Grand rival d’Albert Simonin pour la mainmise sur la littérature policière des années 1950, Auguste Le Breton a révolutionné le film de gangsters en y faisant « jacter » des voyous plus vrais que nature. Portrait d’un caïd venu de l’ouest.

Comme le dit le vieil adage, on ne parle bien que de ce que l’on connaît. Une opinion partagée par Auguste Le Breton, qui aura puisé la majeure partie de son inspiration dans les souvenirs d’une jeunesse tourmentée. De son vrai nom Auguste Monfort, le futur écrivain naît en 1913 dans une ferme de Lesneven, bourgade du Finistère. La Première Guerre mondiale lui enlève très tôt son père, et le voilà placé en orphelinat, institution où il sera tellement malheureux qu’il finira par s’enfuir. Rattrapé, le jeune Auguste est expédié en maison de redressement, où il découvre un avant-goût du monde de la pègre. Une fois libéré, il s’essaie à divers petits boulots, de terrassier à couvreur, avant de frayer avec les malfrats de Montmartre. Tâtant également de la plume, il s’inspirera de son expérience du « terrain » pour écrire un premier roman policier, Du rififi chez les hommes, qui à sa grande surprise est publié avec succès en 1953. Il choisit de conserver le surnom qu’on lui a attribué dans le Milieu, et entame alors une carrière de romancier à laquelle le cinéma va bientôt offrir une immense publicité.


En effet, deux ans après la parution de Du rififi chez les hommes, le réalisateur américain Jules Dassin, en exil à Paris pour cause de chasse aux sorcières, décide de porter le roman à l’écran. Il contacte donc Auguste Le Breton, non seulement pour lui acheter les droits du livre, mais pour lui demander d’en coécrire l’adaptation. Surtout, Jules Dassin tient à ce que Le Breton signe les dialogues du film, qui doivent sonner le plus juste possible : un exercice dans lequel le romancier va exceller, nourrissant les répliques de toutes les expressions argotiques apprises au milieu des truands. Mais, toujours par souci de réalisme, Dassin et Le Breton décideront aussi de bannir tout dialogue de la fameuse scène du casse, au cours de laquelle pas un mot ne sera échangé entre les personnages, et ce pendant vingt minutes : du jamais vu depuis l’invention du cinéma parlant… En cette même année 1955, Jean-Pierre Melville fait également appel à l’expérience d’Auguste Le Breton, et pas uniquement en matière de scénario : c’est en effet grâce aux relations du romancier que le cinéaste finit par retrouver la trace de Roger Duchesne, jeune premier d’avant-guerre devenu cambrioleur. Il tiendra le rôle principal de Bob le flambeur...


Ces deux films désormais mythiques vont assurer la notoriété d’Auguste Le Breton, qui vend immédiatement les droits d’adaptation de Razzia sur la chnouf et de La Loi des rues (roman qui donnera même lieu à une version turque en 1964). Puis Gilles Grangier demande en 1957 à l’auteur de s’associer avec lui et Michel Audiard pour transposer à l’écran son livre Le Rouge est mis, projet qui offrira à Gabin l’un de ses meilleurs rôles dans le genre du polar. Après quoi, Le Breton préfèrera s’en tenir à la littérature, se contentant pour ce qui est du cinéma de céder à bon prix les droits de la série des « Rififi » ou du Clan des Siciliens, qui donnera lieu au chef-d’ œuvre que l’on sait. A partir de 1972, le romancier publie une série de récits largement autobiographiques, puis deux dictionnaires d’argot, et même un recueil de poésie. Avant de s’éteindre tranquillement à l’âge de 86 ans, à la différence de ses héros souvent voués à une fin plus violente.


Bien qu’il n’ait pas rencontré à sa sortie le succès escompté, Bob le flambeur accède rapidement au statut de film-culte grâce aux réalisateurs de la Nouvelle Vague, qui voient dans le film un modèle à suivre. De nos jours, ce polar de 1955 figure en bonne place dans le panthéon du film noir, au point que Neil Jordan en a signé en 2002 un remake intitulé L’Homme de la riviera, interprété par Nick Nolte. Bien qu’il ait préféré situer l’intrigue à Monte-Carlo plutôt qu’à Deauville, le cinéaste irlandais est resté plutôt fidèle au scénario écrit près de cinquante ans plus tôt par Melville et Le Breton.


Adaptation de l’oeuvre d’Auguste Le Breton à l’écran
Du rififi chez les hommes – Jules Dassin (1955)
Razzia sur la chnouf – Henri Decoin (1955)
La Loi des rues – Ralph Habib (1956)
Le Rouge est mis – Gilles Grangier (1957)
Rafles sur la ville – Pierre Chenal (1958)
Du rififi chez les femmes – Alex Joffé (1959)
Rififi à Tokyo – Jacques Deray (1963)
Du rififi à Paname – Denys de la Patellière (1966)
Le Clan des Siciliens – Henri Verneuil (1969)
Les Hauts Murs – Christian Faure (2008)



DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES – Jules Dassin (1955)
Sorti sur les écrans français le 13 avril 1955, Du rififi chez les hommes constitue, en raison de la nationalité américaine de son réalisateur, un cas particulier au sein du film de gangsters français des années 1950. Victime de la chasse aux sorcières maccarthyste, le cinéaste Jules Dassin est contraint d’interrompre sa carrière hollywoodienne après avoir achevé le tournage de Night and the City (Les Forbans de la nuit, 1950) en Angleterre. Il émigre peu de temps après en France, et se voit proposer en 1954 d’écrire et de réaliser l’adaptation de Du rififi chez les hommes.

RAZZIA SUR LA CHNOUF – Henri Decoin (1954)
Rebondissant sur le succès surprise de Touchez pas au grisbi, Gabin se lance en 1954 dans l’aventure de Razzia sur la chnouf. Un polar qui, grâce à l’habileté du cinéaste Henri Decoin, rejoindra tout naturellement la liste des grands films de l’acteur. Dans ce film, Gabin peaufinera le personnage qui dominera la seconde partie de sa carrière : le dur à cuire impitoyable mais réglo.

LE ROUGE EST MIS – Gilles Grangier (1957)
Sous la couverture du paisible garagiste Louis Bertain (Gabin) se cache « Louis le blond », roi du hold-up flanqué en permanence de Pépito le gitan, Raymond le matelot et Fredo le rabatteur. Un jour, ce dernier « lâche le morceau » à la police ce qui laisse planer le doute sur la trahison de Pierre, le frère du patron. Dès lors, tout s’emballe jusqu’au mortel affrontement avec Pépito. Comme au temps d’avant-guerre, Gabin meurt une fois encore une fois dans cette « série noire » au final tragique.

DU RIFIFI À PANAME – Denys de La Patellière (1966)
Pour leur quatrième collaboration, Jean Gabin et le réalisateur Denys de La Patellière arrêtent le choix sur un roman d’Auguste Le Breton, matériau idéal pour un polar « de prestige ». Cosmopolite et brillant, le résultat fera partie des réussites du tandem.

LE FILM NOIR FRANÇAIS
C’est un réflexe de curiosité qui nous portent vers le film noir français. En effet, quelle forme fut plus occultée en faveur du thriller américain et de sa vogue chez nous ? Quand Bogart-Philip Marlowe appartenait à nos mémoires les plus chauvines, Touchez pas au grisbi de Becker était à une époque invisible. La Nouvelle Vague avait opéré une fracture avec un certain cinéma sclérosé qu’elle allait remplacer. A l’exception de Renoir, elle se voulait sans ascendance nationale. Les noms de Gilles Grangier ou d’Henri Decoin faisaient rire dans les années 1960… mais il fallait-il rejeter leurs policiers denses et robustes des années 1950 ? Dans la mouvance du Grisbi, un genre s’était constitué avec sa durée propre, sa forme très codifiée, toute une mise en scène originale du temps mort.

VAGUE CRIMINELLE SUR LE CINÉMA FRANÇAIS
Doublement influencé par la vogue des films noirs américains et par les tragédies urbaines de Marcel Carné, le cinéma français va connaitre, au cours des années 50, un véritable déferlement criminel dans ses salles obscures…

TROIS HOMMES DU MILIEU (par Philippe Carcassonne)
Dans les années 1950, le film noir français découvre l’envers d’une morale. i l’on entend par « cinéma noir » non plus la marque d’un genre, mais l’esprit même de la noirceur, ce goût très français – jusqu’à la complaisance – de l’ignominie morale, sociale ou psychologique, c’est presque toute la production d’avant la Nouvelle Vague qu’il conviendrait de dénommer ainsi.
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- L’ESSOR DE LA COMÉDIE À L’ITALIENNE
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Catégories :Histoire du cinéma
