Le Film étranger

BUS STOP (Arrêt d’autobus) – Joshua Logan (1956)

Bus stop (Arrêt d’autobus) est un film qui témoigne du regain d’intérêt de Hollywood pour Broadway au cours des années 1950. La comédie originale avait été montée sur scène en 1955, assurant la célébrité à son auteur, William Inge ; elle constituait le dernier volet d’une trilogie dont les deux premiers avaient été adaptés à l’écran sous les titres Come Back, Little Sheba (Reviens, petite Sheba, 1952) et Picnic (1955). Bus stop, comme Picnic, fut tourné sous la direction d’un metteur en scène de théâtre connu, Joshua Logan, et adapté par George Axelrod, écrivain de Broadway qui s’était fait un nom à Hollywood en 1955 avec l’adaptation cinématographique de sa propre pièce, The Seven Year Itch.

1956, BUS STOP

Excepté Marilyn Monroe, Logan fit appel à des acteurs de Broadway. Don Murray avait fait ses débuts sur les planches dans « The Skin of our teeth » de Thorton Wilder. C’est avec Bus stop qu’il entama sa carrière cinématographique, carrière qui ne tint pas les promesses qu’on attendait d’elle après ce film. Arthur O’Connell, acteur de théâtre, et épisodiquement de cinéma, devint bientôt un des meilleurs acteurs de composition, très recherché par Hollywood. Betty Field et Eileen Heckart se partageaient entre les scènes de Broadway et les studios californiens. Hope Lange, qui devait épouser Don Murray au cours du tournage, y fit ses débuts dans un rôle d’ingénue. Elle deviendra rapidement célèbre et, avec la maturité, une excellente comédienne dans le registre comique tant au cinéma qu’à la télévision. 

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Quand on le revoit aujourd’hui, on perçoit d’emblée tout ce que le film doit au théâtre, en bien comme en mal. Si le film bénéficie en effet de la présence et du métier des plus remarquables professionnels de la scène, sa mise en scène ne parvient pas cependant à échapper aux conventions du théâtre malgré les efforts méritoires du scénariste, Axelrod, pour « aérer » l’intrigue originale dont le cadre se limitait pour les scènes les plus animée après l’épisode du rodéo, au restaurant de Grace. Dans le film, par contre, les séquences d’action se situent à Phoenix dans le bar sordide du Dragon bleu et, bien Sûr au cours du rodéo. Pour cette partie du film, la Fox n’eut guère de mérite puisqu’elle profita de l’organisation d’un véritable rodéo auquel assistaient près de 10 000 personnes. Quant au snack de Grace, il fut « copié » d’un restoroute de Sun Valley qui deviendra après le succès du film, l’attraction touristique de cette petite ville de l’Idaho.

En dépit de cette volonté de réalisme, toutes les scènes qui se déroulent en intérieurs semblent relever d’une esthétique théâtrale et comme rétrécies par les limites du décor. Malgré cet aspect daté et trop scénique, le film est sauvé par la présence lumineuse et vivante de Marilyn Monroe. 

Après la fin du tournage de The Seven year itch, l’actrice avait quitté Hollywood pour un séjour de quatorze mois à New York où elle étudia à l’Actors Studio. Après cette bouderie qui fit beaucoup jaser, elle revint à Hollywood accompagnée de Paula Strasberg, la femme du directeur de l’Actors Studio, Lee Strasberg, qui la conseilla tout au long du tournage de Bus stop. Si l’on ne sait ce que Logan put penser d’une telle présence, d’autres metteurs en scène avec lesquels Marilyn Monroe travailla ne firent pas mystère de leur aversion pour les maîtres et conseillers dont s’entourait l’actrice.

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Que son jeu soit le résultat de la direction de Joshua Logan, des conseils de Paula Strasberg ou tout simplement de l’instinct de Marilyn, peu importe : ce qui compte c’est le résultat. Son talent était-il inné ou fruit d’une longue préparation ? Le débat reste ouvert. Quoi qu’il en soit, on peut difficilement douter des dons comiques de l’actrice. Son interprétation est à la fois spontanée et d’une précision infaillible dans tous les effets, gestes et intonations, et dans la façon dont elle réussit à passer de la comédie au drame. 

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Dans « That Old Black Magic », le numéro qu’elle chante au bar du Dragon bleu, elle est d’un comique irrésistible. Impavide, Cherie débite sa chanson d’une voix fluette sans tenir compte de l’indifférence du public. L’infortunée chanteuse donne le meilleur d’elle-même, tout en cherchant du pied le bouton du projecteur qui l’inondera de lumière rouge. Le courage solitaire de la tendre Cherie rappelle, de façon implicite, les espoirs et les désillusions des propres débuts de Marilyn. C’est d’ailleurs en s’inspirant de son expérience personnelle (méthode qui rejoint tout à fait les enseignements de l’Actors Studio) que Marilyn réussit à exprimer sa touchante fragilité à travers le personnage de Cherie, plein de drôlerie et de candeur. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]

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MARILYN MONROE
Mélange explosif de candeur et de sensualité débordante, Marilyn Monroe est une actrice proche du génie. Sous le maquillage et les atours, elle restait une « petite fille ». Elle ne ressemblait à personne…


S’il ne lui valut pas même une nomination aux Oscars, le rôle de Cherie reste aujourd’hui encore considéré comme l’une des meilleures prestations de Marilyn, dans un film qui marquait en outre la prise d’indépendance de la star vis-à-vis des pontes d’Hollywood.

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En 1956, les critiques de cinéma ne parlaient pas encore du concept d' »anti-héros ». C’est pourtant le terme qui conviendrait le mieux aux protagonistes de Bus Stop – à commencer par l’émouvante Cherie, chanteuse à la petite semaine dans un cabaret peu reluisant. Est-ce donc pour tenir ce genre de rôle que Marilyn fait son grand come-back à Hollywood, après le long bras de fer qui l’a opposée à la puissante 20th Century Fox ? C’est peu de dire que la star prend tout le monde au dépourvu en choisissant d’interpréter un personnage qui n’est ni plus ni moins qu’une Marilyn de superette. Quel besoin d’introspection l’a ainsi poussée à livrer avec ce film une critique, aussi sévère que mal déguisée, de ses propres rêves de gloire ? Toute sa vie, Marilyn sera partagée entre son désir de devenir la plus grande actrice du cinéma américain, et celui de se consacrer au contraire à une paisible vie de famille, auprès de Joe Di Maggio, puis d’Arthur Miller. Ces rêves incompatibles seront la source d’une souffrance terrible pour Marilyn. Ils sont le sujet même de Bus stop

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Le 25 février 1956, c’est une Marilyn vêtue d’une sage robe noire qui descend de l’avion à Los Angeles. À un journaliste qui lui demande si sa tenue témoigne d’une nouvelle personnalité, elle répond avec un sourire espiègle : « Je suis toujours la même, c’est la robe qui a changé ». Pourtant, il s’agit bien pour Marilyn d’un nouveau départ. L’énorme succès artistique et commercial de The Seven year itch (Sept ans de réflexion) a fait, l’année précédente, l’effet d’un déclic. Reprochant à la Fox d’engranger grâce à elle des sommes folles sans pour autant la rémunérer davantage, la star refuse de tourner à nouveau pour le studio, malgré ce que prévoit son contrat. Revenue à New-York, Marilyn en profite pour suivre les cours de Lee Strasberg au sein du prestigieux Actors Studio, et décide parallèlement de créer, avec son ami le photographe Milton Greene, sa propre société, la Marilyn Monroe Productions.  Soucieuse de récupérer sa vedette la plus rentable, la Fox finit par céder, et propose à Marilyn un contrat qui, outre une confortable rémunération, lui permettra de travailler aussi pour des studios concurrents et d’avoir un droit de regard sur les scénarios et les réalisateurs de ses films.

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Coproduit par la Fox, Bus Stop est donc le premier film des « MMP », Marilyn découvre enfin la joie de choisir un projet par elle-même, au lieu de se le voir imposer par le studio. Elle a jeté son dévolu sur une pièce de William Inge, dont l’adaptation est confiée au scénariste George Axelrod, très à la mode depuis le triomphe de The Seven Year Itch. Pour la mise en scène, Marilyn souhaiterait retrouver John Huston, son réalisateur de The Asphalt jungle (Quand la ville dort), mais le cinéaste n’est pas libre. On se tourne alors vers Joshua Logan, qui vient de connaître un énorme succès avec Picnic, film adapté lui aussi d’une pièce de William Inge. Venu du théâtre, le réalisateur commence par hésiter, voyant en Marilyn une piètre actrice, mais son vieil ami Lee Strasberg le rassure, lui déclarant même que de tous les comédiens qui sont passés par l’Actors Studio (et ils sont nombreux !), « il n’y en a que deux qui dominent vraiment la mêlée : Marlon Brando et Marilyn… » Reste à trouver à la star un partenaire masculin à la hauteur du personnage de Bo, le cow-boy volcanique. Après avoir longuement hésité à confier le rôle à Rock Hudson – qui, vexé de cette incertitude, finit par décliner l’offre -, Marilyn et Joshua Logan portent leur choix sur Don Murray, un tout jeune acteur de théâtre.

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Pour Marilyn, le projet Bus stop constitue un véritable challenge. Certes, son pouvoir est désormais tel qu’elle peut faire plier un studio aussi puissant que la Fox. Mais la star veut plus : lassée de n’être considérée que comme une belle blonde bourrée de sex-appeal, elle veut à présent être reconnue comme une véritable comédienne. C’est la raison pour laquelle elle se lance avec passion dans la préparation du personnage de Chérie, la chanteuse de cabaret aux rêves mille fois plus grands que son pauvre talent. Oublié, le glamour de ses films précédents : dans Bus stop , Marilyn parle avec l’accent de l’Oklahoma, ses cheveux n’ont plus l’éclat du platine, et son visage est pâle à faire peur. C’est Milton Greene qui a mis au point cet étonnant maquillage, que les représentants de la Fox ne cesseront de déplorer tout au long du tournage ! Quant aux tenues de son personnage, Marilyn décide de se les procurer parmi les vieux costumes du studio : elle y déniche entre autres une vieille guêpière, et troue elle-même une paire de résilles. Engagée comme coach, Paula Strasberg, l’épouse de Lee, fait répéter Marilyn d’arrache-pied. Même sur le plan du scénario, Axelrod tiendra compte durant le tournage des suggestions de l’actrice, qu’il juge fort pertinentes. 

Nul doute que cette volonté de prouver son talent a fortement contribué à l’angoisse connue par Marilyn au cours du tournage, qui a lieu successivement en extérieurs à Reno; puis en studio à Los Angeles. L’actrice connaît souvent des problèmes de textes, et disparaît parfois du plateau. Déstabilisée en outre par sa liaison secrète avec Arthur Miller, qui n’est pas encore divorcé, elle abuse de somnifères, qui l’empêchent d’arriver à l’heure sur le plateau, au point que Logan décidera de filmer le matin les scènes dans lesquelles elle n’apparaît pas. Marilyn, qui a attrapé une mauvaise bronchite lors du tournage des scènes dans la neige, sera même hospitalisée pendant une semaine. Elle tombera aussi d’une passerelle de deux mètres de hauteur… Quant à ses relations avec l’équipe, elles ne sont guère chaleureuses, et sont même franchement tendues avec Don Murray. Alors qu’elle le blesse réellement lors de la scène où elle le frappe avec sa traîne à sequins, Marilyn refuse catégoriquement de s’excuser.  Même son amitié avec Milton se détériore au cours du tournage, les deux associés rivalisant d’arrogance… C’est donc avec un énorme soulagement que Marilyn voit arriver, en mai, la fin des prises de vues. Mais lorsque le film sort, le 31 août 1956, son rêve le plus cher se réalise: quasiment unanime, la presse salue sa magnifique performance d’actrice. Pour un temps, Marilyn prend enfin confiance en elle…  [Légendes d’Hollywood / Marilyn Monroe – Eric Quéméré (2004)]


L’histoire

Bo Decker (Don Murray), cow-boy du Montana doté d’une belle prestance mais d’un caractère impulsif et fruste, a pris l’autobus pour se rendre au rodéo de Phoenix, en compagnie de Virgil (Arthur O’Connell), son ami et son conseiller. Virgil a décidé que l’initiation de Bo aux mystères du sexe aurait lieu à Phoenix. Au bar du Dragon bleu, Bo est fasciné par Cherie (Marilyn Monroe), une jolie, mais bien maladroite chanteuse, qui vient d’ailleurs d’essayer de séduire Virgil. Bo oblige le turbulent public de cowboys à faire silence pour permettre à la jeune femme d’exécuter son pitoyable numéro. Touchée d’un tel intérêt, Cherie est aussi frappée par l’origine française – comme c’est son cas – du nom de Bo (Beauregard), mais elle est atterrée quand le jeune homme décide de l’épouser. Le lendemain, Bo persiste dans ses projets. Cherie s’affole quand il la jette à bas du lit pour l’obliger à assister au rodéo avant d’annoncer publiquement leurs fiançailles.  Le soir même, elle quitte le bar et, avec la complicité de Virgil, se rend à la gare des cars. Bo l’y retrouve et la prend au lasso et l’oblige à monter avec lui dans le car pour le Montana. En chemin, bloqués par la neige, les passagers trouvent refuge dans le snack de Grace (Betty Field) où ils se rendent compte de l’étrange situation de Bo et de Cherie. Carl (Robert Bray), le robuste chauffeur du car, s’interpose et finit par battre Bo. Humilié, ce dernier renonce à Cherie mais ce nouveau comportement soumis et plein de douceur suscite un revirement chez la jeune femme. Elle accepte de l’épouser et tous deux remontent dans le car qui les emmènera vers le ranch de Bo. C’est alors que Virgil leur annonce qu’il ne les suivra pas. Son rôle de tuteur a pris fin : il préfère rester auprès de Grace, pour goûter aux plaisirs de sa cuisine… et de l’amour.



Les extraits

La scène d’anthologie

Film étonnamment intimiste pour l’époque, Bus Stop ne cherche jamais le spectaculaire. Même quand vient la scène où Marilyn chante « That old black magic », qui dans Gentlemen prefer blondes ou There’s No Business Like Show Business aurait d’emblée donné lieu à un grand numéro dans la tradition des « musicals » hollywoodiens, Joshua Logan, en accord avec la star, s’applique à en prendre l’exact contrepied. Cherie chante faux, danse plus mal encore, et la manière dont elle pousse du pied des pinces à linge pour assurer elle-même les jeux de lumière est tout simplement pathétique. C’est que, cette fois, l’émotion doit se dispenser du glamour, et naître uniquement du jeu de Marilyn. En ce sens, le passage le plus marquant de Bus Stop est en fait une scène toute simple, filmée dans l’espace banal et exigu de l’autocar. C’est celle de la profession de foi de Chérie, qui confie à sa voisine son passé, et ses aspirations. Marilyn était tellement nerveuse lors du tournage de ce long monologue, que la séquence coûta à l’équipe deux jours de travail, et un métrage impressionnant de pellicule. Mais faut-il s’en étonner? Lorsqu’elle évoque son désir de « devenir quelqu’un », une vie amoureuse précoce, le rêve d’une vie de famille tranquille – mais pas aux côtés d’un gars « qui me taperait dessus» -, la comédienne parle en fait d’elle-même. Le visage blafard, privée de ses habituels diamants et couverte d’un vilain manteau, Marilyn se met ici à nu comme elle ne l’avait encore jamais fait…



2 réponses »

  1. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas regardé mais ce film est certainement celui qui a le plus mal vieillit. Effectivement son jeu a changé, il semble plus personnel. Pourtant pour moi ce n’est pas sa meilleure interprétation. Elle le fera dans le film suivant : « The prince and the showgirl ». Là son jeu atteint des sommets ! Dommage que le film n’était pas à la hauteur…

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  2. Ca serait super pour la prochaine de parler du film en lui même, vous n’avez fait que parler de Marilyn et de tout ce qui s’est passé autour du tournage. Mais rien sur la composition d’image, la direction d’acteur, sur la narration bref parler de cinéma quoi. Dommage pour un site qui se prétend être passionné et de ne pouvoir partager que les ragots inintéressants d’Hollywood

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