En 1949, le producteur Arthur Freed décide de donner leur chance à deux chorégraphes, Gene Kelly et Stanley Donen, pour réaliser un film moderne et stylisé. Si le premier est déjà un artiste confirmé, le second n’a pas vingt-cinq ans quand le tournage commence. C’est sûrement sa jeunesse, alliée à la nouveauté du propos, qui permet au tandem de sortir des sentiers battus pour innover. Les chansons se fondent dans une action réaliste, elles expriment les sentiments des personnages, et peuvent aussi les emmener dans des décors imaginaires… Autant d’extravagances pour l’époque, et qui font encore mouche aujourd’hui. Grâce à la musique de Leonard Bernstein et Roger Edens, et aux paroles d’un duo plein d’avenir, Adolph Green et Betty Comden, le film nous emporte d’un bout à l’autre de New York à un rythme endiablé. Du Musée d’Histoire Naturelle, avec son squelette de dinosaure, à l’Empire State Building, de la Statue de la Liberté à Chinatown, le public du monde entier découvre dans le film le vrai visage de Big Apple. Avec, pour guides, trois matelots en permission qui n’ont que 24 heures pour découvrir Manhattan, et l’amour. Laissez-les donc vous embarquer vous aussi pour tout « Un jour à New York ». [Eric Quéméré – Comédies musicales]

New York. 5 heures 57. Un grutier chante en arrivant à son travail. 6 heures. Trois marins – Gabey (Gene Kelly), Chip (Frank Sinatra) et Ozzie (Jules Munshin) – quittent leur navire pour une permission de vingt-quatre heures. Gabey est séduit par une affiche qui, dans le métro, représente Miss Turnstiles. Il rencontre Ivy Smith (Vera-Ellen), l’héroïne de l’affiche en question. De son côté, Chip séduit visiblement Brunhilde Esterhazy (Betty Garrett) qui est chauffeur de taxi. Au Muséum d’histoire naturelle, Ozzie fait la connaissance de Claire Huddesen (Ann Miller), une étudiante. Tous dansent ensemble et provoquent l’écroulement d’un gigantesque squelette de dinosaure, Ils se donnent rendez-vous au sommet de l ‘Empire State Building, Chip et Brunhilde arrivent les premiers. Puis c’est le tour de Gabey, Claire et Ozzie. Ivy, à qui Gabey avait également donné rendez-vous, arrive aussi. Les six amis font la tournée des night-clubs. Mais Ivy s’éclipse. Gabey raccompagne chez elle Lucy Shmeeler (Alice Pearce), une amie d’Ivy, sympathique malgré un physique décevant. Gabey danse en rêve avec Ivy. Toujours poursuivis par la police – en raison des dégâts causés au Muséum – Gabey, Chip, Ozzie, Claire et Brunhilde fuient. A Coney Island, Gabey découvre qu’Ivy se produit sur scène dans un numéro de danseuse arabe. Les trois marins permissionnaires sont finalement arrêtés par la police. Leurs trois amies implorent la clémence des autorités et réussissent à l’obtenir. Les trois marins remontent sur leur navire. D’autres marins débarquent pour une journée de permission à New York… [La comédie musicale – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1993)]

Au printemps de 1944, un extraordinaire ballet dû au compositeur et chef d’orchestre Leonard Bernstein et au chorégraphe Jerome Robbins, « Fancy Free » fut accueilli au Ballet Theatre de New York par des tonnerres d’applaudissements. Oliver Smith, le directeur artistique, suggéra alors d’adapter le ballet (racontant les aventures de trois marins durant une permission de vingt-quatre heures) en comédie musicale et de le lancer à Broadway. Deux amis de Leonard Bernstein, Betty Comden et Adolph Green s’engagèrent alors à écrire le scénario et les chansons et à interpréter les rôles de Claire et d’Ozzie tandis que la mise en scène était confiée à George Abbott.

La MGM acheta les droits cinématographiques pour 250 000 dollars ce qui permit au spectacle, rebaptisé pour la circonstance « On the Town », de pouvoir être représenté dès le mois de décembre de la même année. Cette comédie musicale – d’un ton et d’un style très nouveaux – tint l’affiche pendant deux ans. Mais les dirigeants plutôt conservateurs de la MGM, quelque peu désorientés par l’originalité de l’œuvre, commençaient à regretter leur empressement et leur argent. L’affaire fut bientôt reléguée aux oubliettes.

Invité par le producteur de la MGM, Arthur Freed, pour diriger une comédie musicale, George Abbott arriva à Hollywood en 1948 et proposa de porter « On the Town » à l’écran. Gene Kelly, que le spectacle avait enthousiasmé, se porta immédiatement candidat à la mise en scène et au rôle principal du film.

Stanley Donen se mit également sur les rangs proposant une fois de plus une association artistique qui avait déjà fait ses preuves avec la création des solos et des chorégraphies de Cover girl (La Reine de Broadway, 1944), de Anchors aweigh (Escale à Hollywood, 1945), de Living in a big way (1947), et de Take me out to the ball game (Match d’amour, 1949). Leur intention était de se lancer dans la mise en scène et d’un commun accord ils se partagèrent les responsabilités. Il fut également décidé qu’outre Gene Kelly les acteurs qui avaient interprété Take me out to the ball game, à savoir Frank Sinatra et Jules Munshin pouvaient parfaitement tenir les deux autres rôles masculins. Ne posant que quelques conditions mineures, Arthur Freed accepta finalement de laisser travailler les deux aspirants metteurs en scène dans la plus grande liberté.

Betty Comden et Adolph Green reprirent le scénario pour l’adapter à la personnalité des acteurs et limitèrent le nombre de ballets qui, sur scène, racontaient l’histoire. Outre l’humour et les gags débridés, le scénario ne manquait pas de moments de réelle émotion (très caractéristiques de la manière de Comden et de Green)

Malgré les protestations véhémentes des metteurs en scène quelques changements furent apportés à la partition originale ; Freed était particulièrement exigeant sur l’impact des chansons sur le public. Les couplets de Betty Comden et Adolph Green s’harmonisèrent ainsi parfaitement aux refrains populaires de Roger Edens qui, à l’époque, travaillait pour la MGM.

Au cours des répétitions, Kelly et Donen insistèrent pour que le film fût tourné à New York : une idée jugée parfaitement saugrenue par les dirigeants de la grande firme hollywoodienne qui, à titre de « consolation », autorisèrent toutefois les deux contestataires à tourner pendant une semaine dans la grande métropole. Une occasion qu’ils exploitèrent d’ailleurs à fond notamment dans l’époustouflant numéro « New York, New York ».

Plus que jamais convaincus de l’importance du rythme pour un film de ce genre, Kelly et Donen s’efforcèrent de raconter l’histoire par le seul truchement de la danse, exploitant tous les styles, des claquettes au ballet classique. Utilisant toutes les possibilités dramatiques de l’art chorégraphique en le conjuguant intimement avec le langage purement visuel du cinéma, dans certaines séquences non dansées, ils parvinrent à créer un véritable ballet en synchronisant les gestes et les mouvements des acteurs avec le fond sonore. Même dans la longue séquence intitulée « A Day in New York », récapitulation de tout ce qui s’était déroulé auparavant, on n’enregistre aucun fléchissement ni ralentissement du rythme narratif.

Une fois encore l’occasion fut offerte à Kelly, Sinatra et Munshin de montrer leur talent exceptionnel de danseurs, de chanteurs et de comédiens. Quant à Vera-Ellen, elle fut une adorable et fascinante Miss Métro, la femme rêvée de Kelly. Le film doit aussi beaucoup aux remarquables interprétations de Betty Garrett, d’Ann Miller et de Florence Bates qui donnèrent vie à une galerie de personnages féminins pleins d’humour : une énergique femme chauffeur de taxi de son état et redoutable « mangeuse d’hommes » ; une très avenante anthropologue dont le tuteur redoute (bien à tort en vérité), qu’à trop étudier l’Homme, elle ne se désintéresse des hommes ; un tyrannique professeur, plus russe que nature qui se vante un peu trop d’avoir appris la danse à tout le monde, « de Nijinski à Mickey Rooney »… Quant à Alice Pearce, elle fut parfaite dans le rôle de la jeune fille éternellement vouée à faire tapisserie et qui confie, entre deux éternuements, d’une façon émouvante à Gabey après leur soirée : « Au moins, maintenant, j’aurai quelque chose à écrire dans mon carnet. Jusqu’alors, il ne m’a servi qu’à noter mes frais de blanchisserie ! »

Le film enthousiasma les critiques. Le public l’accueillit avec la même chaleur, à la grande surprise des dirigeants de fa MGM. Grâce au jeu et à l’habileté de Gene Kelly et de Stanley Donen, le musical gagnait en dynamisme et en énergie et procurait aux spectateurs éblouis des moments d’inégalable évasion.

Autant Take me out to the ball game est un film sympathique mais conventionnel, autant On the Town pulvérise toutes les habitudes de la comédie musicale. La Warner elle-même, plus proche que la M.G.M. de la réalité américaine, s’était pourtant toujours réfugiée dans des décors de studios. Avec On the Town, la comédie musicale descend dans la rue et à ce titre le film annonce West Side Story et Fame. Le fait que Gene Kelly ait effectué son passage dans l’armée au Service photographique de la Marine, réalisant et montant des courts métrages composés de bandes d’actualités, lui a certainement donné le goût du réalisme et de la vérité. De retour à Hollywood, il ne pouvait que pousser plus loin qu’il avait tenté autre-fois . Cover girl était une ébauche maladroite . On the Town, réalisé par deux jeunes cinéastes – Donen a vingt-cinq ans, Kelly trente-sept ans – va contribuer à modifier toutes les données du genre. Certains continueront à tourner comme avant, dans des faux décors et souvent avec génie (c’est le cas de Vincente Minnelli). D’autres savent désormais qu’il peut exister un autre style…

Ce souci de réalisme et cette volonté d’échapper aux conventions des tournages en studios sont d’ailleurs représentatifs du style général de l’époque. A la 20th Century-Fox, il est devenu normal de réaliser les films noirs et les drames réalistes en pleine rue, souvent même au milieu de la foule ; à la Metro-Goldwyn-Mayer, Dore Schary, qui est devenu le responsable de la production, tient désormais à donner une touche authentique aux films qu’il produit, cherchant volontairement des sujets ancrés dans la réalité et proches de la vie américaine. A ce propos, il est d’autant plus curieux que Dore Schary ait manifesté une certaine aversion envers le genre de la comédie musicale alors que justement On the Town est dans sa catégorie tout aussi révolutionnaire que Bastogne, Side Street ou Devil’s Doorway. Premier film, On the Town frappe – comme le remarquait Kelly – autant par l’originalité de ses décors que par son ton décontracté. La chanson « Prehistoric Man », qui s’achève par l’écroulement du dinosaure du Muséum, est aussi surprenante que le ballet « A Day in New York » dansé par Gene Kelly, deux marins qui ne sont ni Frank Sinatra ni Jules Munshin et trois jeunes filles dont Vera-Ellen et Carol Haney, la propre assistante chorégraphe de Kelly. [La comédie musicale – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1993)]
Programme musical (sélection)
Music by Leonard Bernstein
Lyrics by Adolph Green and Betty Comden
Sung and danced by Gene Kelly, Frank Sinatra, and Jules Munshin
Music by Roger Edens
Lyrics by Adolph Green and Betty Comden
Sung by Ann Miller
Danced by Ann Miller, Jules Munshin, Gene Kelly, Frank Sinatra, and Betty Garrett
Music by Roger Edens
Lyrics by Adolph Green and Betty Comden
Sung by Gene Kelly
Danced by Gene Kelly and Vera-Ellen
Music by Roger Edens
Lyrics by Adolph Green and Betty Comden
Sung by Frank Sinatra and Betty Garrett
Music by Roger Edens
Lyrics by Adolph Green and Betty Comden
Sung and danced by Gene Kelly, Frank Sinatra, Jules Munshin, Ann Miller, Betty Garrett, and Vera-Ellen
Music by Roger Edens
Lyrics by Adolph Green and Betty Comden
Sung by Frank Sinatra, Betty Garrett, Jules Munshin, Ann Miller, Alice Pearce, and Gene Kelly

GENE KELLY ET STANLEY DONEN : L’INVITATION À LA DANSE
L’audace et le brio de l’acteur-danseur Gene Kelly et du réalisateur Stanley Donen contribuèrent au regain de vitalité de la comédie musicale qui atteindra, grâce à eux, son apogée au cours des années 1950.

LES MUSICALS DE LA MGM
L’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne, celle qui réussit l’accord parfait entre action, musique et danse, est à jamais lié à un sigle : MGM et à un nom : Arthur Freed, le grand promoteur du genre.
Catégories :La Comédie musicale