Sortie au printemps 1949, cette comédie musicale de Busby Berkeley se livre à une étonnante incursion dans le monde du baseball américain, et marque la montée en puissance d’un certain Gene Kelly.

Quand Busby Berkeley met en scène Take Me Out to The Ball Game (Match d’amour) au cours de l’été 1948, il ignore qu’il s’agit de sa dernière réalisation. L’homme qui a dominé la comédie musicale américaine des années 1930 va en effet se voir détrôné par une nouvelle génération de cinéastes et de chorégraphes, dont Gene Kelly sera le représentant le plus fameux. Celui-ci a d’ailleurs obtenu de la MGM de signer les chorégraphies de Take Me Out to The Ball Game en tandem avec Stanley Donen, appelé lui aussi à une belle carrière. Le fait que le grand Busby Berkeley doive abandonner cet aspect du film à deux jeunes talents est déjà le signe d’une nouvelle donne. Kelly et Donen ont en outre écrit la première version du scénario, et auraient aimé en assurer eux-mêmes la mise en scène. Take Me Out to The Ball Game est donc bien davantage un film des futurs cinéastes de Singin’ in the Rain que de Berkeley, dont on peine à reconnaître ici le style : les numéros musicaux, en particulier, tournent résolument le dos au style échevelé des années 1930 pour annoncer celui des années 1950… Mais les générations passent, et vingt ans plus tard, Gene Kelly se retrouvera lui-même en position de passer le relais en dirigeant l’ambitieuse Barbra Streisand dans Hello Dolly !

Dans l’Amérique du début du XX’ siècle, Eddie O’Brien (Gene Kelly) et Dennis Ryan (Frank Sinatra) sont deux joueurs de base-bail qui se produisent également comme artistes de music-hall. Leur vie s’écoule joyeusement, jusqu’au jour où on annonce l’arrivée du nouveau directeur de l’équipe, K.C. Higgins (Esther Williams) – qui s’avère être une directrice. Les joueurs sont outrés de devoir obéir à une femme. Celle-ci va donc devoir faire ses preuves…

La chanson qui donne au film son titre original, « Take Me Out to The Ball Game », est une mélodie de 1908 devenue aux États-Unis l’hymne du base-ball, C’est Gene Kelly qui a l’idée de s’en inspirer pour un film évoquant le sport national. Il écrit avec son complice Stanley Donen un synopsis qu’il parvient à vendre à la MGM. Le tandem, qui n’a pas encore réalisé de film, espère pouvoir mettre en scène le projet, mais le producteur Arthur Freed préfère le confier au vétéran Busby Berkeley. En revanche, Gene Kelly est assuré de jouer dans le film, et Freed envisage de réunir autour de lui ses deux partenaires de Anchors Aweigh (Escale à Hollywood), Frank Sinatra et Kathryn Grayson. L’actrice se voit néanmoins préférer Judy Garland, mais, souffrante, celle-ci laisse la place à June Allyson – qui, enceinte, refuse le rôle. C’est ainsi qu’Esther Williams est finalement choisie pour jouer K-C. Higgins. Les dynamiques Betty Garrett et Jules Munshin sont également engagés pour les seconds rôles.

À en croire l’autobiographie d’Esther Williams, le tournage de Take Me Out to The Ball Game s’avère très éprouvant. Habituée à être l’unique star de ses films aquatiques, l’actrice doit partager la vedette avec « l’idole des jeunes » Sinatra, et la gloire montante Gene. Kelly. Ce sont en fait les relations avec ce dernier qui se révèlent les plus difficiles, Gene Kelly se moquant volontiers de sa partenaire (selon Esther Williams, le fait qu’elle soit plus grande que lui le menait à l’aise…). L’actrice noue en revanche une relation d’amitié avec Sinatra, qu’elle rassure quand il craint d’être chassé du plateau pour avoir fait les quatre cents coups toute la nuit… Busby Berkeley essaie donc de gérer l’humeur de chacun, ce qui n’est pas simple car ce spécialiste de la comédie musicale doit lui-même laisser Kelly et Donen décider seuls des chorégraphies du film. Le cinéaste prévoyait notamment de faire exécuter un numéro aquatique par Williams et Kelly, mais ce dernier refuse catégoriquement.

Que ceux qui pensent trouver dans Take Me Out to The Ball Game des cascades de danseuses court vêtues passent leur chemin : ce film doit beaucoup plus à ses chorégraphes, Gene Kelly et Stanley Donen, qu’au réalisateur Busby Berkeley. Dès le premier numéro, le ton est donné. Kelly et Sinatra interprètent « Take Me Out to The Ball Game » sur une scène de music-hall, dans le plus pur style de ce que les Américains appelle le Vaudeville (Singin’ in the Rain comportera une séquence identique). L’ironie des paroles de Betty Comden et Adolph Green fait ensuite merveille dans les numéros « Yes, Indeedy », « O’Brien to Ryan to Goldberg », et surtout « It’s Fate, Baby, It’s Fate », qui voit Beny Garrett pourchasser le frêle Sinatra à travers le stade, dans un étonnant renversement des stéréotypes.
Mais la séquence qui pousse le plus loin le second degré est la réponse finale de « Strictly USA », une chanson composée en solo par le directeur musical de la MGM, Roger Edens… Dans tous ces numéros, la danse ne vient pas interrompre le récit, comme c’était le cas dans la plupart des films de Berkeley, mais tente au contraire de s’y intégrer ce qui constituera l’une des grandes nouveautés des films de Kelly et Donen.

Les relations entre les musiciens du film seront heureusement plus harmonieuses. Arthur Freed a confié la composition des chansons à Roger Edens, son proche collaborateur au sein du département musical de la MGM. Celui-ci va écrire la partition de la plupart des chansons du film, hormis « Take Me Out to the Ball Game » et « The Hat my Dear Old Father Wore Upon St. Patrick’s Day ». Edens le musicien collabore pour cela avec les paroliers Betty Comden et Adolph Green, qui viennent de se faire connaître à Broadway et entament une belle carrière à Hollywood (outre de nombreuses chansons, on leur devra le scénario de Singin’ in the Rain et de The Band Wagon (Tous en scène)… Sorti en mars 1949, Take Me Out to The Ball Game s’avère un succès commercial, puisqu’il rapporte 4 millions de dollars, le double de son budget. Arthur Freed décide alors de confier peu après à Gene Kelly et Stanley Donen leur première réalisation. Le duo retrouvera donc quelques mois plus tard Frank Sinatra, Betty Garrett et Jules Munshin pour tourner On the Town (Un Jour à New York)…

L’histoire
Eddie O’Brien (Gene Kelly) et Dennis Ryan (Frank Sinatra) sont de très bons joueurs de baseball dans l’équipe des Wolves, mais leur autre passion est le music-hall où ils font des spectacles hors saison. Cette année, un nouveau manager se présente dans l’équipe : K. C. Higgins (Esther Williams), une femme. Katherine s’impose auprès des joueurs par sa connaissance du jeu et renforce la discipline en les empêchant de sortir le soir. Après une longue succession de victoires, l’équipe revient à domicile pour jouer les derniers matchs. Dennis est fasciné par Katherine qui semble l’apprécier, mais lors d’une fête il constate au cours d’une succession de baisers que c’est plutôt par Eddie qu’elle est attirée ; il se résout à se rapprocher de Shirley (Betty Garrett) qui le poursuit de ses avances. Or un homme d’affaires local, Joe (Edward Arnold), a parié beaucoup d’argent contre les Wolves. Il embauche alors secrètement Eddie comme chef de revue dans un café, le faisant répéter toutes les nuits. Fatigué dans la journée, Eddie est incapable de tenir son rang et l’équipe se met désormais à perdre tous ses matchs. Eddie est renvoyé de l’équipe, mais il se ressaisit et fait venir des enfants qui plaident sa cause sur le stade : réintégré malgré une dernière tentative des hommes de main de Joe pour l’écarter, il réussit un home run en poursuivant Dennis à cause d’un quiproquo, fait ainsi gagner le championnat à l’équipe et se réconcilie avec Katherine. Dennis, Shirley et eux deux se retrouvent finalement partenaires d’un numéro musical.

LA COMÉDIE MUSICALE
La comédie musicale a été longtemps l’un des genres privilégiés de la production hollywoodienne, et probablement le plus fascinant . Né dans les années 1930, en même temps que le cinéma parlant, elle témoigna à sa manière, en chansons, en claquettes et en paillettes, de la rénovation sociale et économique de l’Amérique. Mais c’est dix plus tard, à la Metro-Goldwyn-Mayer, que sous l’impulsion d’Arthur Freed la comédie musicale connut son véritable âge d’or, grâce à la rencontre de créateurs d’exception (Vincente Minnelli, Stanley Donen) et d’acteurs inoubliables (Fred Astaire, Gene Kelly, Judy Garland, Cyd Charisse, Debbie Reynolds). Par l’évocation de ces années éblouissantes à travers les films présentés, cette page permet de retrouver toute la magie et le glamour de la comédie musicale.
Programme musical (sélection)
Music by Albert von Tilzer
Lyrics by Jack Norworth
Performed by Gene Kelly and Frank Sinatra
Music by Roger Edens
Lyrics by Betty Comden and Adolph Green
Performed by Gene Kelly, Frank Sinatra and Jules Munshin
Music by Roger Edens
Lyrics by Betty Comden and Adolph Green
Sung by Frank Sinatra
Written by Roger Edens
Performed by Betty Garrett, Frank Sinatra, Esther Williams and Gene Kelly
Written by Roger Edens
Performed by Betty Garrett, Frank Sinatra, Esther Williams and Gene Kelly



BUSBY BERKELEY : DES LÉGIONS DE DANSEUSES
Produits d’une imagination débridée, les extravagantes et colossales mises en scène dansées de Busby Berkeley font à jamais partie du grand rêve hollywoodien des années 1930. Seuls quelques esprits chagrins crièrent au mauvais goût devant les ballets de Berkeley.

FRANK SINATRA
Frappé d’ostracisme par Hollywood et les sociétés de disques, abandonné même par ses agents, Sinatra, dans le début des années 50, faillit bien être mis aux oubliettes du monde du spectacle. Il ne fallut qu’un film, et un Oscar, pour le conduire au sommet de la gloire.

LES MUSICALS DE LA MGM
L’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne, celle qui réussit l’accord parfait entre action, musique et danse, est à jamais lié à un sigle : MGM et à un nom : Arthur Freed, le grand promoteur du genre.

GENE KELLY ET STANLEY DONEN : L’INVITATION À LA DANSE
L’audace et le brio de l’acteur-danseur Gene Kelly et du réalisateur Stanley Donen contribuèrent au regain de vitalité de la comédie musicale qui atteindra, grâce à eux, son apogée au cours des années 1950.
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Catégories :La Comédie musicale
