Que Prévert, que Jeanson écrivent pour de telles images leurs plus beaux dialogues, leurs meilleures mots d’auteur; que Maurice Jaubert joue de ses thèmes musicaux les plus lancinants; qu’un opérateur comme Eugen Shuftan, qu’un décorateur comme Alexandre Trauner révèlent le fantastique du quotidien; que Jean Gabin, Michèle Morgan, Arletty ou Viviane Romance aiment et meurent; et le « réalisme poétique » impose au monde l’image du cinéma français. En 1938, aux portes des cinémas : Quai des brumes et Hôtel du Nord (Carné), La Rue sans joie (Hugon), Prisons sans barreaux (Moguy), L’Etrange monsieur Victor (Jean Grémillon), La Maison du Maltais (Pierre Chenal), Une Java (Claude Orval), Campement 13 (Jacques Constant), Le Ruisseau (Maurice Lehmann), le meilleur et le pire. Marlous et putains, entraîneuses et mouchards, proxénètes et barbeaux, tueurs et insoumis, tout ce beau monde des faits divers n’échappe pas à une certaine sophistication. L’esprit du boulevard conserve un écho dans les bas-fonds, et l’étalage de ces vies mornes et désespérées fascine à tel point le public que Serge Veber peut écrire: « En dehors du rayon aux cocardes, dès qu’un film présente des héros sans défauts, ni tares, ni vices, il les présente devant des salles à moitié vides ».