Le Film étranger

NIGHT NURSE (L’Ange blanc) – William A. Wellman (1931) 

En 1931, année du chef-d’œuvre qui l’a rendu célèbre, The Public Enemy (L’Ennemi Public), William A. Wellman tourne trois autres films, Safe In HellThe Star Witness et Night Nurse (L’Ange Blanc). Deux des plus grandes actrices du Pré-Code s’y partagent le premier rôle féminin : Barbara Stanwyck (qui a déjà joué dans Ladies of Leisure de Frank Capra en 1930 et Illicit d’Archie Mayo en 1931) et Joan Blondell, à qui Wellman a offert un petit rôle dans The Public Enemy et qui, au cours des années 1930, tournera pas moins de 56 films pour la Warner Bros. Face aux deux pétroleuses à la vitesse de jeu étourdissante, Clark Gable reprend un rôle initialement prévu pour James Cagney (après son succès dans The Public Enemy , ce dernier refusa d’interpréter un personnage de second plan). 

night_nurse_02

Lora Hart (Barbara Stanwyck) a désespérément besoin de trouver un travail, et elle devient infirmière, sans en avoir le diplôme, en profitant d’un quiproquo. A l’hôpital, elle est initiée par sa collègue Miss Maloney (Joan Blondell), qui lui enseigne notamment le rituel de l’uniforme (habillage / déshabillage) : occasion d’admirer les bas et les sous-vêtements des deux actrices) dans la chambre qu’elles partagent les nuits de garde. Un soir, Lora soigne Mortie (Ben Lyon), un bootlegger blessé par balle, sans signaler son cas à la police. Lora et Miss Maloney réussissent le concours d’infirmière et sont envoyées chez une riche famille, dont les deux petites filles sont gravement malades, sous le regard absent de leur mère alcoolique qui, de fête en fête, ne dessaoule jamais. Les enfants sont affamées par un médecin véreux, avec la complicité du chauffeur de leur mère, Nick (Clark Gable), déterminé à mettre la main sur leur héritage. C’est sans compter l’intervention des deux infirmières, vite muées en justicières, avec l’aide du bootlegger  aussi sensible qu’elles à l’injustice. 

night_nurse_03

William A. Wellman ne filme pas le personnage archétypal de l’infirmière comme un pur objet de désir et de fantasmes, même si plusieurs scènes, au début du film, assument avec humour la confusion entre la fonction d’infirmière et celle de strip-teaseuse. Les séquences de déshabillage sont menées avec un mélange de naturel décontracté et de vitesse qui définit bien ce que serait « l’éternel féminin » selon Wellman : une femme qui n’a jamais honte d’elle-même (ni de son corps, ni de ses désirs, ni de ses principes), et accomplit sa destinée tambour battant, sans se laisser décourager par les obstacles, les injustices ou les inégalités qui frappent ses origines sociales et son sexe. Les deux infirmières ne s’en laissent pas compter, et n’hésitent pas à se révolter contre les mains baladeuses et autres remarques sexistes des médecins (« - Parfois je ne t’aime pas. – Si seulement ça pouvait être permanent  ! »)

night_nurse_05

Elles vont très vite se métamorphoser en détectives et justicières, manifestant une solidarité sans faille l’une envers l’autre (la rivalité féminine est absente dans l’univers de Wellman), protégeant deux enfants contre l’alliance des crapules et des puissants qui en veulent à leur héritage, avec la bénédiction des pouvoirs en place (mandarins, juges, policiers), témoins passifs de l’injustice.

night_nurse_04

Les deux petites filles symbolisent la population la plus faible et exploitée de l’Amérique des années 1930, plongée dans une guerre sociale, où ceux qui n’ont rien sont prêts à tout pour s’en sortir, les possédants défendant leurs biens avec violence et cynisme. Dès lors, le combat mené dans Night Nurse par deux jeunes prolétaires, qui ont pourtant tout à perdre (leur travail), prend un sens humain et politique déchirant, d’autant plus que les deux actrices ne basculent jamais dans le sentimentalisme, l’une (Barbara Stanwyck) arborant l’air de défi et de révolte qui fera sa splendeur dans tous ses rôles durant la période du Pr é-Code, l’autre (Joan Blondell), mâchouillant constamment un chewing-gum, y compris au cours de la cérémonie solennelle qui les voit prêter serment à leur profession.  

night_nurse_51

Avec intelligence et l’audace (esthétique et politique) qui caractérisent l’œuvre entière du cinéaste de génie William A. WellmanNight Nurse mélange toutes les figures et inquiétudes de la période du Pr é-Code, cette époque de chaos et de reconstruction qui succède à la Grande Crise. Les parents et familles riches y sont au mieux démissionnaire (la mère alcoolique se fiche éperdument de perdre ses filles, pourvu qu’elle continue à faire la fête) ; les enfants et les pauvres n’ont jamais voix au chapitre ; les voyous sont crapuleux lorsqu’ils s’associent aux puissants (le personnage du chauffeur), et héroïques lorsqu’ils se substituent aux policiers et juges pour défendre les victimes (le bootlegger, figure antithétique de hors-la-loi). La fin du film, d’une amoralité parfaitement assumée et réjouissante, voit ainsi le séduisant bootlegger faire justice lui-même, en expédiant le chauffeur pervers à la morgue, avec l’aide de la pègre.  [Hélène Frappat – Les Trésors Warner, Forbidden Hollywood (2013) ]


Les extraits

CINÉMA ET CENSURE : LE P-CODE
Les scandales qui secouèrent Hollywood dans les années 1920 déclenchèrent une violente réaction puritaine, qui atteint son point culminant avec l’entrée en vigueur du code Hays en 1934.

WILLIAM A. WELLMAN 
Au début des années 1930, Wellman consolide sa position à Hollywood, tournant 17 films en trois ans pour la Warner. Ces œuvres dont la plus connue est The Public Enemy (L’Ennemi public, 1931), font encore l’unanimité aujourd’hui par leur étonnant modernisme et leur ton très personnel.


night_nurse_52


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.