Le Film étranger

A FREE SOUL (Âmes libres) – Clarence Brown (1931) 

A Free soul (Âmes libres) explore l’énigme, le sens héroïque du sacrifice, mais aussi l’ambivalence et la noirceur de la relation amoureuse et filiale qui s’est nouée entre une orpheline de mère, interprétée par Norma Shearer, et son père shakespearien, célèbre avocat issu d’une grande famille patricienne, mais maladivement alcoolique  interprété par Lionel Barrymore.

a_free_soul_01

L’histoire : Stephen Ashe (Lionel Barrymore ) est un brillant avocat qui défend avec succès Ace Wilfong (Clark Gable), un élégant gangster accusé de meurtre. Mais il apprend bientôt que sa fille Jan (Norma Shearer) est tombé amoureuse de son client au point de quitter son petit ami (Leslie Howard) pour le malfrat.  

a_free_soul_12

A Free soul s’ouvre sur une scène très ambiguë : dans l’intimité d’une chambre à coucher, une jeune femme quasi nue demande à un homme âgé de l’aider à choisir ses sous-vêtements. Le couple, en apparence uni par un lien amoureux, se révèle, à la fin de la scène, être un père et une fille. Le film réalisé en 1931 par Clarence Brown (nominé à l’Oscar au titre meilleur réalisateur), explore l’énigme, le sens héroïque du sacrifice, mais aussi l’ambivalence et la noirceur, de la relation amoureuse et filiale qui s’est nouée entre une orpheline de mère, magistralement interprétée par Norma Shearer (nommée au titre de meilleure actrice dans un premier rôle), et son père shakespearien, célèbre avocat issu d’une grande famille patricienne, mais maladivement alcoolique. Le grand avocat, désespéré et cabotin, suicidaire et fantaisiste, est idéalement interprété par Lionel Barrymore, qui reçut pour ce rôle l’Oscar du meilleur acteur, récompensant le morceau de bravoure du film, c’est-à-dire la plaidoirie finale d’une durée de quatorze minutes, qui impliqua le recours à plusieurs caméras (le monologue de Lionel Barrymore est considéré comme la plus longue prise jamais réalisé pour un film de l’époque).   

a_free_soul_06

Un intrus se glisse entre le père et la fille, tellement unis que cette dernière échoue à trouver les prétendants de son milieu attirants – Leslie Howard incarne son fiancé, moralement élégant mais fade. Cet intrus, un gangster cynique, sensuel et brutal défendu par son père, est l’un des archétypes les plus forts du Pré-Code. Le rôle (et particulièrement la gifle violente qu’il donne à Norma Sherer lorsqu’elle le quitte) permit d’ailleurs à Clark Gable d’accéder à la notoriété. 

a_free_soul_02

Pourquoi le gangster est-il l’une des figures les plus séduisantes des films du Pré-Code, avec son versant féminin, la prostituée ? Gangster et prostituée sont deux éléments-clé de la pègre, cet univers que les films du Pré-Code mettent en scène comme un monde souterrain, clandestin (en témoigne l’appartement secret où Shearer aime à mener une vie hors du temps avec Gable), un monde intensément excitant, parallèle à la société américaine constituée de travailleurs diurnes, de familles unies par d’autres valeurs et d’autres lois. A Free soul  organise néanmoins le point de rencontre entre ces deux univers qui ne sont pas aussi disjoints que l’idéologie de la société américaine le fait croire : l’avocat, personnage moralement ambigu, un pied dans la loi et la morale, l’autre dans les compromissions inavouables avec ses clients.   

a_free_soul_10

La force du film est de faire de l’avocat et du gangster deux personnages en miroir. A Free soul  met ainsi en scène le conflit passionnel et violent entre deux formes (au moins) d’addiction. On trouve plusieurs addictions dans le film (Clarence Brown en propose une vision plus large et métaphorique que ne le fait Three on a match, réalisé par Mervyn LeRoy en 1932, récit de la déchéance d’une mère de famille bourgeoise, dont la vie est anéantie par la drogue) : l’addiction d’ordre incestueux qui pousse un père et une fille l’un vers l’autre ; l’addiction sexuelle et passionnelle d’une jeune fille émancipée de la haute société pour un gangster violent et criminel.   

a_free_soul_11

Dans un monde où tous les habitants ont perdu leur raison de vivre (l’argent ? le pouvoir ? le sexe ?), dans une société qui peine à dicter ses normes de moralité et de bonheur, les addictions et les rôles sociaux s’échangent, au point que la fille propose à son père ce contrat étrange : elle renoncera à son amant, à condition que son père renonce à l’alcool (aucun des deux ne renonçant à la passion qui les lie…).   

a_free_soul_09

Qui, finalement, est « libre  » ? Telle est la question profonde que le film pose à ses spectateurs. Est-ce la jeune femme bien née qui répond à son attirance sexuelle pour un gangster, tout en refusant de l’épouser ? (La grande bourgeoise veut le sexe asocial et clandestin ; le hors-la-loi réclame la norme.) Est-ce son père, qui méprise les préjugés de son milieu d’origine, tout en refusant que sa fille se marie en dehors de ce milieu ? 

a_free_soul_14

Tous ces personnages, tragiquement happés par leurs addictions (à l’alcool, à la passion, au sexe, à l’argent, aux liens du sang, à la famille, à la violence), sont-ils des âmes libres, ou bien captives ? A la fin de A Free soul qui, fidèle au style du Pré-Code, préfère de l’ambiguïté et ses abîmes à la platitude sans mystères de la norme, le spectateur demeure longtemps hanté par cette énigme.   [Hélène Frappat – Les Trésors Warner, Forbidden Hollywood (2013) ]


a_free_soul_50

Les extraits

CINÉMA ET CENSURE : LE P-CODE
Les scandales qui secouèrent Hollywood dans les années 1920 déclenchèrent une violente réaction puritaine, qui atteint son point culminant avec l’entrée en vigueur du code Hays en 1934.

LA RÉVOLUTION DU PARLANT : LES VEDETTES APPRENNENT À PARLER
A l’annonce que la Warner produisait des films « parlés » sur la côte Est, plusieurs vedettes de Hollywood furent saisies d’un grand désarroi : elles sentaient bien que pour elles une époque était en train de s’achever.




Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.