Histoire du cinéma

POVERTY ROW

Poverty Row, le Hollywood du pauvre ! C’est le quartier des studios de second plan qui n’en sont pas moins représentatifs de la production cinématographique américaine.

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THAT BRENNAN GIRL – (Alfred Santell,1946)

Au début des années 1930, Hollywood n’est plus seulement le fief des plus grandes compagnies de production et de distribution. Des firmes de moindre importance s’installent dans le quartier qui prendra l’appellation péjorative de Poverty Row. La chance aidant, certaines d’entre elles sortiront de l’anonymat. A l’exemple de la Columbia, qui était parvenue à s’imposer solidement.

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Production et distribution

Poverty Row correspond à une zone bien délimitée de Gower Street, une voie parallèle au Sunset Boulevard. L’une des plus anciennes firmes cinématographiques qui y ont alors leur siège est la Tiffany, fondée en 1922. Pour la seule année 1930, la Tiffany produit 26 films (soit seulement trois de moins que la Columbia !) : citons notamment Journey’s End (coproduit par une firme anglaise), réalisé avec le meilleur équipement sonore de Hollywood, et Medecine Man, qui tente sans succès d’imposer Jack Benny dans un rôle comique.

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JOURNEY’S END – (James Whale, 1930)

Toutefois, la distribution des films de Poverty Row reste aléatoire. Et tout d’abord parce que ces productions entrent directement en compétition avec les réalisations de série B des plus grands studios. D’autre part, ces films ne peuvent sortir dans le circuit des salles appartenant aux grandes sociétés, dont les directions commerciales sont établies à New York. De ce fait, tous les centres de distribution se trouvent sur la côte est. De là, les films sont loués directement aux directeurs de salles ou cédés à des distributeurs locaux indépendants. Les productions de Poverty Row seront en fait la manne des propriétaires des salles les plus modestes des petites villes de province, qui apprécient ces œuvres moins coûteuses.

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Étant donné leur budget limité, les producteurs de Poverty Row ne peuvent guère prétendre afficher de grandes vedettes. Quant à celles-ci, il faut vraiment que leur étoile soit bien ternie pour qu’elles acceptent de figurer sous cette étiquette peu glorieuse. Parfois, cependant, les petites firmes réaliseront des opérations fructueuses en remettant en circulation d’anciens films dont les acteurs sont devenus célèbres entre temps. C’est ainsi que l’Allied Pictures Corporation (qui deviendra plus tard l’Allied Artists) connaitra un succès inespéré avec The Shriek in the Night (Un cri dans la nuit, 1933), tourné alors que Ginger Rogers n’était pas encore une vedette de la RKO. De même, lorsque la P.R.C. (Producers’ Releasing Corporation) réalise Paper Bullets (1941), Alan Ladd vient en sixième position sur l’affiche. Deux ans plus tard, évidemment, son nom sera passé à la première place : il est alors l’une des stars de la Paramount !

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GREAT GUY – (John G. Blystone, 1936)

La Grand National, qui vient de se créer, pense pouvoir tirer profit du désaccord intervenu entre James Cagney et la Warner et l’engage pour deux films : Great Guy (1936) et Something to Sing About (Hollywood Hollywood !, 1937). Toutefois, malgré leur succès relatif, ces deux productions ne suffisent pas à assurer la prospérité financière de la firme. Pour l’acteur, en revanche, ce sera le moyen de négocier un nouveau contrat beaucoup plus avantageux avec la Warner. Après son départ la Grand National produira encore quelques films médiocres (notamment plusieurs westerns avec Tex Ritter), puis fera faillite en 1940.

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La Monogram et la Republic

Plusieurs firmes de Poverty Row vont néanmoins surmonter les difficultés des années 1930, et la Monogram et la Republic acquerront même un certain prestige. La Monogram a en fait repris la succession de la Rayart, dont la production a été assez abondante au cours des années 1920. Dès ses débuts, la nouvelle compagnie connaît un certain succès avec The Thirteenth Guest (1932) film de fantômes interprété par une Ginger Rogers qui n’a pas encore accédé à la célébrité, puis avec Oliver Twist et Black Beauty (tous deux en 1933) et Jane Eyre (1934), banales adaptations de classiques littéraires.

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Herbert J. Yates, Gail Russell et John Wayne sur le tournage de ANGEL AND THE BADMAN (Ange et le mauvais garçon, 1947)USA réalisé par James Edward Grant.

L’un des principaux actionnaires de la Monogram est alors Herbert J. Yates, directeur de la Consolidated Film Industries, qui loue ses studios à la plupart des petites firmes de Poverty Row. En avril 1935, Yates s’associe à W. Ray Johnston et à Trem Carr pour fonder la Republic : la nouvelle société va absorber la Monogram, ainsi que la Mascot (spécialisée dans le serial), la Liberty et la Majestic.

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WESTWARD HO – (Robert N. Bradbury, 1935)

La Republic reprend donc l’héritage de la Monogram : le premier film distribué est Westward Ho (1935), qui poursuit la série des petits westerns interprétés par John Wayne. Par ailleurs, le nouvel apport de capitaux (deux millions de dollars) va permettre d’intensifier la production. Le nombre de longs métrages réalisés en une année passe ainsi de 28 à 32 (dont 16 westerns). Mais rapidement des conflits naissent entre les trois dirigeants de la firme et Johnston et Carr se séparent de Yates en 1936. Tous deux décident de redonner vie à la défunte Monogram, avec un programme axé sur les productions de série B. Le succès obtenu par la série des Dead End Kids de la Warner les incite à lancer en 1940 les East Side Kids, qui deviendront par la suite les Bowery Boys. De In Fast Company (1946) à In the Money (1958), cette dernière série ne comprendra pas moins de 48 titres.

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Lorsque la 20th Century-Fox abandonne la série des Charlie Chan en 1942, la Monogram prend la suite en gardant le même interprète, Sydney Toler (remplacé en 1947 par Roland Winters). De 1944 à 1947, 17 films seront consacrés aux aventures du célèbre détective. De même, Johnny Mack Brown, transfuge de l’Universal ne tourne pas moins de 67 westerns à la Monogram, depuis The Chost Rider (1943), jusqu’à Canyon Ambush (1952). Johnny Mack Brown interpréta également deux films au budget plus important, Stampede (Panique sauvage au Far West, 1949) et Short Grass (L’Homme de Santa Fé, 1950). Mais ces deux productions plus ambitieuses furent distribuées sous l’étiquette plus prestigieuse de l’Allied Artists.

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CANYON AMBUSH – (Lewis D. Collins, 1952)

Après le départ de Johnston et de Carr, Herbert J. Yates dirige désormais seul la Republic. Il continue à produire des serials (avec Dick Tracy notamment), mais le western se révèle le genre le plus rentable pour les films à petit budget. Les « cow-boys chantants » font recette, et Gene Autry, qui vient de la Mascot, devient l’un des meilleurs atouts de la Republic (citons Red River Valley, 1936). Dès 1938, Roy Rogers prend la relève avec Under Western Stars (il s’imposera d’autant plus aisément que Gene Autry est mobilisé en 1942). Le souriant cow-boy d’opérette, son célèbre cheval Trigger et sa compagne Dale Evans (à la ville Mrs. Rogers) ont conquis les foules et leurs films sont distribués dans les circuits les plus importants. Roy Rogers, tout de blanc vêtu, va parader dans d’innombrables westerns musicaux, jusqu’en 1951, avec Pals of the Golden West. Mais il fera encore une courte apparition comme « guest star » dans Le Fils du visage pâle (Son of Paleface, 1952) de Frank Tashlin.

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SON OF PALEFACE – (Frank Tashlin, 1952)

John Wayne est également une source de profits appréciables pour la Republic, qui l’a sous contrat. En 1938, le dynamique héros de westerns interprète la série à succès des Three Musketeers (avec Max Terhune et Ray Corrigan) lorsque John Ford le demande à Yates pour lui confier le rôle principal de Stagecoach (La Chevauchée fantastique, 1939). C’est la consécration. Grâce à son nouveau prestige de vedette, les quatre films suivants de la série seront un succès.

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STAGECOACH – (John Ford, 1939)
Les ambitions de Herbert J. Yates

La Republic va miser à nouveau sur le couple vedette de Stagecoach, John Wayne et Claire Trevor, pour The Dark Command (L’Escadron noir, 1940). C’est jusqu’ici sa production la plus importante, avec le budget jamais atteint encore de 700 000 dollars. Afin de mettre toutes les chances de son côté, Yates se fait « prêter » Walter Pidgeon par la MGM. Roy Rogers complète la distribution et Raoul Walsh est délégué par la Warner pour assurer la mise en scène. Le film est un succès commercial. Avec John Wayne, la Republic possède une véritable star et peut prétendre concurrencer les plus grandes compagnies. Wayne tournera encore 17 films pour la Republic, avant que sa mésentente grandissante avec Yates ne mette fin à leur collaboration en 1952.

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DARK COMMAND – (Raoul Walsh, 1940)

John Wayne a su néanmoins reconnaître sa dette envers Yates, qui lui a fait tourner quelques-uns de ses plus grands succès. En 1949, la Republic réalise de gros bénéfices avec Wake of the Red Witch (Le Réveil de la sorcière rouge) et The Sands of Iwo Jima (Iwo Jima). Citons encore deux chefs-d’œuvre de John Ford, Rio Grande (1950) et The Quiet Man (L’Homme tranquille, 1952).

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WAKE OF THE RED WITCH – (Edward Ludwig,1948). La fausse pieuvre du film sera volée par le réalisateur Ed Wood pour le film La Fiancée du monstre.

Herbert J. Yates encouragera également d’autres réalisations de prestige : Moonrise (Le Fils du pendu, 1948) de Frank Borzage, The Red Pony (Le Poney rouge, 1949) de Lewis Milestone et le Macbeth d’Orson Welles (1948) sont distribués par la Republic en tant que productions du groupe indépendant de Charles K. Feldman. Yates a manifestement l’ambition de hisser la Republic au rang des plus grandes compagnies. Mais il ne parviendra pas à réaliser l’un des projets qui lui tiennent le plus à cœur : tourner, le premier, un film entièrement en couleurs (selon le procédé Trucolor élaboré par ses studios). En 1951, il ouvre en Grande- Bretagne une succursale qui aura l’exclusivité pour distribuer ses productions. Lors de l’apparition du grand écran, au début des années 1950, il tente encore d’affirmer sa position : alors que la plupart des studios adoptent le Cinémascope (sous licence de la Fox), il s’en tient obstinément à son propre procédé, la Naturama.

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THE MAVERICK QUEEN – (Joseph Kane, 1956)

Toutefois, la firme est durement touchée par le départ de John Wayne. Et c’est sans grand succès que la Republic engage des acteurs comme Sterling Hayden, Forrest Tucker ou Wendell Corey. L’une de ses spécialités est alors de relancer des vieilles gloires sur le déclin : c’est le cas de Ray Milland, qui tourne A Man Alone (Un homme traqué, 1955) et Lisbon (L’Homme de Lisbonne, 1956) avec un contrat d’acteur-producteur-metteur en scène, de Barbara Stanwick, qui interprète The Maverick Queen (La Horde sauvage, 1956) et de Joan Crawford dans Johnny Guitare (Johnny Guitar, 1954).

L’une des causes principales du déclin de la Republic sera l’inexplicable engouement de son président pour l’ex-patineuse Vera Ralston. Yates impose la blonde Vera comme vedette dans la plupart de ses productions les plus importantes et il l’épouse en 1952. Mais il est le seul à croire à son talent d’actrice et le résultat sera catastrophique. John Wayne garde un fort mauvais souvenir du tournage du The Fighting Kentuckian (Bagarreur du Kentucky, 1949), où il devait partager la vedette avec la protégée de Yates. En 1955, la Republic doit mettre un terme à ses productions de prestige et revenir aux séries B. Mais l’inévitable Vera Ralston règne toujours. Elle fera sa dernière apparition à l’écran dans The Man Who Died Twice (1958), qui sera aussi le dernier film distribué par la Republic, dont la dernière production, Plunderers of Painted Flats (Les Pillards de la Prairie, 1959) est un western à bon marché. C’est le retour au style des années 30 !

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THE MAN WHO DIED TWICE – (Joseph Kane,1958)
 La Producers’ Releasing Corporation

Pour compléter ce panorama de Poverty Row, il faut enfin mentionner la Producers’ Releasing Corporation, dont les œuvres sont pour la plupart d’une médiocrité telle que les productions les plus modestes de la Monogram et de la Republic font à côté figure de chefs-d’œuvre ! Néanmoins, en de rares occasions, quelques metteurs en scène sauront tirer le meilleur parti d’un budget de misère et réaliseront des films intéressants. Ainsi Frank Wisbar, avec Stranger of the Swamp, ou Edgar G. Ulmer avec Bluebeard (BarbeBleue, 1944), Detour (1945) et Her Sister’s Secret (1946), qui fut le plus grand succès de la P.R.C.

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DETOUR – (Edgar George Ulmer, 1945)

LE SYSTÈME DES STUDIOS
Le système des studios, phénomène typiquement hollywoodien, domina pendant plus de vingt ans la production cinématographique américaine. Il est difficile d’apprécier, aujourd’hui encore, dans quelle mesure cette structure rigide répondait à une réelle et impérieuse nécessité.

L’ASCENSION DE LA RKO
Curieusement, la RKO est née d’une initiative anglaise. A l’origine de la future compagnie hollywoodienne, on trouve en effet un petit studio ouvert en 1920 à Hollywood par la société britannique Robertson-Cole, jusque-là spécialisée dans l’importation d’automobiles aux États-Unis. En dépit de son envergure modeste, la Robertson-Cole a néanmoins sous contrat plusieurs grandes vedettes du muet, comme Sessue Hayakawa, Mae Marsh et Zasu Pitts, mais sa star incontestée est Pauline Frederick. 

AU SOMMET DE LA PARAMOUNT
En difficulté pendant les années 1930, la Paramount battra tous les records de recettes au lendemain de la guerre : un redressement spectaculaire dû à une gestion aussi avisée que clairvoyante. Vers le milieu des années 1930, la Paramount est au bord de la faillite. Pour les actionnaires, « l’usine à rêves » tourne au cauchemar…


DETOUR – Edgar George Ulmer (1945)
Detour est très loin d’être la seule excellente série B noire. Celle-ci permettra à de nombreux réalisateurs de poursuivre le sillon. Notamment Anthony Mann qui y fait des premières armes réussies, couronnées par le remarquable Raw Deal. Nombre de réalisateurs comme John Farrow, à qui on doit l’excellent The Big Clock, Richard Fleisher ou Vincent Sherman participeront à une production abondante et souvent de qualité.

JOHNNY GUITAR – Nicholas Ray (1954)
Ce film, que les années ont transformé en « western classique », certains le considéraient en son temps comme un « faux western », ou bien comme un « super western », le genre n’étant là que prétexte pour mieux déguiser un manifeste contre le maccarthysme. Avoué ou implicite, le critère de jugement est la fidélité au western.



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