Brillant remake du Ninotchka d’Ernst Lubitsch, avec Greta Garbo, ce film a la grâce des chefs-d’œuvre accouchés dans le doute et la douleur. Fred Astaire croyait être en fin de carrière et craignait qu’on ne ricane devant ses acrobaties légèrement ridées. Cyd Charisse frémissait à l’idée qu’on la compare avec la Divine et travaillait dur pour montrer ses vrais talents d’actrice plutôt que d’exhiber une nouvelle fois ses jambes mythiques… Le réalisateur, Rouben Mamoulian, avait mis dix ans à se remettre du désastre financier de son précédent film et restait intimidé par cette comédie antisoviétique, qui trouvait un écho dans sa vie personnelle. D’origine géorgienne, il avait en effet grandi à Paris avant de partir faire ses études à Moscou. Enfin, les déhanchements d’un certain Elvis menaçaient de plus en plus la pérennité de la comédie musicale version Arthur Freed. Silk Stockings (La Belle de Moscou) traverse ces dangers avec flamboyance, forte de ses répliques spirituelles, de sa sensualité feutrée et de ses superbes numéros musicaux. A noter la participation inattendue et délicieusement caricaturale de Peter Lorre en apparatchik rabelaisien. [Marine Landrot – Télérama]

« Ce qui m’intéressait dans le film, était de faire de la danse une véritable expression dramatique. J’avais deux merveilleux danseurs – Astaire et Charisse – et je voulais me servir de la danse pour faire progresser leur histoire d’amour. Ce qui me passionna fut de donner à la danse une importance plus grande qu’à l’action dramatique proprement dite, qui n’était qu’une reprise de Ninotchka. La progression dramatique et psychologique n’existait que dans les ballets. C’est en dansant que les personnages prenaient conscience de telle ou telle chose, et les ballets n’étaient pas du tout conçus comme des moments de simple spectacle. » Rouben Mamoulian

Le scénario suit assez fidèlement – tout en le modernisant – le sujet du Ninotchka d’Ernst Lubitsch et ce qui aurait pu paraître comme une idée absurde devient, grâce au couple formé par Fred Astaire et Cyd Charisse, une suite de moments magnifiques. L’anticommunisme se réduit à une succession de conventions et il est vite évident que Rouben Mamoulian, qui réalisait ici son premier film depuis dix ans – Summer Holiday (1947) – a soigné avant tout les numéros musicaux, bénéficiant de la présence d’Hermes Pan et d’Eugene Loring. [La comédie musicale – Patrick Brion – Edition de La Martinière (1993)]

« Sans Fred Astaire, j’aurais refusé de faire le film », a d’ailleurs toujours reconnu Mamoulian. Face à la vulgarité – voulue – de « Satin and Silk » et « Josephine », deux des numéros de Janis Paige, « AlI of You » est un superbe ballet à deux dansé dans l’appartement entre Fred Astaire et Cyd Charisse, un moment troublant au cours duquel ils comprennent qu’ils s’aiment, ce que confirmera peu de temps après le ballet « Fated to be mated », plus acrobatique. Entre-temps, Cyd Charisse, seule, aura interprété le sublime « Silk Stockings » au cours duquel elle se débarrasse de ses vêtements soviétiques pour s’habiller avec délice et érotisme à la mode occidentale, transformant un strip-tease en une fascinante métamorphose physique et mentale.





Deux autres grands numéros, l’un d’Eugene Loring « The Red Blues » dansé par Cyd Charisse lors de son retour en URSS), l’autre d’Hermes Pan (« The Ritz Roll and Rock » qui voit se mélanger l’élégance d’Astaire à des rythmes à la « Rock around the Clock ») sont tout aussi spectaculaires. De même, on se souviendra du très brillant « Too Bad » dansé par Fred Astaire, Peter Lorre – superbe – Jules Munshin, Joseph Buloff et les trois ravissantes Parisiennes, dont Barrie Chase, la future partenaire d’Astaire.

Cyd Charisse, à qui on avait proposé en même temps le rôle finalement tenu par Taina Elg dans Les Girls de George Cukor et celui de Nina Yoshenko ici, avait préféré retrouver Fred Astaire, donnant ainsi à ce dernier une éblouissante occasion de terminer en beauté sa carrière musicale et cinématographique. Astaire tournera en effet d’autres films mais Silk Stockings sera sa dernière grande comédie musicale, l’ultime étant Finian’s Rainbow (1968). Le film est par ailleurs également la dernière réalisation de Rouben Mamoulian puisque ce dernier n’achèvera ni Porgy and Bess, repris par Otto Preminger, ni Cleopatra, mis en scène par Joseph L. Mankiewicz.

Parallèlement au couple formé par Cyd Charisse et Fred Astaire, le personnage de Peggy Dayton est pour les scénaristes du film l’occasion de se moquer – assez méchamment – d’Esther Williams qui souhaitait renoncer à sa carrière aquatique au profit de rôles plus dramatiques et du monde des stars. Le moment où Peggy affirme aux journalistes qu’il n’y a rien de vrai dans les rumeurs qui feraient état d’une liaison entre elle et Tolstoï en est le plus bel exemple.

« J’ai, reconnaissait Mamoulian, une espèce de marque de fabrique : quelque part, dans chacun de mes films, il y a un chat. Lorsque nous avons fini Silk Stockings, j’ai brusquement réalisé qu’il n’y avait pas de chat. Ainsi – à grands frais – nous avons eu un jour de tournage supplémentaire, juste pour le chat. L’avez-vous remarqué ? » Le chat fétiche apparaît en effet sur un fond de décor moscovite lorsque Nina et les trois envoyés repartent pour l’URSS… [La comédie musicale – Patrick Brion – Edition de La Martinière (1993)]

Dans Silk Stockings ce sont les éléments de la danse qui comptent ici – Astaire dans son plus élégant et Cyd Charisse l’associant avec grâce étape par étape tout au long. Sa performance en tant que miss au sérieux qui se plie progressivement à ses voies est l’une de ses meilleures contributions à la comédie cinématographique. En résumé : un délicieux mélange de chansons de Cole Porter et un script intelligent en font un pur plaisir, doux comme de la soie.





L’histoire
Le producteur Steve Canfield (Fred Astaire) a engagé le compositeur russe Peter Boroff (Wim Sonneveld) qui profite de l’occasion pour rester à Paris au lieu de rentrer en URSS. Les trois agents soviétiques chargés de le ramener, Brankov (Peter Lorre), Ivanov (Joseph Buloff) et Bibinski (Jules Munshin), goûtent, grâce à Steve, le charme de la vie parisienne et oublient leur mission. Markovitch envoie alors à Paris l’implacable Nina Yoshenko (Cyd Charisse). Celle-ci y fait la connaissance de Steve qui tente – vainement – de l’initier au luxe du monde capitaliste. Mais, peu à peu, Nina succombe au charme de Paris et de Steve. Elle est brusquement ramenée à la raison en découvrant l’actrice Peggy Dayton (Janis Paige) interpréter l’un des airs de Boroff. Elle repart alors en Russie avec les trois envoyés extraordinaires et tous évoquent bientôt le bonheur des jours heureux passés à Paris. Steve, ne parvenant pas à obtenir un visa qui lui permettrait de se rendre en URSS, réussit à faire revenir Nina en mission à Paris. La jeune femme retrouve avec bonheur Steve et découvre qu’Ivanov, Brankov et Bibinski ont ouvert un cabaret, « La vieille Russie ».

Programme musical
Written by Cole Porter
Sung and Danced by Fred Astaire, Jules Munshin, Joseph Buloff (dubbed by Bill Lee), Peter Lorre (dubbed), Barrie Chase, Tybee Brascia, Betty Utey and dancers
Written by Cole Porter
Sung by Fred Astaire and Cyd Charisse (dubbed by Carol Richards)
Written by Cole Porter
Sung and Danced by Fred Astaire and Janis Paige
Written by Cole Porter
Sung by Cyd Charisse (dubbed by Carol Richards)
All of You
by Cole Porter
Sung and danced by Fred Astaire
All of You (ballet)
by Cole Porter
Danced by Fred Astaire and Cyd Charisse
Written by Cole Porter
Sung by Janis Paige
Written and Composed by Cole Porter
Sung and danced by Fred Astaire, Cyd Charisse
Words and Music by Cole Porter
Sung and Danced by Cyd Charisse, Peter Lorre, Joseph Buloff, Jules Munshin and Wim Sonneveld
Written and Composed by Cole Porter
Sung by Jules Munshin, Peter Lorre (dubbed) and Joseph Buloff (dubbed by Bill Lee)
Written and Composed by Cole Porter
Sung and Danced by Fred Astaire and chorus

FRED ASTAIRE
La longue carrière de Fred Astaire est désormais entrée dans la légende ; son exceptionnel génie de danseur ne l’a toutefois pas empêché d’être aussi un excellent acteur.

CYD CHARISSE
Avare de compliments pour Ginger Rogers, Fred Astaire idolâtrait Cyd Charisse, qui partageait sa technique éblouissante et son élégance suprême. Quelques pas et une jupe fendue lui suffisaient pour créer une image obsédante de femme fatale. Il serait injuste de dire qu’elle n’était pas bonne actrice, mais une partie de sa magie semblait s’évanouir lorsque la musique s’arrêtait, peut-être parce que personne ne croyait à elle autrement qu’en danseuse aux longues jambes et aux déhanchements souverains.

LES MUSICALS DE LA MGM
L’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne, celle qui réussit l’accord parfait entre action, musique et danse, est à jamais lié à un sigle : MGM et à un nom : Arthur Freed, le grand promoteur du genre.






Les dernières publications
- LIFEBOAT – Alfred Hitchcock (1944)
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
Catégories :La Comédie musicale