Lors de son voyage vers Sandrock, où elle doit épouser un beau jeune homme contacté par petite annonce, Susan Bradley sympathise avec un groupe de femmes qui se rendent elles aussi dans cette bourgade afin d’y travailler dans le nouveau restaurant Harvey. Mais arrivée à destination, Susan découvre que le « beau jeune homme » ne correspond pas du tout aux descriptions de ses lettres… Pur produit de la Freed Unit, le film de George Sidney offre à Judy Garland l’un de ses rôles les plus populaires. ainsi qu’un Oscar de la meilleure chanson. Genèse d’un western musical.

Les véritables pionniers de l’Ouest américain auraient sans doute été amusés de découvrir la manière dont la MGM a dépeint leur univers dans The Harvey Girls (les Demoiselles Harvey). Revu par le flamboyant directeur artistique Cedric Gibbons, le Far West est ici un décor aux couleurs d’autant plus pimpantes qu’elle sont accentuées par le Technicolor. Et le décalage est encore souligné par le fait que les personnages chantent à qui mieux mieux, qu’ils soient tristes ou gais. Mais c’est justement de cette artificialité que la comédie musicale en général, et celle-ci en particulier, tire son pouvoir. L’histoire rude et souvent violente des colons de l’Ouest – une histoire qui, pour les spectateurs de 1946, n’est révolue que depuis deux ou trois générations – se mue par la grâce du cinéma en une épopée joyeuse et simple, pour laquelle on peut éprouver une nostalgie de bon aloi… Judy Garland était donc l’héroïne rêvée pour un tel film, avec ses yeux de biche et sa détermination à toute épreuve. Comme dans Meet me in St. Louis (Le Chant du Missouri) et Easter parade (Parade de Printemps), la star revisite avec The Harvey Girls un épisode mythique de l’histoire des États-Unis, ce qui augmentera encore l’affection qu’éprouve pour elle une grande partie du public américain.

Comme l’explique son générique, The Harvey Girls se veut un hommage aux premières serveuses d’une célèbre chaîne de restaurants américains. Adapté d’un livre de Samuel Hopkins Adams, le film évoque de façon romancée la manière dont les établissements ouverts à la fin du XIXe siècle par l’homme d’affaires anglais Fred Harvey ont contribué à « civiliser » le sud-ouest des États-Unis. Situés sur la ligne de chemin de fer appartenant à la compagnie Atchinson, Topeka and Santa Fe Railway, ces restaurants. qui proposaient aussi des chambres, étaient des endroits bien tenus et, surtout, « décents », contrairement aux saloons où les cow-boys se mêlaient aux prostituées. Les « Harvey Girls », venues souvent des grandes villes de l’Est, étaient donc recrutées pour leurs bonnes manières et leur vertu, ce qui ne rendait pas toujours facile leur intégration dans les petites communautés du Wild West…

La MGM a d’abord acquis les droits du livre The Harvey Girls pour en faire un drame mettant en valeur Lana Turner. Mais suite au triomphe du spectacle Oklahoma !, de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein, Arthur Freed et son équipe se disent que le roman pourrait fort bien donner lieu à un western musical. Le projet est donc confié au réalisateur George Sidney (qui vient déjà de signer pour le studio Thousands Cheer (La Parade aux étoiles), Bathing beauty (Le Bal des sirènes), et Anchors aweigh (Escale à Hollywood), et Lana Turner se voit remplacée par Judy Garland. Laquelle se fait longtemps prier pour accepter ce projet qui ne l’enthousiasme guère : elle préfèrerait jouer face à son idole Fred Astaire dans Yolanda and the thief (Yolanda et le voleur), mais Arthur Freed tient à engager pour ce film Lucille Bremer. Judy devra donc attendre Easter parade, en 1948, pour partager enfin l’affiche d’un film avec Astaire – et se contenter pour l’heure du ténébreux John Hodiak, choisi pour lui tenir tête dans The Harvey Girls.

Le reste de la distribution se compose notamment de deux comédiens bien connus de Judy Garland : Ray Bolger, l’épouvantail de Wizard of Oz , et Marjorie Main, la gouvernante de Meet me in St. Louis . Trois autres actrices sont aussi de la partie : Virginia O’Brien, Angela Lansbury, et Cyd Charisse, dont c’est le premier rôle parlant (ses apparitions à l’écran s’étaient limitées jusqu’alors à des numéros de danse). Le tournage, qui a lieu du 12 janvier au 4 juin 1945, est souvent ralenti par les absences de Judy Garland, déjà en proie à l’époque à des problèmes personnels. Les dernières scènes que doit tourner Virginia O’Brien seront même supprimées, car, du fait de ce retard, la grossesse de l’actrice est devenue trop visible (ce qui explique sa disparition en cours de film). Sorti en janvier 1946, The Harvey Girls récoltera plus de 5 millions de dollars à travers le monde, et gagnera l’Oscar de la meilleure chanson pour « On the Atchinson, Topeka and the Santa Fe » – un morceau de Johnny Mercer et Harry Warren qui va devenir l’un des grands succès de Judy Garland. [Comédie Musicale – The Harvey girls – Eric Quéméré – n°39]





Judy Garland chante « In the Valley when the Evening Sun goes down » sur la plateforme d’un train en marche, devant un cadre westernien qui rappelle les paysages chers à John Ford. Loin de Broadway, The Harvey Girls plonge le spectateur dans un Far West multicolore où, entre quelques coups de poing et chevauchées, les interprètes chantent des lyrics d’Harry Warren et Johnny Mercer.

Judy Garland pense à celui qui l’attend – du moins le croit-elle – en murmurant «When white clouds come sailing to make my wedding gown » et l’arrivée du train à Sandrock déchaîne l’enthousiasme des habitants qui chantent « On the Atchison, Topeka and the Santa Fe » qui demeure le numéro le plus endiablé du film.

Ce cocktail de comédie musicale et de western – il y en eut d’autres, d’Oklahoma à Annie get your Gun – permet à Judy Garland d’intervenir les armes à la main lorsque les Harvey Girls sont privées de la viande qu’elles destinent à leurs fidèles clients – la tradition de Fred Harvey oblige – et Cyd Charisse trouve ici un de ses premiers rôles importants, dansant amoureusement autour de Kenny Baker qui joue du piano et lui chante : « I shall be loving you through all Eternity but if you don’t believe me, wait and see ».

Brillante reconstitution de l’époque, The Harvey Girls joue avec humour et élégance sur le mélange des genres. Ce n’est pas l’une des plus belles réussites de la production cinématographique musicale d’Arthur Freed – même si le film a été un grand succès public – mais la preuve que la Metro-Goldwyn-Mayer est capable de décliner avec talent toutes les formes les plus diverses du musical, de Anchors aweigh à Yolanda and the thief en faisant un détour par Sandrock (Nouveau Mexique).

L’introduction de la valse dans cet univers souvent violent est l’occasion d’une scène particulièrement réussie mais le film souffre de l’absence d’acteurs masculins prestigieux capables soit d’être de véritables chanteurs, soit de puissantes personnalités westerniennes, ce qui n’est le cas ni de John Hodiak, ni de Preston Foster. Face à eux, Judy Garland , Angela Lansbury et – déjà – Cyd Charisse rappellent que The Harvey Girls est – comme son titre l’indique – avant tout une histoire de femmes… [La comédie musicale – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1993)]

L’histoire
1890, Susan Bradley (Judy Garland) se rend à Sandrock pour y épouser un homme qu’elle ne connaît que par ses lettres. Elle fait la connaissance dans le train d’un groupe de Harvey Girls, des serveuses de la chaîne de restaurants de Fred Harvey. A son arrivée, Susan découvre qu’elle a été victime d’une machination et que son « fiancé », H. H. Hartsey (Chill Wills), n’a d’ailleurs aucune envie d’épouser une jeune fille comme elle. Elle devient alors, à son tour, une Harvey Girl. Mais le juge Purvis (Preston Foster), magistrat corrompu, est décidé à expulser les Harvey Girls. Ned Trent (John Hodiak), le propriétaire de l’Alhambra Saloon, finit peu à peu par prendre le parti de Susan et de ses amies dont il admire le courage et la ténacité. Em (Angela Lansbury), qui dirige le saloon, en est très mécontente. Les Harvey Girls introduisent la valse et subjuguent les habitants, d’habitude plus sensibles aux charmes des entraîneuses d’Em, Mais Purvis et ses acolytes se vengent en mettant le feu au restaurant. Trent intervient et rend Purvis hors d’état de nuire. Il met alors l’Alhambra à la disposition des Harvey Girls. Trent épousera Susan avec la bénédiction d’Em.

Programme musicale (sélection)




JUDY GARLAND
Judy Garland à l’instar d’un James Dean ou d’une Marilyn Monroe, est entrée trop tôt dans la légende du cinéma. Personnalité fragile et dépressive, elle n a pas pu surmonter les profondes crises qui entraînèrent sa fin prématurée. Par sa carrière exceptionnelle commencée dès sa plus tendre enfance aussi bien que par sa mort précoce, à quarante-sept ans à peine, Judy Garland est devenue un mythe du monde du spectacle.

MEET ME IN ST. LOUIS (Le Chant du Missouri) – Vincente Minnelli (1944)
par Vincente Minnelli avec Judy Garland, cette comédie musicale de 1944 est un hymne à l’amour et aux joies de la famille. Genèse d’un immense succès.
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