophiques différentes, mais aussi au meurtre de leur représentant commercial à Berlin, exécuté dans une ruelle par des tueurs nazis. Cependant, le film contenait une dose d’antinazisme telle que l’industrie cinématographique craignit de se mettre à dos la minorité allemande vivant aux Etats-Unis et les frères Warner décidèrent de mettre un frein à leurs attaques directes envers l’Allemagne national-socialiste.

Les Aveux d’un espion nazi (Confessions of a Nazi Spy) d’Anatole Litvak (1939) avec Edward G. Robinson, Francis Lederer, George Sanders

Une formule très efficace de propagande interventionniste fut constituée par une série de films de guerre, délibérément militaristes, qui se faisaient les apôtres d’une défense nationale musclée. Here Cornes the Navy (Voilà la marine, 1939), Devil Dogs of the Air (Le Bousilleur, 1935), Submarine D.l. (Le Sous-marin, 1937) et Wings of the Navy (Les Ailes de la flotte, 1939) furent tous réalisés par Lloyd Bacon, un officier de réserve de la marine, et financés par les Cosmopolitan Productions de William Randolph Hearst.
Ces films anticipaient ceux de la guerre, notamment Action in the North Atlantic (Convoi vers la Russie, 1943), toujours de Bacon et traitant des exploits de la marine marchande, et Lady Courageous (1944), un film de John Rawlings qui encourageait les femmes à s’engager dans l’aviation comme auxiliaires.
Pendant l’été 1939, en dix jours seulement, l’attitude du monde du cinéma américain vis-à-vis de l’Europe changea complètement. Jusqu’à cette date le maître mot de Hollywood face à la situation mondiale avait été : prudence. Mais le 23 août, Ribbentrop et Molotov signèrent le fameux pacte germano-soviétique de non-agression et le 1er septembre, l’Allemagne envahit la Pologne. L’existence du pacte brisa l’alliance entre les libéraux et les communistes de Hollywood, et provoqua la dissolution immédiate de la ligue antinazie. La déclaration de la guerre plongea la capitale du cinéma dans l’incertitude puis dans l’angoisse. Cependant, ce n’est que deux ans plus tard que l’intervention américaine, provoquée par l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, dissipa les doutes et incita les grandes compagnies à produire des films patriotiques.

La Charge de la brigade légère (The Charge of the Light Brigade) de Michael Curtiz (1936) avec Errol Flynn, Olivia de Havilland, Patric Knowles

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