Le 8 mai 1945, l’Allemagne capitule, marquant la fin de la guerre en Europe. La France fête la victoire mais reste marquée par la fatigue, la pauvreté et la déception, alors que l’épuration se poursuit. Malgré la condamnation de Pétain et l’exécution de Laval, les difficultés persistent : rationnement du pain, pénurie d’électricité et première dévaluation du franc. De Gaulle encourage la croyance en la grandeur nationale, même si le climat reste morose.


Alors se réfugier dans la littérature, dévorer les livres comme au temps du couvre-feu ? Face à la concurrence artistique internationale et au passé controversé de certains écrivains, le cinéma apparaît comme un espoir pour la culture française d’après-guerre. Cependant, le secteur souffre d’un manque de moyens, d’infrastructures vétustes et d’une production jugée légère par un public avide de rêve hollywoodien, bien que les films réalisés à la fin de l’occupation aient montré des tentatives audacieuses malgré les difficultés.


À l’époque, les jeunes affluent dans les caves après avoir lu Les Chemins de la Liberté. Claude Luter incarne le jazz au Lorientais et Boris Vian se distingue, provoquant la colère de la Ligue des Pères de Famille à cause de son livre J’irai cracher sur vos tombes, qui réclame alors une lourde amende. Fred Baum filme des scènes jugées scandaleuses, poussant les autorités à fermer l’établissement. En 1949, Jacques Becker rendra hommage à cette scène dans son film Rendez-vous de juillet.


Le cinéma français a brièvement produit de nombreux films de guerre, adoptant souvent le style des romans d’espionnage et masquant parfois la simplicité des personnages sous une couche littéraire. Parmi ces œuvres, on retrouve Boule de suif (1945) par Christian-Jaque, Patrie (1945) adapté par Daquin, Bost et Spaak, et Le Capitan (1945) de Robert Vernay. Enfin, Jéricho de Henri Calef et La Bataille du rail de René Clément se distinguent parmi les films marquants sur la Libération.


Bataillon du ciel (1945) écrite par Joseph Kessel et et filmée par Alexandre Esway paraît excessif après coup. Clément règle des questions techniques dans Les Maudits (1946), mais peine avec une intrigue romanesque. En 1947, Dréville retrouve l’authenticité avec La Bataille de l’eau lourde. Plus tard, le cinéma revient sur l’Occupation avec nuance. Les films américains exploitent leur production de guerre ; en France, la prudence domine après l’échec des Portes de la nuit et la controverse d’Aubervilliers. Le cinéma français se replie alors sur lui-même, préférant une attitude distante et rêveuse.


Brasillach est exécuté, Raimu enterré, Le Vigan condamné. Le premier Festival de Cannes, organisé en 1946 pour promouvoir la coopération artistique, se déroule dans une ambiance festive. Cependant, les accords Blum-Byrnes, visant à protéger temporairement l’industrie française du film face à l’arrivée massive de productions américaines et britanniques, suscitent une vive opposition dans le secteur, inquiets de l’avenir des œuvres nationales.


« Il aura fallu cette guerre. Il aura fallu la mise à l’index du cinéma fronçais sur son propre territoire, son interdiction de séjour dans divers pays alliés – je songe à l’Amérique et à l’URSS – le cancer des taxes, les accords Blum-Byrnes, pour qu’enfin on organise, en guise de compensation, ce Festival de Cannes si cher à nos cœurs… Allons ! A quelque chose malheur est bon. Les Blum-Byrnes brothers nous ayant condamnés à mort, on veut bien nous jeter cette dernière cigarette… Merci beaucoup, vous êtes bien aimables. Il est naturel, n’est-ce pas, il est normal, il est juste que les efforts des cinéastes du monde entier se concrétisent en France, pays notai du cinéma. Les cinéastes français avant de mourir étranglés sont heureux de vous présenter leur agonie… Six films… six derniers soupirs peut-être .» Henri Jeanson


Après la limitation du nombre de films américains, le cinéma français brille à Cannes et décerne ses prix même dans un contexte historique agité par la guerre froide, la décolonisation et la déstalinisation. Dans le même temps, la mode française triomphe Dior ; la culture s’affirme à travers la musique, la poésie de Prévert et la littérature parfois provocante, tandis que Sartre attire davantage l’attention que Montherlant.


Trois mousquetaires du cinéma français passent (ou trépassent) devant la toile de fond. Maurice Cammage, qui exploita la mâchoire de Fernandel, meurt en pleine jeunesse ; Pierre Caron, qui chanta le troufion en 1940, est condamné par contumace à cinq ans de prison pour intelligence avec l’ennemi. Claude Dolbert, qui n’a pas meilleure réputation, veut révolutionner la production en tournant à toute allure, dans des décors montés sur pivots et roulettes, trois ou quatre films à la fois. Le public boude à juste titre Le Cabaret du grand large et préfère voir le premier essai en couleurs présenté par Max de Vaucorbeil : Le Mariage de Ramuntcho (1946).


1948 – Les gouvernements se succèdent sans changement notable. C’est l’époque de la guerre froide et d’incidents internationaux comme le pont aérien de Berlin. Aux JO de Londres, absence notable des délégations allemande et soviétique. L’année voit disparaître Louis Lumière, Antonin Artaud, Georges Bernanos ; Jacques Prévert se blesse grièvement. L’institut de filmologie ouvre, les ciné-clubs attirent les foules. Sartre est mis à l’index par le Vatican mais triomphe au théâtre avec Les Mains sales, adapté au cinéma par Fernand Rivers. Marcel Duhamel lance la « Série noire » chez Gallimard, la 2 CV séduit les rêveurs équipés de transistors, et les Frères Jacques font sensation en cabaret. Anouilh joue Ardèle ou la Marguerite, Valentine Tessier interprète Lucienne et le Boucher de Marcel Aymé, tandis qu’Annick Bellon dévoile la précarité bretonne dans Goémons.


1949 – Après la guerre, la France retrouve un certain bien-être social, marquée par la fin des tickets de rationnement et le succès du film Le Troisième Homme de Carol Reed. Plusieurs figures majeures disparaissent : Copeau, Dullin, Christian Bérard et Richard Strauss. La mort de Marcel Cerdan bouleverse le pays, alors qu’un film lui était dédié. Sur le plan littéraire, Robert Merle publie Week-end à Zuydcoote, tandis que Hériat et Salacrou rejoignent les Goncourt. Le théâtre voit débuter La Cantatrice chauve d’Ionesco, et Arletty brille dans Un Tramway nommé Désir. La France signe une coproduction cinématographique avec l’Italie ; René Vautier réalise un premier film anticolonialiste, censuré aussitôt, et Menegoz soutient les dockers bretons. Enfin, Marcel Pagliero irrite la critique communiste avec son portrait du monde ouvrier havrais.


1950 – De nombreux bouleversements politiques et culturels marquent la France et le monde : la guerre de Corée éclate, les États-Unis interviennent, et l’Indochine s’embrase, tandis que la Tunisie et le Maroc revendiquent davantage d’autonomie. Les Français suivent ces actualités dans la presse, tout en célébrant des exploits comme l’ascension de l’Annapurna par Herzog et Lachenal. Le paysage culturel évolue avec les premiers microsillons, l’arrivée du Coca-Cola, les succès littéraires de Green, Nimier, et Gracq, ainsi que les pièces d’Anouilh et d’Aymé. Au cinéma, René Clair est salué et les Cahiers du cinéma paraissent. La mort de de Lattre de Tassigny et les tensions en Indochine inquiètent, tandis que des figures artistiques majeures comme Paul Éluard et Roger Vitrac disparaissent. Sur la scène musicale et cinématographique, Line Renaud, Greco et Brigitte Bardot gagnent en notoriété. Enfin, Elizabeth II devient reine et Alain Bombard traverse l’Atlantique, alors que la revue Positif voit le jour malgré la censure qui frappe certains films.


1953 – La situation en Afrique du Nord, traversée d’émeutes et de coups de force, condamne le cabinet Mendès France, remplacé par un cabinet Edgar Faure, mais dans l’arrondissement de Constantine, l’état d’urgence est proclamé. L’Assemblée générale des Nations Unies siège à New York. Orson Welles, Preston Sturges, Laszlo Benedek tournent en France. Claudel vient de mourir, Cocteau devient immortel. Arthur Honegger, Maurice Utrillo disparaissent et la mort brutale de James Dean bouleverse les cinéphiles. Jean Renoir présente sa pièce Orvet. Le procédé Todd AO tente de détourner les téléspectateurs du petit écran et le premier festival de Tours s’ouvre aux courts métrages qui ont permis à Jean Dewever de s’exprimer sur la crise du logement.


Crépuscule d’une République en déclin, coïncidant avec l’usure du cinéma. Les ministères vacillent sous l’âpreté de la guerre d’Algérie et l’indépendance du Maroc et de la Tunisie. La production cinématographique est anémique, mais le court métrage bouillonne avec des œuvres prometteuses. Alain Resnais, Agnès Varda, François Truffaut, Jean-Luc Godard, et d’autres innovent avec humour et tendresse. Les opéras sous-marins de Cousteau et les recherches ethnographiques de Jean Rouch captivent. Chris Marker émet ses messages, tandis que Haroun Tazieff fascine avec ses volcans. Le canal de Suez et les chars soviétiques à Budapest marquent l’époque. En France, la télévision devient une habitude et les Maisons des Jeunes et de la Culture se multiplient. Paul Léautaud et Mistinguett disparaissent, emportant avec eux une époque révolue. Le régime hésite face à l’Algérie en flammes, puis bascule, laissant place au Général de Gaulle, premier Président de la Ve République. [La IVe République et ses films – Raymond Chirat – 5 Continents / Hatier (1985)]



[la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – LA MOISSON DE LA LIBÉRATION (1/10)
S’écoule l’année 1945. Le bilan de la Saint-Sylvestre surprend et inquiète. Abstraction faite des films inspirés par le conflit et l’occupation, les premiers préposés aux opérations de qualité se sont embourbés dans des histoires battues et rebattues…

[la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – UNE ABDICATION FORCÉE (2/10)
Le triomphe des Enfants du paradis a marqué la carrière de Marcel Carné. Ce film, fruit de la collaboration entre Carné, Prévert, Trauner, Hubert, Thiriet et Kosma, est un pur produit de la qualité française, rendant hommage au théâtre et à la pantomime. Conscient de la difficulté de surpasser cette œuvre, Carné choisit comme prétexte un ballet, Le Rendez-vous, avec un scénario de Prévert et une musique de Kosma, bien accueilli. Prévert adapte le scénario pour Jean Gabin, de retour des États-Unis, et Marlène Dietrich, désireuse de tourner à ses côtés. L’action, concentrée en une nuit, se déroule dans un quartier appauvri et glacial de Paris, juste après la guerre.

[la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – CHACUN À SA PLACE (3/10)
La qualité, selon certains metteurs en scène, doit éviter les sujets trop actuels et acerbes. René Clair, après avoir surpris avec des aperçus d’apocalypse dans La Beauté du diable, revient à des œuvres plus légères comme Les Belles-de-Nuit. Henri-Georges Clouzot, quant à lui, est critiqué pour s’aventurer hors de son domaine de suspense, comme dans Miquette et sa Mère et Les Espions. Cependant, il excelle dans des œuvres comme Les Diaboliques et Le Salaire de la peur, où il maîtrise le suspense et l’aventure. Ses films, bien que haletants et satisfaisants, sont parfois jugés trop dérisoires, comme Manon.

[la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – DRAPEAUX NOIRS (4/10)
Les films d’Yves Allégret illustrent la tradition du réalisme poétique avec des ambiances sombres, des personnages marquants et un attachement au quotidien portuaire. En parallèle, Julien Duvivier maintient une vitalité dans le cinéma noir français, multipliant les succès populaires et maniant savamment les contrastes entre tragédie et légèreté, notamment à travers les séries Don Camillo et des œuvres comme Voici le temps des assassins. Si la constance et le réalisme caractérisent ses films, l’originalité semble s’être réfugiée dans La Fête à Henriette.

LE CINÉMA FRANÇAIS SOUS L’OCCUPATION
Dès 1940, les Allemands entendent contrôler l’industrie cinématographique de la France occupée, et, surtout, favoriser l’exploitation de leurs propres films. Le cinéma français connaîtra pourtant une exceptionnelle vitalité. En juin 1940, après les quelques semaines de combats qui suivirent ce que l’on a appelé « la drôle de guerre », les Allemands occupent Paris, Le gouvernement du maréchal Pétain s’installe à Vichy, au sud de la Loire, et la France, coupée en deux, peut apparaître désormais comme un élément de l’ »Europe nouvelle » en cours d’édification…

LE CINÉMA FRANÇAIS DE L’APRÈS-GUERRE
Tout de suite après la guerre, le cinéma français sembla revenir à ses thèmes traditionnels. Mais de nouveaux auteurs et de nouveaux ferments laissaient déjà présager le changement décisif qui allait intervenir.

LES PORTES DE LA NUIT – Marcel Carné (1946)
Après Les Enfants du paradis et quelques chefs-d’œuvre, le tandem Marcel Carné-Prévert se reconstitue pour un nouveau film, Les Portes de la nuit, avec Jean Gabin et Marlène Dietrich en vedettes. Mais au dernier moment, ils abandonnent le projet. Ils vont être remplacés par deux comédiens quasi-débutants : Yves Montand et Nathalie Nattier.
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – LE CHARME VÉNENÉUX D’AUTANT-LARA (7/10)
- L’ESSOR DE LA COMÉDIE À L’ITALIENNE
- RIO BRAVO – Howard Hawks (1959)
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – L’HOMME AU PIÉDESTAL (6/10)
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – CALVACADES ET PÉTARADES (5/10)
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Catégories :Histoire du cinéma
