Le Film étranger

CLUNY BROWN (La Folle ingénue) – Ernst Lubitsch (1946)

A la fin de l’année 1945, Lubitsch, qui avait rencontré de graves problèmes de santé, est autorisé par son médecin à reprendre son poste derrière la caméra. Cluny Brown (La Folle ingénue) est adapté d’un roman populaire à succès de Margery Sharp – source qui n’a rien de commun avec les pièces hongroises dont Lubitsch est friand. Ainsi, Heaven can wait (Le Ciel peut attendre, 1946) était trop testamentaire pour être vrai. Après la splendeur de Heaven, et ce qui y passait pour de touchants adieux, le plus modeste Cluny Brown prend une position d’outsider un peu gênante, et a rarement droit de cité parmi les « grands » Lubitsch. Apparemment déplacé, Cluny Brown a quelque chose d’un vilain petit canard qui attache et fascine d’autant plus le spectateur attentif. 

CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Le film est fameux pour la satire qu’il propose de la société anglaise. Rappelons au passage qu’excepté un bref épisode londonien dans Design for Living (Sérénade à trois, 1933) et un autre, plus consistant, dans Angel (Ange, 1937), Lubitsch ne s’est pratiquement pas intéressé à l’Angleterre depuis Lady Windermere’s Fan (L’Éventail de Lady Windermere, 1925), vieux de plus de vingt ans. Les attaques qu’y subissait alors l’élite londonienne, dues à Wilde autant qu’à Lubitsch, y composaient une satire sans rapport avec celle de Cluny Brown, à la fois plus féroce et plus tendre. Les deux protagonistes, Cluny Brown et Adam Belinski (Jennifer Jones et Charles Boyer), restent, eux, à l’abri des railleries, puisque n’étant par définition pas à leur place. Autour d’eux, en revanche, tous tombent sous le coup d’une ironie dont la cruauté se nuance selon la sympathie qu’ils inspirent au réalisateur.

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Ce qu’il dénonce à tous les niveaux, c’est l’aveuglement de ces êtres figés, imperméables à tout ce qui dépasse les limites de leur étroit regard au point de ne pas voir l’irruption du monde extérieur sous leur propre toit. Répréhensible dans l’ensemble puisque l’intrigue se situe en 1938 et que, comme le déclare Peter Lawford, « l’Europe danse sur un volcan », cet aveuglement prend des formes plus ou moins alarmantes. Lord et Lady Carmel, enfermés dans leurs rites, font figure de bienheureux innocents ; et leurs domestiques conformistes et xénophobes, auxquels manque la grâce de ceux d’Angel, de simples imbéciles. En revanche, la superficielle Betty Cream est nuisible et donc traitée plus durement – faut-il que le monde de Lubitsch ait changé pour que la frivolité y ressemble autant à la sottise ! Mais c’est encore la petite bourgeoisie qui mérite la critique la plus sévère, elle qui ne tient sa rigidité morale que d’une imitation servile des classes supérieures. Aussi la peinture de l’insupportable et pathétique Mr. Wilson (Richard Haydn) régnant dans sa pharmacie d’un autre âge fait elle grincer des dents plus que sourire ; elle donne même lieu à des moments d’une authentique amertume comme on en trouve rarement chez Lubitsch. Je pense à cette superbe scène où le pharmacien tape frénétiquement sur son harmonium ; près de lui Cluny tente de s’absorber dans une rêverie romantique gâtée par les ronflements de la vieille Mrs. Wilson, qui ne s’éveille que pour émettre les raclements de gorge dont elle a fait depuis longtemps son unique vocabulaire. Le cadre sait rendre plus étouffant encore ce décor pesant et vieillot d’intérieur provincial. Pour la violence du trait on pense à Flaubert, et Jennifer Jones, pour quelques fulgurants instants, n’est guère loin de son futur personnage de Mme Bovary dans le film de Minnelli… 

Cluny Brown (1946) Directed by Ernst Lubitsch Shown: Jennifer Jones
CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

En somme, sous le prétexte de tourner en dérision une société bien particulière, Lubitsch retrouve cette très grande acidité de jugement à l’égard du genre humain, qui permettait le cynisme charmant de ses films les plus appréciés. Pas de la misanthropie, loin de là, mais la clairvoyance aiguë d’un moraliste, qui prend sans aucun doute sa source dans les années berlinoises.

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Cependant, si dangereuse que semble cette cohorte d’individus bornés, aucun ne fait vraiment de mal – sinon à lui-même, comme ce pauvre Mr. Wilson qui perd Cluny et l’espoir d’une ribambelle d’héritiers. Là s’affirme la générosité d’un homme plein d’expérience. Le mal, le vrai, est ailleurs ; du côté de ceux dont on parle dans Cluny Brown comme de lointains fantômes, et que Lubitsch a évoqués dans To be or not to be (1942) : les nazis. Face à leur horreur, tous les autres sont inoffensifs, et les satires même deviennent forcément légères. Comment dire autrement que le cinéma de Lubitsch, qui s’est pourtant forgé au cours de la Première Guerre mondiale, n’a plus, après la Seconde, de raison d’exister ?

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Mais cela, Lubitsch en est désormais conscient. A tel point que, prenant les devants, il nous donne avec Cluny Brown une autre satire, plus profonde, plus nostalgique aussi : celle de son propre cinéma. Et le voilà qui, à travers un film si mince en apparence, raille tout ce qui faisait la chair et le charme de ses grandes comédies et révèle ainsi, avec une lucidité pleine d’humour, qu’il n’est plus possible de faire les films qu’il aimait. On le voit d’abord à l’extrême désinvolture avec laquelle le scénario de Samuel Hoffenstein  traite les personnages et leur destinée. L’art de la comédie sophistiquée selon Lubitsch (au moins jusqu’à Ninotchka, 1940) repose sur le postulat suivant : l’intrigue se compose d’événements minimes, si légers par eux-mêmes que la fin nous ramène souvent au début, mais cette futilité est prise au sérieux, et traitée comme un véritable moteur dramatique. 

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Dans Cluny Brown, rien n’a d’importance non plus, mais cette fois ce vide du film est très clairement désigné. Le nazisme est évoqué, mais balayé d’un geste impatient de Betty Cream, et Lord Carmel prend « Mein Kampf » pour un manuel de vie en plein air. Le Professeur Adam Belinski vient chez Mr. Hilary Ames pour chercher un ami ; il ne le trouve pas, qu’importe! Il s’allonge et s’endort. Trois jeunes gens le réveillent, le traitent en héros ; il ne proteste pas, se fait emmener au Ritz, accepte l’argent qu’on lui prête, et promet de n’en demander à personne d’autre qu’à ses jeunes protecteurs. Entre-temps Mr. Ames, qui n’était qu’un frêle prétexte à la rencontre de Cluny et d’Adam, disparaît complètement… La belle Betty Cream (Helen Walker) est d’abord convoitée par deux prétendants, dont l’un s’éclipse totalement du scénario après quelques minutes de présence.

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

On pourrait multiplier sur plusieurs pages les exemples de ce genre. Là où les films de Lubitsch et de ses complices scénaristes fonctionnaient avec la précision d’un mécanisme d’horloge, Cluny Brown avance à l’aveuglette, avec des personnages à peine ébauchés, des relations à peine nouées, des motivations plus que floues. Tout ici n’est que fausses pistes et impasses. 

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Le langage lui-même est vain. On parle pourtant sans cesse dans Cluny Brown, mais on parle pour remplir du silence, sans jamais parvenir à communiquer vraiment. Si Cluny veut jeter des écureuils aux noisettes et non des noisettes aux écureuils, l’encourage Adam, il ne se trouvera personne pour l’en empêcher ! Comment mieux exprimer l’inanité des mots, de ces mots que Lubitsch a pourtant cultivés, aimés et fourbis si précieusement depuis l’avènement du parlant ?

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Et le jeu du désir, si central à la géométrie lubitschienne ? Lui aussi est complètement éventé. Passons sur le fait que les plus grands élans de sensualité du film soient dus aux voluptueux effets de la plomberie sur Cluny Brown, et que, entre l’ingénue et la pimbêche, les femmes soient plutôt mal loties. Mais que les attraits amoureux soient traités avec tant de négligence ! Pour ce qui est de Betty et d’Andrew, leur idylle se déroule tout simplement en dehors du film, et se résout dans le scénario par le dialogue suivant entre Betty et sa future belle-mère :
Lady Carmel : Mon enfant, allez-vous épouser Andrew?
Betty : Oui, Lady Carmel.
Lady Carmel : Alors vous devriez le lui dire, parce qu’il devient très nerveux.

CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Exit l’histoire d’amour ! Auparavant, le Professeur Belinski a manifesté un intérêt aussi soudain qu’inattendu pour Betty, épisode qui n’aura d’ailleurs aucune conséquence sur le scénario, hormis le fait qu’il hâtera le départ de Belinski et donc son mariage avec Cluny Brown. L’intermède Adam Belinski-Betty contribue d’ailleurs à rendre ce mariage encore plus incompréhensible, mais, frustrés depuis une heure quarante, nous n’en sommes plus à cela près…

CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Et Lubitsch ne va-t-il pas jusqu’à se moquer de lui-même à travers Charles Boyer, « reflet estompé du réalisateur» selon Frédéric Vitoux [Positif n°131], « Tchèque fuyant d’abord en Angleterre le péril nazi, demi-artiste et demi-imposteur dont la totale liberté mais aussi l’absence de racines justifient une attitude plaisamment démystificatrice» ? La tendresse qui perce malgré tout sous le désenchantement de Cluny Brown ne vient-elle pas de ce que Lubitsch se sent proche d’Adam et Cluny, ces éternels déclassés ? 

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Avec Cluny Brown, le centre de gravité de la société lubitschienne s’est déplacé. On n’y voit plus les palaces, mais on parle du Ritz, tout en débouchant un évier puant, comme d’un endroit où n’importe qui peut s’offrir le thé pour une livre. On s’ennuie mortellement dans les cocktails mondains : « Pourquoi les gens vont-ils à des réceptions ? Parce que les gens donnent des réceptions. Pourquoi les gens en donnent-ils ? Parce qu’il y a des gens qui y vont ! » Quand on songe que vingt ans plus tôt, Mrs. Erlynne (dans Lady Windermere’s Fan) plaçait tout son salut et son bonheur dans un carton d’invitation à la soirée des Windermere !

CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Vraiment, la société de Cluny Brown a perdu le nord. Les nièces de plombier y prennent des cocktails chez les bourgeois londoniens et le thé chez les aristocrates de province. Un lord anglais, pour lequel tout ce qui est étranger n’est pas humain, traite un aventurier tchèque comme un de ses pairs ; une bonne souffle à l’oreille de son maître quel morceau de viande il doit choisir dans le plat. Inutile, désormais, d’avoir le talent d’un Gaston Monescu pour s’introduire clandestinement dans les hautes sphères ; dans un ordre social si perturbé qu’on ne sait plus y reconnaître les siens, autant adopter le sage comportement de Cluny et d’Adam, et se laisser porter jusqu’au bout du chemin par les erreurs d’autrui.

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Et de tous ces bouleversements naît un film qui n’a pas la beauté impeccable de joyaux tels que Trouble in Paradise (Haute pègre,1932) ou Angel, mais qui vaut par d’autres qualités : son désordre chaleureux, mêlé de gaieté et d’amertume, et surtout son pouvoir d’affronter l’incohérence du réel, si déconcertante qu’elle soit.

CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

On comprend mieux alors pourquoi il y a si peu de « touches» dans Cluny Brown, et surtout très peu de ces fameuses ellipses qui régnaient encore dans Heaven can wait. Si l’ellipse a toujours été chez Lubitsch l’artifice favori du cinéaste pour éliminer les impuretés du quotidien et fabriquer un univers d’une perfection lisse, minutieusement agencée et étrangère à la réalité, alors ce procédé n’a rien à faire dans Cluny Brown, où il s’agit en permanence de prendre le contre-pied de cette perfection, de voir, comme l’écrit Serge Daney : « Ce qu’il y avait entre les plans des autres films  : la vie qui avance au hasard et le temps perdu sans joie. 

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CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

La mise en scène est donc ici plus discrète mais non moins travaillée, en de longues séquences qui donnent au film le rythme un peu lâche et familier d’une chronique. Les déplacements des personnages dans le cadre, toujours subtilement orchestrés chez Lubitsch, obéissent aussi au principe de la perturbation. Alors que ces scènes de la vie de province sont marquées par de longs moments d’immobilité dans des intérieurs feutrés, Adam et Cluny y introduisent leur agitation anarchique qui met en péril la tranquillité de tous. Après avoir utilisé ses personnages pour faire du temps et de l’espace cinématographiques une pure harmonie, Lubitsch les pousse aujourd’hui à détruire une autre harmonie, fausse et guindée, qui n’est que convention sociale et ne repose que sur le refus de la vie et du mouvement. Cependant Cluny et Adam ont la force de s’arracher à ce milieu pesant, d’aller vers l’Amérique – coup de chapeau de Lubitsch à sa patrie d’adoption ? – où même les exilés peuvent espérer trouver réussite et confort bourgeois. Et pour célébrer cette victoire, la seule « touch » de quelque importance du film.

CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

La dernière scène nous transporte de la campagne britannique à New York, Cinquième Avenue. Dans la vitrine d’une librairie sont exposées des piles du « Meurtre du Rossignol », roman policier à succès d’un Belinski qui a manifestement renoncé à se battre pour des idées au profit d’une activité plus facile et lucrative. De l’intérieur du magasin on voit Cluny et Adam, fort bien vêtus, s’arrêter devant la vitrine, l’air heureux. Dans un accès de passion, Cluny se jette au cou d’Adam; un policier s’approche- on n’est plus en Angleterre, mais tout de même ! -, Cluny se trouve mal, et Adam murmure au policier une explication aussi satisfaisante qu’attendrissante. « Vénus est enfin enceinte», conclut philosophiquement Weinberg [HG Weinberg « The Lubitsch touch »]. Après avoir minaudé, flirté, promis, repris, après avoir inlassablement parlé d’amour et indéfiniment reculé le moment de le faire, bref après avoir élevé le sexe au rang des beaux-arts, la femme de Lubitsch s’apaise enfin, retrouve une place et un corps. C’est tout un âge qui se termine ainsi. Est-ce à la guerre, à la maladie que nous devons cette paisible maturité ? Dans son ironie ambiguë, Cluny Brown a des accents d’une telle force qu’on ne sait plus si l’on doit regretter le Lubitsch d’autrefois, ou celui qu’il aurait pu devenir si sa vie ne s’était pas trop tôt interrompue. 

ON SET – CLUNY BROWN (Ernst Lubitsch, 1946)

Après Cluny Brown, en mars 1947, Lubitsch voit un oubli de longue date réparé, et reçoit un Oscar spécial (Special Academy Award) pour l’ensemble de sa carrière; à cette occasion est soulignée l’importance déterminante de sa contribution à la comédie. Comme c’est souvent le cas pour des récompenses que l’on attribue in extremis, celle-ci a quelque chose d’un sinistre présage. Et de fait, le film que Lubitsch prépare cette même année sera le dernier…[Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]



ERNST LUBITSCH : CRÉATEUR DE STYLE
Ernst Lubitsch est l’un des grands stylistes du cinéma américain. Sa renommée internationale, il la doit à ce que l’on a depuis baptisée la « Lubitsch’s touch », un style brillant où se mêlent l’allusion subtile, l’élégance et le brio des dialogues et de la mise en scène, la satire ironique. et légère des faiblesses de la société, plus spécialement dans les rapports entre hommes et femmes.


L’histoire 

Londres, 1938, la ravissante Cluny Brown (Jennifer Jones), qui a un faible pour la plomberie, effectue un dépannage à la place de son oncle chez un certain Hilary Ames (Reginald Gardiner). À cette occasion elle rencontre Adam Belinski (Charles Boyer), un écrivain qui aurait quitté la Tchécoslovaquie pour fuir le nazisme mais qui ressemble diablement à un pique-assiette de génie. L’oncle (Billy Bevan) arrive chez Ames et trouve sa nièce légèrement pompette après avoir bu quelques verres avec les deux hommes. Pour la punir et l’obliger à savoir tenir sa place, il décide de l’envoyer travailler comme domestique à la campagne pour Lord et Lady Carmel (Reginald Owen, Margaret Bannerman). Belinski, invité à s’y réfugier par le fils de la famille (Peter Lawford), qu’il a rencontré chez Ames, s’y trouve aussi. Belinski devient le confident de Cluny qui aspire à devenir l’épouse de l’insipide pharmacien du village (Richard Haydn) nanti d’une mère austère ne s’exprimant que par toussotements. Il est sous le charme de l’ingénue, pleine de sensualité, de spontanéité et de fantaisie. Au moment de quitter les Carmel Belinski offre à Cluny une paire de bas de soie et il part pour la gare. Cluny l’y rejoint, monte dans le compartiment et y reste jusqu’à ….New York où le couple de jeunes mariés fait fortune en écrivant des romans policiers plutôt que des ouvrages politiques.


Les extraits

JENNIFER JONES
Née (Phyllis Isley) à Tulsa (Oklahoma) le 2 mars 1917, décédé le 17 décembre 2009. Fille d’acteurs ambulants, elle monta sur les planches dès l’enfance, puis obtint une bourse d’études supérieures après être passée au collège de Tulsa. Son père ayant acheté quelques cinémas de province, crut pouvoir faire fortune à Hollywood, Mais Jennifer Jones ne se sentait pas attirée par le cinéma et elle s’installa à New York, où elle devint la compagne de Robert Walker qu’elle avait rencontré à l’académie d’Art dramatique. Ils se marièrent en1939, essayèrent leur chance à la radio de Tulsa, furent contraints de retourner à New York, puis arrivèrent à Hollywood où Robert Walker débutait à la radio, tandis que Jennifer Jones « figurait » (sous son vrai nom) dans des westerns de la Republic Pictures. Elle fut littéralement « fabriquée » par David O. Selznick, qui l’imposa successivement au théâtre de San Barbara et aux producteurs de la 20th Century Fox, avant de centrer sur elle sa propre maison de production (1952). De sorte qu’elle se trouva réellement débuter dans la vie d’une sainte : The Song of Bernadette, de Henry King, qui lui valut l’oscar (1943) et une immense célébrité. Rien n’était pourtant plus éloigné de la « sainteté » que son tempérament de séductrice dévorante, mais innocente, d’un magnétisme d’autant plus intense qu’il émane d’un corps en qui se côtoient sans se fondre une féminité agressive et une juvénilité presque outrancière (aux abords de la quarantaine, elle tenait sans ridicule un rôle de gamine révoltée dans la première partie de Ruby Gentry, pour une fois génialement traduit en français par La Furie du désir). Jennifer Jones a dépensé dans des créations quasi hystériques un talent peut-être tout animal, mais souligné par la vie d’un regard tour à tour farouchement passionné et perfidement espiègle. Il n’y a donc pas de contradiction entre ses rares incursions dans la comédie Cluny Brown (La Folle ingénue, d’Ernst Lubitsch, 1946) et ses rôles « dramatiques » de jeunes femmes insurgées contre le temps et la mort, au nom de l’amour (Portrait of Jennie, de William Dieterle, 1948), contre le racisme, la domination des hommes et le souvenir d’une mère indigne (Duel in the Sun, de King Vidor, 1947), contre la police et la brutalité « virile » (We were Strangers, de John Huston, 1949). Elle fut aussi Madame Bovary dans l’adaptation de Vincente Minnelli (1949), et la « fille au renard », proche des puissances de la terre, dans Gone to Earth (1950), filmé malheureusement de manière beaucoup trop sage par Powell et Pressburger). Le hautain et méconnue film de King Vidor, Ruby Gentry, termina en beauté ses années flamboyantes (1953). Elle s’y dressait une dernière fois contre la société puritaine, et y dénonçait, avant de finir meurtrière et impunie, la contradiction entre la vitalité féminine et l’obligation pour cette vitalité de devenir ambition, destruction, bref de se renier, pour ne pas subir telle quelle la loi des mâles. En 1949, Jennifer Jones avait épousé David O. Selznick : dénouement attendu mais qui parut à certains « sanctionné » par le suicide de Robert Walker (1953). A partir de 1953, les rôles de Jennifer Jones évoluèrent : fausse blonde hautement fantaisiste et mythomane dans Beat the Devil (Plus fort que le diable de John Huston, 1953),  elle fut obligée, par la force de son rang persistant au Box Office, de « prêter secours » à la Fox en interprétant d’ambitieux films non toujours dénués d’émotion ni de savoir-faire : Love is a Many-Splendored Thing (La Colline de l’adieu de Henry King, 1955) puis Good Morning Miss Love (Bonjour Miss Dave, d’Henry Koster, 1955) ; The Man in Grey Flannel Suit, (L’Homme au complet gris de Nunnally Johnson (1956) ; A Farewell, to Arms (L’Adieu aux armes de Charles Vidor (1957) ; Tender is the Night, (Tendre est la nuit de Henry King (1962) ; The Idol (Jeunes gens en colère de Daniel Petrie (1966).


THAT LADY IN ERMINE (La Dame au manteau d’hermine) – Ernst Lubitsch (1948)
Dernier projet d’Ernst Lubitsch, ce film de 1948 réunit la star Betty Grable et le séducteur Douglas Fairbanks Jr dans une romance musicale où l’humour le dispute sans cesse au merveilleux.

THE SHOP AROUND THE CORNER (Rendez-vous) – Ernst Lubitsch (1940)
En 1939, Lubitsch parlait de la nécessité de faire des films en rapport avec  » le monde réel ». En 1940, il tourne sur quatre semaines et avec moins de 500 000 dollars The Shop around the corner, dont il dira : « Pour la comédie humaine, je n’ai rien produit d’aussi bon…  Je n’ai jamais fait non plus un film dans lequel l’atmosphère et les personnages étaient plus vrais que dans celui-ci » 

ANGEL (Ange) – Ernst Lubitsch (1937)
Dans une maison de rendez-vous parisienne, Anthony Halton rencontre une très belle et mystérieuse jeune femme, qui s’enfuit à la fin de la soirée. Plus tard, à Londres, il retrouve l’inconnue sous les traits de la respectable lady Maria Barker, épouse de lord Barker, homme politique très occupé. Maria est sur le point de suivre Anthony pour toujours ; mais lord Barker apprend la vérité et survient à temps pour persuader sa femme de revenir près de lui…

ONE HOUR WITH YOU (Une Heure près de toi) – Ernst Lubitsch (1932)
Sortie aux États-Unis en mars 1932, la quatrième comédie musicale de Lubitsch confirme l’attrait exercé sur le public par Jeanette MacDonald et le titi parisien Maurice Chevalier. 

HEAVEN CAN WAIT (Le Ciel peut attendre) – Ernst Lubitsch (1943)
A travers ce portrait d’un Casanova infantile et attachant, Lubitsch brode une apologie de la félicité conjugale. Il traite de l’amour, du deuil, de la trahison, du plaisir et de la mort avec la pudeur de ceux qui connaissent la fragilité du bonheur. Le Ciel peut attendre n’est pas du champagne : c’est un alcool doux et profond. Avec ce film testament, Lubitsch gagna à coup sûr son billet pour le paradis.

NINOTCHKA – Ernst Lubitsch (1939)
On en connaît le thème, repris en 1957 par Rouben Mamoulian dans la comédie musicale Silk Stockings (La Belle de Moscou) : la conversion d’une austère jeune femme soviétique aux charmes de l’amour et des sociétés capitalistes. « Pour ce qui est de la satire, dira Lubitsch, je crois que je n’ai sans doute jamais été aussi acide que dans Ninotchka, et je pense que j’ai réussi dans le propos très difficile de mêler une satire politique à une histoire d’amour. »



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