Les Réalisateurs

HENRI DECOIN : SANG ET OR

Il faut éviter avant tout de se référer à l’histoire de Mathilde Carré, dite la Chatte, agent de l’Abwehr, alias « Micheline », alias « la dame au chapeau rouge », alias « Victoire » selon les différents réseaux, condamnée, traînée de prison en prison, graciée finalement. Les deux films de Decoin: La Chatte et La Chatte sort ses griffes prennent toute distance à ce sujet. « Il ne peut être question de retrouver dans ce film la personne qui a défrayé la chronique » lit-on en fin de générique. On joue sur un titre raccrocheur, l’opinion ayant été sensibilisée par les équivoques aventures de Mathilde Carré. Pour le reste disons que Henri Decoin a su avec beaucoup d’astuce et de savoir faire exploiter les chroniques de la Résistance en employant les méthodes du SériaI. Cora Massimier joue en somme les périls de Pauline et les exploits d’Elaine, en bifurquant parfois, d’une échappée rapide, du côté de la Justine de Sade. Au cours de ces deux suites d’aventures, de ce digest d’actions de la Résistance, La Chatte sort ses griffes relayant exactement La Chatte, et enchaînant sur l’ultime scène du premier film, on retrouve le goût de Decoin pour les récits dangereux traités à la mode sportive.

La Chatte, débute par le repérage d’un poste émetteur. La patrouille allemande se précipite. Un homme passe la fenêtre, se suspend à une gouttière, c’est le mari de Françoise Arnoul, il finit par lâcher prise, se tue, tandis qu’elle se sauve. L’ambiance musicale, parfaite, convaincante, contribue à recréer le Paris des vélos-taxis, du marché noir, du danger apparent à chaque coin de rue. C’est là sans doute ce qu’il faut le plus admirer dans ces scènes rapides, haletantes, tournées en photos dures et contrastées : cette puissance, cette netteté dans l’évocation des années noires. Telle scène où l’héroïne débarque d’un train, au petit matin, dans une gare de campagne banale et triste, et esquive les pièges du contrôle et des vérifications, vaut infiniment mieux dans son juste dépouillement que l’épisode où Françoise Arnoul, menottes aux jambes, est en butte à la concupiscence d’un redoutable représentant de la Gestapo.

Le succès répondit à ces évocations sobres teintées d’un érotisme agressif. Chacun finit par y trouver son compte, d’autant que la réalisation toujours nerveuse, ne languissait pas et savait varier le détail des scènes, que Françoise Arnoul était vraisemblable, Bernard Blier véridique, et que les acteurs allemands faisaient très exactement ce qu’on leur demandait de faire : être fascinés par la Chatte ou la réduire, d’un coup, à l’état de souris pour la punir de ces jeux dangereux.

A la sortie du film, on pouvait lire ces lignes : « Henri Decoin a réussi à donner à son film d’aventures l’aspect d’une méditation sur l’aventure. Au fil de la projection Françoise Arnoul devient de plus en plus émouvante dans son personnage de jeune femme aussi impénétrable qu’une héroïne de Bresson « C’est que l’influence secrète du Condamné à mort… se fait fortement sentir. Mais c’est tout à l’honneur de Decoin de savoir cette fois où résident ses faiblesses et de montrer comment il entend y porter remède. Autant ses récents films policiers étaient déplaisants parce que mal décalqués d’Hitchcock, autant dans La Chatte, l’imitation de Bresson se fait sentir.» Cette opinion très personnelle était signée : Jean-Luc Godard.


LA CHATTE – Henri Decoin (1958)
La Chatte conte l’entrée en résistance de Cora Massimier (Françoise Arnoul), qui multiplie les faits héroïques avant de tomber amoureuse d’un officier allemand avec lequel elle joue un trouble double jeu, et qui, lui aussi, hésite entre sa loyauté pour son pays et son attirance pour elle. Au final, le réseau est effectivement trahi, et Cora « exécutée » (elle ressuscitera pour les besoins de la cause). Si ce n’est pas la vie de Mathilde Carré, cela y ressemble fort…


Un Américain à Paris venait de remporter un beau succès sur les écrans français. Minnelli, Gene Kelly, Leslie Caron étaient à la mode. A la faveur de cet engouement on se rappelait les inoubliables réussites de Beau fixe sur New York, de Chantons sous la pluie, d’Un Jour à New York. Les fanatiques invoquaient Tous en scène (dont la réussite en France n’avait été que médiocre), et chacun de célébrer les mérites évidents et émouvants de Cyd Charisse. Pourquoi ne pas penser qu’à Paris on puisse tourner un film à la gloire du music-hall – mieux encore à la gloire des Folies Bergère – qui, malgré la sclérose d’une tradition un peu trop établie, continuent à drainer rue Richer la foule des provinciaux et la cohorte des étrangers. On pouvait disposer comme têtes d’affiche de Zizi Jeanmaire, qui, en plus de ses talents de danseuse, laissait deviner une personnalité de comédienne, et d’Eddie Constantine qui commençait à se fatiguer et à lasser le public avec les éternelles resucées des romans de Peter Cheyney.

Le scénario, bâti en fonction des vedettes, mobilisa Jacques Companeez, habile à faire flèche de tout bois, André et Georges Tabet, Henri Decoin y apporta son savoir-faire, et, surtout s’employa à lier toutes ces composantes pour en faire le spectacle somptueux, chatoyant, lascif et endiablé que !e public était en droit d’attendre. Le scénario, conventionnel mais bien fignolé, offrait l’avantage de faire intervenir des acteurs, au talent connu : Nadia Gray, en commère de revue dont le personnage s’inspirait sans doute de quelques excentricités de Mistinguett ; Yves Robert en copain dévoué ; Pierre Mondy en régisseur modèle. Claudie est danseuse aux Folies Bergère. Bob Wellington, soldat américain, la rencontre, l’adore, et, à cause d’elle reste à Paris. Le démon de la danse fait gravir à Claudie les échelons du succès, Bob se défend moins bien dans les exhibitions en province. Surviennent là-dessus des disputes et des brouilles jusqu’au jour de la première. Là, Claudie remplace sa perfide rivale, et Bob, qui avait fait ses classes, sinon ses preuves, revient à ses premières amours dans l’enchantement du final de la revue.

Folies-Bergère demeure avant tout le triomphe de Zizi Jeanmaire qui ne fut jamais mieux servie que dans ce film : Freddy Buache se fait lyrique en la voyant : « Zizi ! Il faut que j’en dise un mot… Elle est merveilleuse actrice autant que danseuse. Elle possède une intelligence corporelle (Ah! que ses épaules sont spirituelles) qui lui permet de jouer toute la gamme des attitudes. Aussi superbement gouailleuse que Mistinguett, délurée autant qu’Arletty, elle peut subitement se transformer en petit animal apeuré. Elle chante et mime la croqueuse de diamants avec une aisance foudroyante; elle est pétillante dans les frou-frous emplumés, ravissante en robe de cocktail, émouvante en trenchcoat. Et toutes ces qualités nous les retrouvons dans sa manière de servir les chansons. A elle seule, elle vaut le déplacement. »

Oui, certainement, à condition d’admettre que dans son écrin de plumes d’or, de fanfreluches et de paillettes, Decoin a su particulièrement la mettre en valeur. La présence d’Eddie Constantine, en revanche, gêne plutôt le metteur en scène et l’embarrasse pour rythmer certains tableaux : chanteur moyen et mauvais danseur, l’ex-Lemmy Caution fait souvent tomber le voltage du film. Le scope et le technicolor servent le propos, une sorte de timidité par rapport à la caméra dont Decoin pourtant savait se servir lui nuit. On souhaite et on réclame- l’entrechat des prises de vues au cœur même du ballet, des pirouettes d’appareil, un mouvement continuel, une animation exacte, on assiste un peu trop souvent à une représentation vue du premier rang des fauteuils. Devoir soigné à quoi manquent, sinon la virtuosité, du moins un certain enthousiasme.


FOLIES-BERGÈRE (Un Soir au music-hall) – Henri Decoin (1957)
Pourquoi ne pas penser qu’à Paris on puisse tourner un film à la gloire du music-hall – mieux encore à la gloire des Folies Bergère – qui, malgré la sclérose d’une tradition un peu trop établie, continuent à drainer rue Richer la foule des provinciaux et la cohorte des étrangers. On pouvait disposer comme têtes d’affiche de Zizi Jeanmaire, qui, en plus de ses talents de danseuse, laissait deviner une personnalité de comédienne, et d’Eddie Constantine qui commençait à se fatiguer et à lasser le public avec les éternelles resucées des romans de Peter Cheyney.


Les mêmes reproches peuvent être adressés à Charmants garçons qui venait sur la lancée d’un film de Christian Jaque : Adorables créatures. Zizi, sous les traits de Lulu, chanteuse et danseuse de cabaret, y parcourt les étapes boulevardières de son éducation sentimentale et passe des bras de François Périer, mari infidèle, à ceux de Daniel Gélin, gentleman cambrioleur ; Henri Vidal, champion de boxe, ne veut pas sacrifier le noble art, Gert Froebe possède un coffre-fort qui ne fait toutefois pas oublier son physique ni son ventre, et Jacques Dacqmine, impresario discret et attentif réserve ses élans à de tendres jeunes gens. De mésaventures en déceptions, Zizi-Lulu chante des airs de Guy Béart, danse dans d’agréables décors, et Roland Petit a la haute main sur la partie chorégraphique. C’est un divertissement de bon aloi, en retrait sur l’effort de Folies-Bergère, et qui marqua le point final dans les tentatives de Decoin pour créer un « musical » français. [Henri Decoin – Raymond Chirat – Anthologie du cinéma (Avant-scène du cinéma, 1973)]


HENRI DECOIN : LA VIE À DEUX
Au départ, La Vérité sur Bébé Donge n’eut pas la critique qu’on pouvait en attendre, et le succès en dépit des têtes d’affiche fut seulement honorable. Présenter Gabin en vaincu, Darrieux en victime justicière, c’était, peut-être, aller trop carrément à l’encontre des idées établies chez le spectateur.

HENRI DECOIN : TOUCHE À TOUT
Un des côtés attachants de l’œuvre d’Henri Decoin aura été une curiosité toujours éveillée, en quête d’arguments neufs. Cela jusque dans ses derniers films. Ce dernier fit triompher en France le cinéma des âmes sensibles. Avec ses attendrissements de bon aloi, il est l’Alphonse Daudet des studios. Cinéaste du second rayon, reflet des années perdues, rayons du projecteur où palpitent les grains de poussière…




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