De la fleur au fusil au sang et à la boue des tranchées, les images de la Grande Guerre ont hanté l’imagination des cinéastes de tous bords, qu’ils aient ou non participé au conflit.

Au tout début de la guerre et pendant les quelques mois qui suivirent, les médias des principaux pays belligérants déclenchèrent à l’attention de leur public une vague de chauvinisme qui tourna à l’hystérie. Au cinéma cela se traduisit par un déferlement de mélodrames patriotiques, véhicules privilégiés de cette offensive de propagande. La Fille du bourgmestre (1914), The England Expects (1914) ou Das Vaterland (1914) appelaient tous à l’enrôlement, présentant les choses en termes simples dans une perspective purement émotionnelle et chauvine. L’adversaire était un monstre assoiffé de sang et ses soldats, des brutes prêtes à toutes les exactions ignobles (le plus souvent, viols et infanticides). Les Alliés parvinrent ainsi à imposer de façon durable l’image du « boche » bestial. Le pacifiste et l’embusqué devenaient les principales bêtes noires de la nation : dans England’s Call (1914), les portraits de Raleigh et de Wellington s’animent pour adjurer un tire-au-flanc de remplir son devoir. Les pacifistes sont encouragés, à faire taire leurs scrupules dans Englishman’s Home et For the Empire (tous deux de 1914).
De tels films – remarquablement identiques des deux côtés – parvinrent un moment à entretenir la fièvre belliciste ; mais le public s’en lassa dès que les premières nouvelles en provenance du front des Flandres commencèrent à filtrer ; la guerre n’était pas ce qu’on voulait leur faire croire. En France la production cinématographique baissa considérablement. En Grande- Bretagne les prises de vues d’actualités connurent une très grande vogue, d’où découle, en partie, la tradition « documentariste » britannique.
Faire vibrer la fibre patriotique
Ces prises de vues s’abstinrent d’abord de montrer les combats : elles présentaient des troupes à l’entraînement, des villes situées non loin du front ; c’étaient aussi des biographies très tendancieuses de certains chefs militaires, comme The Life of Lord Roberts VC (1914). Mais la pression du public, désireux de connaître la vérité, obligea bientôt les responsables à évoquer les affrontements eux-mêmes. Ce n’était pas facile. Les opérateurs étaient exposés aux mêmes dangers que les hommes de troupe ; il leur fallait, de plus, subir les foudres du haut commandement allié qui ne tolérait que des images « acceptables » des combats, et pouvait les empêcher de tourner, voire exécuter comme espion tout opérateur qui aurait voulu passer outre.
Le cinéma français commercial suivit la même évolution, et les premiers films exploitèrent au maximum la fibre patriotique. D’après René Jeanne et Charles Ford, « leurs auteurs étaient simplement allés chercher leur inspiration dans les récits que publiaient les journaux et qui, très vite, étaient entrés dans le domaine de la légende populaire : Les Gants blancs de Saint-Cyr, Le Héros de l’Yser, La Maison du passeur, La Fille du bourgmestre. Tout le monde s’y mit : Pouctal à qui on doit L’Infirmière (1914, sur un scénario d’Abel Gance), La Fille du boche (1915), Alsace (1915, avec Réjane et Chantecoq (1916), d’après « Cœur de Française» d’Arthur Bernède, qui, des années après, faisait encore frémir Delluc ; Hervil et Mercanton qui réalisaient Mères françaises (1917, avec Sarah Bernhardt, sur un scénario de Jean Richepin) ; Abel Gance, devenu réalisateur qui exaltait L’Héroïsme de Paddy (1916). On eut même un Bout-de-Zan est patriote (1916) de Feuillade et Léonce aime les Belges de Perret (1915), qui avait déjà commis Le Héros de l’Yser et Les Poilus de la revanche (1915), avant d’aller faire œuvre de propagande auprès des Américains avec notamment N’oublions jamais (1916), La Fayette nous voici (1917) et La Rescapée du Lusitania (1917). Le seul film de guerre français à échapper au ridicule fut L’Ame du bronze (1918) d’Henry Roussell, dont Delluc lui-même put écrire : « La guerre est là-dedans, vivante et vraie. » Il n’était que temps.
Du côté allemand, des laissez-passer permettaient aux opérateurs de travailler sur le front même. Les premières prises d’actualités allemandes diffusées à l’étranger causèrent une telle sensation que les Alliés furent contraints de lever toutes les restrictions de tournage, dans l’intérêt même de la propagande de guerre. Un film officiel sur l’armée de l’air britannique, The Eyes of the Army (1916) eut un tel succès qu’il provoqua un véritable engouement pour les documentaires. Geoffrey Malins et J.B. McDowell filmèrent ainsi de nombreux champs de bataille et leurs films furent les premiers à montrer le véritable visage de la guerre moderne : une vie lugubre dans les tranchées, au milieu d’un paysage bouleversé par les cratères d’obus.

Convaincre l’Oncle Sam
Les mélodrames patriotiques du début, comme les documentaires qui suivirent, avaient aussi un rôle de propagande auprès des États-Unis. Ceux-ci, restés neutres au début du conflit, avaient un bon nombre de citoyens d’origine allemande : leur engagement au côté des Alliés n’eut lieu qu’au terme d’incessantes sollicitations. Une suite ininterrompue de films pro-alliés parvint toutefois à faire évoluer peu à peu l’opinion publique, et lorsqu’un film d’actualités montrant la mobilisation alliée, Britain Prepared (1916) sortit outre-Atlantique, il fut accueilli avec enthousiasme, tout comme certains films de Léonce Perret.
Les États-Unis n’entrèrent pourtant en guerre qu’en 1917, et jusque-là le cinéma américain s’en tint à une attitude fermement pacifiste et isolationniste. Fiancées de guerre (War Bride, 1916), de Herbert Brenon, est un apologue pacifiste d’une puissance extraordinaire. Mettant en scène un pays d’Europe imaginaire (mais qui évoque assez l’Allemagne), il raconte l’histoire d’une femme dont le mari et les enfants sont tués à la guerre. Elle entreprend alors de rassembler les femmes, afin qu’elles refusent d’avoir des enfants tant que les hommes continueront à se battre. Elle se suicide lorsqu’elle se rend compte que la guerre existera toujours. La même année Thomas Ince ressuscite le Christ et en fait un opposant à la guerre dans Civilisation. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]

Hollywood part en guerre
Mais de telles tentatives allaient déjà à contrecourant. En 1915 un sous-marin allemand coulait un paquebot civil, le Lusitania : l’opinion publique américaine bascula alors en faveur de l’intervention. L’Invasion des États-Unis (The Battle Cry for Peace, 1915), de J. Stuart Blackton, reflète déjà ce changement d’état d’esprit. Inspiré des écrits du célèbre fabricant d’armes Hudson Maxim (qui nia vigoureusement avoir eu des arrière-pensées intéressées…), le film exhortait l’Amérique à se préparer à la guerre, et montrait ce qui se passerait si une puissance étrangère – qui n’était pas nommée, mais qui faisait irrésistiblement penser à l’Allemagne – faisait débarquer des troupes sur le sol américain. Activement défendu par l’ancien président Theodore Roosevelt, ce fut un gros succès commercial, avec Norma Talmadge en vedette.
Les bellicistes trouvèrent un allié de poids en la personne de Cecil B. DeMille. La Petite Américaine (The Little American, 1917) était interprété par Mary Pickford, « la petite fiancée de l’Amérique », symboliquement nommée « Angela » ; elle était en proie aux attaques d’un « boche» libidineux – de quoi précipiter sur son fusil tout Américain de bonne race. Ce changement d’attitude fut si brutal qu’il prit à contre-pied certains auteurs. Robert Goldstein fut condamné à la prison pour sa description des atrocités anglaises au cours de la guerre de l’Indépendance, dans The Spirit of ‘76 (1917). Quant à D.W. Griffith, après l’échec d’Intolérance (1916), grandiose message de paix, il tourna Cœurs du monde (Hearts of the World, 1918), histoire d’amour située dans un village français assiégé, et dont les sœurs Gish étaient les vedettes. Griffith lui-même entreprit, à grand renfort de publicité, de se rendre sur le front, afin d’y filmer des scènes sur le vif ; mais il s’en servit à peine lors du montage définitif. Comme bien des producteurs après lui, il avait constaté à quel point la vie des tranchées, sinistre et morne, manquait de ce sens épique dans lequel le public voit l’essence même de l‘héroïsme. « D’un point de vue dramatique », déclara … t-il, « la guerre est quelque chose d’assez décevant…
Dès l’entrée en guerre des États-Unis tout fut mis en œuvre pour renforcer les vieux préjugés populaires. Les stars de Hollywood participèrent à des meetings destinés à collecter de l’argent pour l’effort de guerre ; des films comme La Bête de Berlin (The Kaiser/The Beast in Berlin) ou La Fin des Hohenzollern (To Hell with the Kaiser), tous deux de 1918, n’étaient rien d’autre que des appels aux volontaires. Un long métrage d’animation de Winsor McCay (Le créateur de Little Nemo), d’ailleurs très original, The Sinking of the Lusitania (1918), jouait sur la peur et la colère qu’inspiraient les sous-marins allemands.
Charles Chaplin lui-même y alla de son fameux Charlot soldat (Shoulder Arms, 1918). L’humour n’a jamais fait bon ménage avec la guerre ; mais les troupes elles-mêmes, dont les abris de fortune étaient décorés d’images empruntées au folklore de Hollywood, étaient bien les premières à chercher à s’évader du quotidien par l’imagination. Charlot soldat était une vision, très ironique mais pleine de tendresse et de compassion, de l’absurdité de la vie dans les tranchées, et une évasion par le rire dont le public avait grand besoin.

La « der des der » ?
Dès l’approche de la fin de la guerre, on cessa presque complètement d’en parler au cinéma. Le sentiment général était que le passé était révolu, et qu’il valait mieux se tourner vers l’avenir. Le conflit mondial devint même un sujet tabou. Seuls quelques films reprirent les vieux clichés revanchards, comme Châtiment (Behind the Door, 1919), d’lrvin Willer, supervisé par Ince, et dans lequel le commandant d’un sous-marin allemand est écorché vif par le seul survivant d’un des bateaux qu’il a coulés. Le J’accuse (1918) d’Abel Gance, remarquable plaidoyer plein de passion en faveur de la paix, est une exception digne d’éloges, avec sa scène fameuse du « réveil des morts » d’un lyrisme cinématographique grandiose. L’après-guerre voit s’opérer de profonds changements dans le monde du cinéma. En France et en Angleterre l’industrie cinématographique avait lourdement souffert du conflit, et de la grave crise financière qui l’avait suivi. Hollywood, par contre, avait prospéré et s’était emparé de la première place. En Union soviétique la décennie qui suivit 1917 vit apparaître certaines des plus grandes œuvres des réalisateurs soviétiques. Mais, bien qu’ils n’aient cessé de s’inspirer des événements contemporains, ils accordaient peu d’intérêt à la guerre, vu l’importance historique, plus grande pour eux, de la révolution d’Octobre. En Allemagne le mouvement expressionniste connut une brève floraison dans les années 20, mais fut bientôt supplanté par les productions à l’américaine, avant de l’être par la toute-puissante idéologie nazie. D’ailleurs la Première Guerre mondiale n’évoquait guère pour les Allemands que le cuisant souvenir de la défaite et, disaient les militaires, de la trahison. Certains films tardifs comme L’Aube (Morgenrot, 1933), évocation de l’esprit de sacrifice des sous-mariniers, ou Stosstrupp 1917 (1934), vision romantique des troupes de choc, exaltaient cependant les vieux thèmes héroïques.
Aux Etats-Unis, la vision de la guerre donnée par le cinéma épouse étroitement les changements d’attitude du public face au militarisme. Une fois passé l’apaisement de l’armistice, elle redevint un sujet à la mode, et si la plupart des films critiquaient l’énorme gâchis humain et matériel, cela n’allait pas sans une certaine nostalgie. Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (The Four Horsemen of Apocalypse, 1921) de Rex Ingram, l’un des premiers du genre, illustre parfaitement cette ambiguïté. S’il est apparemment pacifiste, il donne de l’ennemi une peinture si’ épique, les scènes de bataille y sont si bien enlevées, que le ton en est ouvertement martial.

La Grande Parade (The Big Parade, 1925) de King Vidor est sans aucun doute le plus grand film de guerre de cette époque. L’histoire d’amour est assez médiocre et sentimentale, mais l’Amérique en guerre, vue par les yeux d’un héros anonyme, est recréée avec puissance et férocité. Tournée avec l’aide de l’armée américaine et de nombreux vétérans (figurants ou conseillers), l’œuvre culmine par la reconstitution à grande échelle de l’attaque du Bois Belleau, en juin 1918, au cours de laquelle Vidor exprime remarquablement la tension et l’angoisse par de subtiles variations dans le rythme de la narration. Au service de la gloire (What Price Glory ?, 1926), de Raoul Walsh, est aussi spectaculaire, mais son message antimilitariste pâtit de l’exubérance des deux héros, joués par Victor McLaglen et Edmund Lowe, deux amis qui, dans la vie, mettent à se combattre la même ardeur qu’à affronter les Allemands. Isn’t Live Wonderful ? (1924), de Griffith, poignante étude des souffrances et des misères de l’Allemagne d’après-guerre, paraît en comparaison infiniment moins belliqueux. Il est révélateur qu’il ait été interdit par la censure française.

Les Ailes (Wings 1927), de William Wellman, fut l’un des premiers à tabler sur la valeur spectaculaire des combats aériens. Les as de l’aviation, engagés dans d’exaltants combats d’homme à homme, étaient les derniers chevaliers à avoir pu conserver leur individualité, face au mortel anonymat de la guerre de tranchées et à son atroce boucherie mécanisée ; la guerre aérienne permettait au contraire un retour à l’héroïsme d’autrefois. Wellman raconte une histoire tragique, et son évocation du no man’s land est particulièrement amère, mais il est évident que les affrontements entre avions auront, dès le départ, le rôle principal. Les Anges de l’enfer (Hell’s Angels, 1930) comporte des prises de vues aériennes qui resserviront plus tard dans des films à petit budget. La même année, La Patrouille de l’aube (Dawn Patrol, refait en 1938 avec Errol Flynn et David Niven) de Hawks s’efforça de renoncer aux légendes, en racontant l’histoire d’une escadrille anglaise décimée par un ennemi plus efficace.
La paix des braves
Le pacte de Locarno, signé en 1925, réintégra l’Allemagne dans la communauté internationale; la détente qui s’ensuivit donna lieu aux grands films pacifistes de l’époque comme A l’Ouest rien de nouveau (All Quiet on the Western Front) de Lewis Milestone, Quatre de l’infanterie (Westfront 1918), de G.W. Pabst tous deux de 1930, et Tell England (1931) d’Anthony Asquith. Le film de Milestone (une nouvelle version tournée en 1980 est loin d’avoir sa puissance et sa passion) est sans doute le plus célèbre de tous ceux consacrés à la Première Guerre mondiale. Cette adaptation du fameux roman d’Erich Maria Remarque raconte la décimation d’un groupe de jeunes appelés allemands : la guerre y perd toute son aura romantique, et le message pacifiste de l’œuvre, subtilement, prend à rebours les préjugés du public, en l’amenant à sympathiser avec des personnages non plus américains, mais allemands.
Le film de Pabst raconte une histoire à peu près identique, mais cette fois les soldats sont français : le côté horrible, sordide, de la vie dans les tranchées est dépeint avec un réalisme amer et poignant qu’on a parfois jugé très supérieur à celui du film de Milestone. Celui d’Anthony Asquith est sans doute le moins convaincant des trois, gâché, il est vrai, par une apologie nostalgique du système de castes britannique. Mais il est sauvé par sa profonde humanité. Les deux jeunes héros sont envoyés à Gallipoli, où ils assistent à la lente dégradation des vieux idéaux – l’honneur, la loyauté – qui les ont poussés à s’engager. L’un des deux est finalement tué lors d’un raid sur les tranchées turques. Un film australien, Gallipoli (1981), de Peter Weir, reprend curieusement une intrigue analogue, mais accorde davantage l’attention au réalisme quotidien et aux problèmes de nationalité.

Vers la même époque, le cinéma français donnait aussi un grand film de guerre avec Les Croix de bois (1931) de Raymond Bernard, d’après le livre à succès de Roland Dorgelès, interprété par Charles Vanel, Pierre Blanchar et d’autres acteurs tous remarquables. L’effort d’authenticité était réel et ce fut une réussite que Howard Hawks voulut refaire peu après, dans un remake rebaptisé Le Chemin de la gloire (The Road to Glory, 1936). En dépit du grand talent de Hawks, le film de Raymond Bernard demeure plus vrai, plus proche de la réalité de la guerre. La voie lui avait été montrée en 1929 par Léon Poirier qui avait réalisé un film assez inégal, Verdun, vision d’histoire, dont le grand mérite était d’intercaler au milieu des scènes de fiction de nombreux fragments d’actualités montrant Foch Pétain, Guillaume II et les combattants des tranchées… Ce premier pas vers la recherche de l’authenticité parut à l’époque une innovation presque révolutionnaire. Précurseur oublié, Poirier devait faire des disciples.
Les deux plus grands films pacifistes des années 30 n’auront malheureusement réussi qu’à se faire interdire en Italie et en Allemagne. La Grande Illusion (1937) de Jean Renoir est une peinture, un peu idéalisée peut-être, de la vie dans un camp de prisonniers : sujet inhabituel et très symbolique, notamment avec le personnage incarné par Erich von Stroheim. Gance tourna une nouvelle version de son J’accuse en 1937, aussi mal reçue par une droite toujours militariste que par une gauche devenue belliciste. Gance et Renoir redoutaient que tout ne recommençât…

Préparer les esprits
A l’approche du conflit de 1939, le cinéma français multiplia soudain les évocations de la Grande Guerre. Aucune œuvre de grande valeur dans cette production d’époque, mais ce qui est significatif c’est sa rapide prolifération. Sa valeur d’avertissement n’était d’ailleurs pas fortuite, et il y avait incontestablement dans tous ces films une volonté clairement manifestée de préparer les esprits à un nouveau conflit franco-allemand ; du reste certains de ces films étaient produits par des exilés d’outre-Rhin dont l’antinazisme agissant trouvait ainsi à s’exprimer. Parmi de très nombreux titres de la production qui va, en gros, de l’Anschluss à la guerre, on ne peut rappeler que les plus marquants comme Le Déserteur (rebaptisé Je t’attendrai, à cause de la censure – 1939) de Léonide Moguy, Les Otages (1939) de Raymond Bernard, sur un scénario de Victor Trivas et Jean Anouilh, Le Héros de la Marne (1938) d’André Hugon avec Raimu, Passeurs d’hommes (1937) de René Jayet, Sœurs d’armes (1937), évocation par Léon Poirier de Louise de Bettignies, héroïne de la Grande Guerre, Deuxième Bureau contre Kommandantur (1939) de René Jayet et Robert Bibal, Mademoiselle Docteur (1937) de Pabst, etc.
On trouve dans ces films un curieux mélange de pacifisme hésitant et de bellicisme mal assuré qui est bien à l’image de l’époque d’incertitude qui les vit apparaître. Ce sentiment d’inquiétude largement partagé en Europe finit par avoir des échos aux Etats-Unis, où l’on réagit comme autrefois, en alertant le public sur les dangers que représentait l’Allemagne nazie. Dans Sergent York (Sergeant York, 1941) de Howard Hawks, subtil écho de l’état d’esprit du temps, Gary Cooper incarnait un personnage authentique, celui d’Alvin York, simple fermier du Tennessee que ses convictions religieuses avaient amené en 1917, à refuser de porter les armes, et décoré plus tard pour sa conduite héroïque sur le front. Le film a quelque chose de tragiquement ambigu (un homme devient un héros en allant contre ses convictions) mais la « conversion » de York puis sa conduite exemplaire sont avant tout une affirmation triomphante de la nécessité de se préparer à la guerre.

Les sentiers de l’horreur
Après Pearl Harbour et l’engagement américain dans le conflit, la Première Guerre mondiale perdit toute importance au cinéma. Celle qui était en cours, celle de Corée, puis celle du Viêt-nam, offraient des sujets autrement brûlants à qui voulait mettre en scène l’agressivité de l’espèce humaine. D’ailleurs, et bien qu’il soit désormais possible de l’analyser d’un point de vue historique, la guerre de 1914-1918 refuse de plus en plus obstinément toute tentative d’héroïsation. C’est sur cette image très répandue (celle d’une destruction sans objet) que Stanley Kubrick a même construit Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory, 1957), féroce récit d’un procès en cour martiale, à l’issue duquel trois soldats français sont condamnés à mort et exécutés pour lâcheté devant l’ennemi, en dépit de l’absurdité des accusations portées contre eux. Joseph Losey aborde un sujet semblable, du côté britannique cette fois, avec Pour l’exemple (King and Country, 1964), sur un ton plus retenu. Richard Attenborough a même réussi à faire une comédie musicale satirique, Ah Dieu! Que la guerre est jolie (Oh! What A Lovely War, 1969) sur la vie des tranchées. D’autres théâtres d’opérations comme l’Afrique ou l’Asie ont fourni un cadre à des films évoquant le conflit, mais sont avant tout un décor pour récits d’aventures African Queen (1951), Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, 1962) ou La Victoire en chantant (1976).
Mais la guerre en Europe restera l’exemple même du conflit guerrier clans toute sa féroce cruauté, et ne peut guère se prêter de façon convaincante aux entreprises de glorification chères au grand écran. Telle était la leçon de L’Horizon (1967) de Jacques Rouffio, un des rares films français de la même période à avoir choisi de s’inscrire dans ce cadre historique, comme telle avait été vingt ans plus tôt celle du Diable au corps (1946) de Claude Autant- Lara. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]


LA GRANDE ILLUSION – Jean Renoir (1937)
« La Grande Illusion, écrivait François Truffaut, est construit sur l’idée que le monde se divise horizontalement, par affinités, et non verticalement, par frontières. » De là l’étrange relation du film au pacifisme : la guerre abat les frontières de classe. Il y a donc des guerres utiles, comme les guerres révolutionnaires, qui servent à abolir les privilèges et à faire avancer la société. En revanche, suggère Renoir, dès que les officiers, qui n’ont d’autre destin que de mourir aux combats, auront disparu, alors les guerres pourront être abolies : c’est le sens de la seconde partie, plus noire, qui culmine dans les scènes finales entre Jean Gabin et Dita Parlo, à la fois simples et émouvantes.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
Catégories :Histoire du cinéma
Encore un article riche et passionnant sur un pan de cinématographie qui me passionne. Je n’ai hélas pas eu la chance de voir les films les plus anciens sinon peut être qq uns comme les Cœurs du Monde (superbe photo de Griffith sur le front que vous publiez là). J’aimerais beaucoup voir « la Grande Parade » pour cette séquence au Bois Belleau (cimetière dans lequel Mr Trump à finalement refusé de se rendre samedi dernier pour cause de mauvais temps !).
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