Le Film Noir

JOHNNY EAGER (Johnny, roi des gangsters) – Mervyn Le Roy (1942)

A mi-chemin entre le drame psychologique et le film traditionnel, Mervin Le Roy décrit deux mondes que tout semble opposer, s’attachant au passage aux femmes qui gravitent autour de Johnny et surtout au très curieux personnage de Jeff (Van Heflin, oscarisé pour ce rôle), l’historiographe du gangster pour lequel il a une évidente admiration. Robert Taylor n’est plus le séducteur du Camille (Roman de Marguerite Gauthier, 1936) mais un homme au double visage face à Lana Turner découvrant ici un univers trouble qui l’étonne et la fascine.

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JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

Bénéficiaire d’une libération sur parole, Johnny Eager (Robert Taylor) semble être un sympathique chauffeur de taxi. Il est en réalité le chef d’un puissant syndicat du crime qui règne sur les paris et les courses. C’est alors qu’il fait la connaissance de Lisbeth (Lana Turner) qui fait des études de sociologie et est intéressée par le cas de ce délinquant revenu dans le droit chemin…


1942, JOHNNY EAGER
JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

De 1930 à 1943, les États-Unis produisent entre 450 et 500 films par an. Ils les diffusent dans le monde entier. Les studios s’adaptent aux exigences de la censure instaurée par le code Hays et renforcent le star-system avec la mise en orbite de nouveaux comédiens venus du théâtre. C’est aussi l’inflation du film de genre. Le critère dominant est de satisfaire le public en lui montrant ce qu’il souhaite voir.

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JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

Malgré des archétypes et des codifications, les films de cette période sont presque toujours en prise avec la réalité, même quand ils la caricaturent ou la truquent. Les angoisses conséquentes de la crise économique habitent le western, le mélodrame, la comédie et le film à costumes. Dans toutes ces productions, on peut lire les états d’âmes successifs des Américains au cours de cette période agitée de conflits sociaux.

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JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)


Logique donc que l’inquiétude née de la grande Dépression et les déceptions devant le refus des dirigeants politiques d’intervenir contre le fascisme fassent le lit du futur « cycle noir » et la synthèse s’opère autant avec des saillies superbes que des concessions affligeantes. Il n’empêche qu’une esthétique et une thématique du désespoir se dessinent confusément à partir de diverses influences. [Le film Noir (Vrais et faux cauchemars) – Noël Simsolo – Cahiers du Cinéma Essais – (2005)]

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JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

En 1942, la Metro Goldwyn Mayer produit Johnny Eager (Johnny, roi des gangsters) de Melvyn LeRoy, où Robert Taylor tient le rôle d’une crapule cynique, calculateur et ingénieux. L’intérêt du film est qu’il incarne la mutation vers le film Noir presque malgré lui. Quelque chose a bougé dans la représentation cinématographique de la pègre. Les choses sont moins tranchées. [Le film Noir (Vrais et faux cauchemars) – Noël Simsolo – Cahiers du Cinéma Essais – (2005)]


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JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

Contrairement à ce que pourrait laisser croire le début du film, Robert Taylor n’interprète pas le rôle d’un sympathique – et séduisant – chauffeur de taxi, gagnant honnêtement sa vie après une erreur passée, mais celui d’un empereur du crime, vivant dans deux univers parallèles. Poli et attentionné avec Verne qui est chargé de le surveiller, il se révèle dur, menaçant et impitoyable avec ses rivaux. Robert Taylor, le sémillant héros de Camille et de Waterloo Bridge (La Valse dans l’ombre), le hors-la-loi au grand cœur de Billy the Kid, joue à contre-emploi un personnage de gangster pratiquant la corruption, le chantage et le meurtre.

1942 - Johnny Eager - Movie Set
JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

Auteur de plusieurs films de gangsters et ancien metteur en scène de la Warner, Mervyn Le Roy retrouve ici, à la Metro-Goldwyn-Mayer, le style et la dureté des productions de la Warner, opposant à Taylor une ravissante Lana Turner – elle a vingt et un ans – à laquelle il avait donné sa chance quelques années plus tôt dans They Won’t Forget (La Ville gronde). Ébloui par sa partenaire, Robert Taylor avouera : « Elle était le type de femme pour laquelle tout homme n’aurait pas hésité à risquer cinq ans de taule pour la violer. » Remarquablement écrit par John Lee Mahin et James Edward Grant, le scénario s’attache à des personnages curieux, tel celui de Jeff Hartnett, tout à la fois l’ami et « l’historiographe » de Johnny, prêt à citer Shakespeare. Le scénario fonctionne d’ailleurs sur les ruptures que peut créer le choc de deux univers parallèles. D’un côté, celui de Verne, naïf et idéaliste, du procureur Farrell et de sa fille Lisbeth qui fait des études de sociologie et parle à Johnny de Cyrano de Bergerac. De l’autre, le monde de la pègre, avec ses parieurs, ses gangsters, ses règlements de comptes et ses filles faciles. Johnny en tentant de passer d’un univers à l’autre, Lisbeth en voulant goûter au second, provoqueront le drame. 

JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

L’ironie tragique de la fin verra Johnny abattu par un policier dont il avait arrangé la mutation, à la demande de la femme de ce dernier… Johnny, que son ami Jeff disait capable d’escalader les plus hautes montagnes, meurt en parlant à ce même ami des montagnes Rocheuses où ils auraient pu aller ensemble. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]

JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

Dans ce film noir, l’un des premiers du cycle, les rôles secondaires de Jeff Hartnett et de Lisbeth Bard, avec leurs faiblesses et leurs désillusions, sont plus caractéristiques que le protagoniste, Johnny Eager. Hartnett, avocat des gangsters est un homme blessé, conscient d’avoir trahi sa profession pour défendre la cause du crime. Il noie sa haine de lui-même dans l’alcool et la maquille de citations ésotériques. Lisbeth Bard, elle, est une étudiante innocente, excitée par « l’exotisme » du milieu. Riche et sans problème, elle s’imagine pouvoir contrôler son destin. Lorsqu’elle découvre sa vulnérabilité et le sérieux de « son crime », il lui est plus facile de sombrer dans la dépression plutôt que d’assumer la situation. Même son père, le puissant procureur, réalise qu’il peut aussi perdre le contrôle des événements lorsque le gangster l’oblige à sacrifier ses idéaux pour sauver sa fille. Johnny Eager, charmant et impétueux se métamorphose quand Jeff lui fait comprendre qu’il a abusé de son pouvoir et en a joué au-delà de ce qu’exigeait la réalisation de ses desseins criminels. Johnny va donc tenter de réparer le mal qu’il a fait à Lisbeth, mais ses efforts resteront vains. Elle n’est même pas capable d’entendre que le prétendu meurtre de Julio n’était qu’une mise en scène et Johnny doit se résoudre à la brutaliser pour sauver sa vie. Lisbeth est blessée à jamais. Johnny ira en fait lui-même à la mort, poussé par sa culpabilité. Il meurt dans une rue humide et sombre en hurlant : « Venez donc me chercher ! », abattu par un ami policier qui ne l’a pas reconnu. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]

JOHNNY EAGER (Mervyn LeRoy, 1942)

L’histoire

Johnny Eager (Robert Taylor), vêtu de son uniforme de chauffeur de taxi, va rapporter à son juge d’instruction, A.J. Verne (Henry O’Neill), les succès de ses efforts pour mener enfin une vie honnête. Verne lui présente deux étudiantes en sociologie, Lisbeth Bard (Lana Turner) et Judy Sanford (Diana Lewis) puis Johnny, qui n’a en fait rien abandonné de ses activités de gangster, se rend au bureau d’un nouveau champ de courses de chiens qu’il envisage d’ouvrir très vite avec le soutien de politiciens véreux. Il expédie ensuite les affaires courantes de son racket avec le patron d’une boîte de nuit, Lew Rankin (Barry Nelson) et son associé, Marco (Charles Dingle) puis reçoit son avocat alcoolique, Jeff Hartnett (Van Heflin), lequel émaille constamment sa conversation d’allusions littéraires. Cette nuit-là,

Johnny retrouve Lisbeth dans la boîte de Rankin. Il la raccompagne chez elle et apprend qu’elle est la fille de John Benson Farrell (Edward Arnold ), le procureur qui l’avait envoyé en prison. Farrell menace de réincarcérer Johnny s’il continue à voir Lisbeth. Furieux et espérant faire chanter Farrell, le gangster organise un coup monté. Il invite Lisbeth chez lui et la jeune fille assiste à un combat violent entre Johnny et un agresseur, qui est en fait Julio (Paul Stewart) (tenant simplement le rôle que Johnny lui a demandé de jouer dans sa mise en scène). Johnny supplie Lisbeth de l’aider en tuant son prétendu assaillant. Lisbeth s’exécute, mais reste traumatisée d’avoir pu accomplir un tel acte. Entre temps, Rankin cherche à contrôler tout seul les rackets de la ville. Johnny le tue mais doit fuir à la fois ses associés et la police. Lisbeth fait une dépression nerveuse à cause de « son crime» et Farrell supplie Johnny de lui dire la vérité sur l’incident mais seul Hartnett réussira à convaincre Johnny d’aller lui révéler la supercherie. Les hommes de Rankin se rapprochent et malgré le danger, Lisbeth refuse de quitter Johnny. Johnny en allant se rendre est tué par un policier.



Les extraits

LE FILM NOIR
Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »…



LANA TURNER
Sept maris, un père bootlegger assassiné en pleine rue, un amant gangster poignardé par sa propre fille Cheryl : la vie de Lana Turner n’a pas été de tout repos ! Mais ce magnifique symbole du sex-appeal hollywoodien a su révéler une troublante sensibilité sous l’écorce soigneusement entretenue du glamour.


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ON SET – Lana Turner et Mervyn LeRoy – Johnny Eager (1942)

VAN HEFLIN
Né le 13 décembre 1910 à Walters (Oklahoma) ; mort le 23 juillet 1971. Il débute dès 1918 au théâtre à Broadway et c’est après un très long apprentissage sur la scène, coupé de quelques séjours en Californie (on l’aperçoit en 1936 dans A Woman Rebels (La Rebelle de Mark Sandrich), qu’il débute vraiment à l’écran, dans un rôle de « confident » (un peu au sens que ce mot avait dans la tragédie classique) : Johnny Eager (Johny roi des gangsters, 1941, de Mervyn Le Roy). Ce rôle lui vaut un oscar de supporting actor. La suite de sa carrière est marquée par une série – de rôles de composition, où il réussit à prêter vie à des personnages assez éloignés du répertoire américain habituel, en raison de leurs nuances multiples, et souvent de leur apparent manque de volonté. Manque apparent, car le jeu de l’acteur implique parfois la passion, et témoigne toujours d’une robustesse fondamentale. Il a ainsi prêté un relief personnel à ses interprétations d’Athos dans Les Trois mousquetaires, de George Sidney (1948), de Charles Bovary dans Madame Bovary, de Vincente Minnelli (1949), du fermier un peu balourd de Shane (L’Homme des vallées perdues de Georges Stevens, 1953) ou du shérif tenté par le mal dans Trois heures dix pour Yuma (Delmer Daves, 1957). Il a été aussi le journaliste démocrate qui entreprend de fonder un État entre Nord et Sud dans Tap Roots (Le Sang de la terre de George Marshall, 1948) et un policier prêt à céder à la débauche dans The Prowler (Le Rôdeur de Joseph Losey, 1951). Quelquefois terne, la suite de sa filmographie (qui se ralentit après 1966, où il apparaît dans le remake de La Chevauchée fantastique par Gordon Douglas) ne comprend guère que des titres qui valent au moins par sa présence, et plusieurs films excellents : Wings of the Hawk (Révolte au Mexique de Budd Boetticher, 1953) ; Battle Cry (Le Cri de la victoire de Raoul Walsh, 1955) ; La Tempête (Alberto Lattuada, 1958) ; Ceux de Cordura (Robert Rossen, 1959) ; Sous dix drapeaux (Duilio Coletti, 1960).



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