Le Film Noir

THE STRANGE LOVE OF MARTHA IVERS (L’Emprise du crime) – Lewis Milestone (1946)

Grand film noir où Barbara Stanwyck incarne déjà une mante religieuse qui fera tout pour garder un pouvoir acquis dans le sang d’un crime de jeunesse. (…) Lewis Milestone construit un récit complexe, où chacun se débat dans le piège de sa conscience, de sa mémoire. On ne s’étonne pas de la richesse du scénario, puisqu’il est l’oeuvre de Robert Rossen, futur réalisateur de The Hustler (L’Arnaqueur), ni de la tension de la mise en scène, car l’assistant de Milestone n’était autre qu’un débutant nommé Robert Aldrich ! Kirk Douglas jouait son premier rôle, aux antipodes de ses futures prestations : il est remarquable en pauvre bougre. A noter, la présence de Lizabeth Scott, véritable clone de Lauren Bacall. [Guillemette Odicino – Télérama – juillet 2017]

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Après la guerre, Hall Wallis, avec son goût des histoires extrêmement romanesques, produisit des scénarios très reconnaissables. Ses personnages, appartenant rarement aux classes populaires, souffrent toujours de névroses et d’obsessions. Ses scripts donnèrent à des réalisateurs expérimentés comme Dieterle, Litvak et Milestone, une certaine liberté d’expression mais la plume de Wallis apparaît toujours derrière ses personnages angoissés, incapables d’action, tels ceux qu’incarnait Ann Richards dans Love Letters (Le Poids d’un mensonge) et Sorry, Wrong Number (Raccrochez, c’est une erreur). On reconnaît aussi sa griffe dans sa manière de faire appel aux phantasmes secrets du public, ou enfin, par la manie qu’ont ses protagonistes de revenir sur les lieux de leurs anciens traumatismes pour ranimer des passions refoulées.  

La musique deThe Strange love of Martha Ivers (L’emprise du crime), écrite par Miklos Rozsa, est un bon exemple conventionnel de l’usage du leitmotif dans les films hollywoodiens. Cette technique associe un thème musical particulier à chaque personnage et à chaque situation, renforçant le développement dramatique et aiguisant chez le public la compréhension et les attentes non verbalisées. Notons, par ailleurs que la chanson Strange Love, illustre la douceur de Toni, laissant présager un happy end, et n’évoque pas du tout la dureté de Martha. L’art de Rozsa est tel que même les moments musicaux prennent un relief caractéristique. 

Le grotesque triangle amoureux formé par les trois protagonistes charge The Strange love of Martha Ivers d’implications noires. En effet, les personnages dans la mesure où leurs relations sont sous-tendues par la peur, la culpabilité ou la cruauté, sans oublier un romantisme excessif, sont caractérisés par un déséquilibre émotionnel. Masterson, joué par Heflin, a la fonction d’un catalyseur. Son arrivée provoque non seulement des bouleversements dans la vie quotidienne de la ville, mais aussi la mort de ses citoyens les plus importants. Milestone a voulu établir des affinités entre le sexe et la violence et mettre en scène les manipulations sadiques d’une femme fatale. Douglas incarne un O’Neil typique d’une certaine tendance du film noir à faire des personnages dotés d’un grand pouvoir social, des gens malades et impuissants physiquement. Masterson, quant à lui, doit se contenter de réagir aux désirs d’emprise de Martha Ivers. Le double suicide, inhabituel, associe une fois de plus le film noir au concept surréaliste de « l’amour fou », lequel ne trouve sa justification que dans la mort.  [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]


LE FILM NOIR
Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »… Lire la suite


Barbara Stanwyck jouait aussi bien les jeunes femmes vulnérables que n’importe quelle ingénue aux yeux de biche, mais avait une vie personnelle des plus piquantes, En 1933, elle fonda Athena National Sorority, une organisation vouée à aider la carrière de jeunes femmes d’affaires (Stanwyck était un bon modèle, puisqu’elle était son propre patron). Elle évita les contrats à long terme auprès des studios tout en s’appropriant intelligemment les rôles les plus juteux. Son naturel à l’écran plaisait à la fois aux hommes et aux femmes, et la distinguait de ses contemporaines plus maniérées. C’est la rudesse qui ressortait le plus clairement de son personnage à l’écran ; même quand elle jouait des rôles de victimes, elle ne baissait jamais les bras sans se battre.

Stanwyck craignit que Double Indemnity, sa première plongée à Dark City, ne mette un terme à sa carrière en lui donnant une image extrêmement violente : celle d’une meurtrière sans remords. A sa grande surprise, le public se délecta de sa cruauté. Mme Dietrichson devint une légende et, en 1944, l’administration fiscale révéla que l’ancienne danseuse à dix cents le numéro était devenue la femme la mieux payée du pays. Davantage même que sa principale rivale, Bette Davis. Après quelques rôles plus légers durant la guerre, Stanwyck trouva une place de parking permanente à l’ombre de Hate Street en incarnant le cœur noir du murder drama le plus méchant jamais réalisé, The Strange Love of Martha Ivers. Ecrit par Robert Rossen, The Strange Love of Martha Ivers est un « film de femmes » délirant dans lequel des peurs et des culpabilités enfantines reviennent tourmenter les protagonistes durant toute leur vie adulte.

Walter O’Neil voit l’orpheline Martha tuer sa tante maléfique. Lors de son témoignage, Martha ment et impute le meurtre à un cambrioleur en forçant Walter à confirmer sa version des faits. Le père de ce dernier, un avocat avide, comprend que Martha, débarrassée de sa tante, va hériter de la fortune de son père, et se sert d’un faux témoignage pour faire condamner un innocent, qui est exécuté. Walter et Martha se marient, liés pour toujours par leur forfait. Des années plus tard, ils ont pris le contrôle d’Iverstown : Martha (Stanwyck) estr une industrille impitoyable et Walter (Kirk Douglas, dan son premier rôle au cinéma), un procureur imbibé de whiskey.

Leur union, fait d’un mélange de haine ct de culpabilité, se transforme en triangle instable lorsque Sam Masterson (Van Heflin) rentre à la mison. Sam était le copain d’enfance de Martha et ils devaient s’enfuir ensemble la nuit même où Martha refroidissait sa tante. Devenu un bon à rien qui erre de ville en ville, Sam réveille les désirs enfouis de Martha, ce qui n’est pas sans susciter la jalousie et son cortège de soupçons chez Walter, qui est par ailleurs convaincu que Sam veut les faire chanter. Il engage de gros bras du coin pour s’occuper de son ancien pote et le virer de la ville.

Mais Sam, bien déterminé à découvrir le secret qui dévore ce couple mal assorti, ne se décourage pas. Il cherche aussi à se servir de l’attirance qu’il suscite chez Martha pour humilier Walter. Et ça marche.
« Tu sais ce que je pense, Martha ? De Sam, je veux dire, dit Walter.
– Je crois le savoir, répond-elle, et tu vas te contenter d’y penser. Rien que d’y penser. À moins, bien sûr, que je te dise de faire autrement. » .
Du pur Stanwyck. Sam et Martha consomment leur passion, mais la culpabilité les submerge. Walter, fou furieux, s’en prend à Sam, mais tombe dans l’escalier, ivre mort. Martha sidère Sam en lui demandant d’achever son mari inconscient pour qu’ils puissent être « libres ». Mais comme vingt ans auparavant, Sam prend ses jambes à son cou et s’enfuit, emportant leur secret avec lui.

Walter prend alors Martha dans ses bras et lui pardonne dans un final fiévreux : « Je t’aime », lui dit-il alors que celle-ci regarde Sam, son véritable amour, s’éloigner. « Et ne pleure pas, ce n’est pas de ta faute… Ce n’est la faute de personne. Les choses sont comme ça, c’est tout. C’est parce qu’on veut tous quelque chose, et qu’on est prêt à tout pour l’obtenir. Et qu’on a énormément de mal à l’obtenir. » Martha et Walter s’embrassent, elle lui promet qu’ils vont recommencer à zéro, « comme s’il ne s’était rien passé ». Walter sort le pistolet de sa poche et le presse contre la taille de Martha. Il hésite, attend qu’elle lui dise quoi faire. Elle guide son doigt sur la gâchette, pour enfin mettre un terme à toute cette peur, toute cette aversion. Puis Walter met fin à sa propre douleur en se tirant une balle en plein cœur. [Dark City, Le monde perdu du film noir – Eddie Muller – Rivages Ecrits / Noirs (2015) ]


PITFALL – André de Toth (1948)
Pitfall est le film noir clé sur le thème du mari volage perdant sa respectabilité bourgeoise. La distribution est pertinente : Raymond Burr, dans le rôle de Mack, est à la fois répréhensible et pathétique lorsqu’il essaye de se faire aimer de Mona, jouée par Lizabeth Scott, prototype de la femme fatale La beauté angélique de Dick Powell, qui en a fait le plus vulnérable des durs du film noir, et sa prédisposition à la mélancolie, soulignent l’ennui de l’homme dont la vie s’est enlisée. Quant à Jane Wyatt, elle représente l’épouse et la mère typiques, exact opposé de Lizabeth Scott, la brune et la blonde étant ainsi inversées par rapport aux codes romanesques habituels.


Les extraits


THE PROWLER (Le Rôdeur) – Joseph Losey (1951)
En mai 1951, Joseph Losey et Dalton Trumbo sortent ce qui est peut-être leur meilleur film tous les deux dans l’urgence et la fébrilité. Bientôt, le premier choisira l’exil en Europe, au lieu de prêter serment de patriotisme pour se garantir un contrat de trois ans avec Stanley Kramer. Trumbo, qui ne peut déjà plus signer le film et doit travailler au rabais, s’apprête à purger dix mois de prison pour s’être refusé à répondre aux questions des chasseurs de sorcières. The Prowler (Le Rôdeur) est ainsi doublement clandestin : non seulement Trumbo se cache derrière un prête-nom, mais prend un malin plaisir à subvertir le Code de production alors tout puissant à Hollywood. Sur le papier, The Prowler pourrait passer pour un parent pauvre de Double indemnity, mais la façon dont les deux artistes, riffent sur le thème de l’adultère et du meurtre rendent leur film encore plus outrageux, si possible, que celui de Billy Wilder.


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