Le numéro le plus fameux de Second chorus (Swing Romance), qui voit Fred Astaire diriger un big band tout en dansant, symbolise bien le talent protéiforme de cet artiste hors du commun. Acteur, chanteur, danseur et chorégraphe, Astaire est un « showman » complet, doublé d’un infatigable bourreau de travail. Car le naturel apparent de ses numéros résulte en réalité d’innombrables heures de répétitions. Artie Shaw racontera à quel point il fut impressionné par le perfectionnisme dont Fred Astaire faisait preuve sur le plateau de Second chorus, ne laissant rien au hasard, et exigeant des autres le même effort… Une attitude qui ne pouvait que plaire à Shaw, musicien qui lui-même ne cessait de se surpasser : n’a-t-il pas écrit pour ce « simple film » un Concerto pour clarinette que d’autres auraient réservé à une diffusion plus prestigieuse ? Cherchant à maîtriser davantage le résultat artistique de son travail, Fred Astaire s’est coiffé en outre pour Second chorus d’une casquette supplémentaire en devenant producteur associé du projet. En revanche, cet « homme-orchestre » n’est pas allé jusqu’à tenter de devenir en quelques semaines un trompettiste virtuose, aussi est-il doublé ici par le jazzman Bobby Hackett…



Lorsque Fred Astaire accepte en 1940 de participer au projet de Second chorus, il ne cache pas que sa principale motivation est de collaborer avec l’orchestre d’Artie Shaw. Ces musiciens forment en effet le groupe de swing le plus en vogue de l’époque, et l’acteur n’a eu que peu d’occasions de chorégraphier des numéros basés sur ce nouveau style musical, les chansons de ses précédents films appartenant à un genre plus classique. Par ailleurs, Astaire se sent un peu dans le creux de la vague : ayant quitté la RKO et sa partenaire Ginger Rogers l’année précédente, il espère renouer avec le succès en explorant de nouvelles voies. Après avoir tourné pour la MGM Broadway Melody of 1940 (Broadway qui danse), avec Eleanor Powell, il se lance donc dans l’aventure de Second chorus, qui lui donne cette fois pour partenaire Paulette Goddard. Le film est produit pour le compte de la Paramount par Boris Morros, l’ancien directeur du département musique du studio : une personnalité haute en couleurs qui cache à l’époque certains secrets.



C’est le 29 juillet 1940 que débute le tournage de Swing Romance, pour lequel Fred Astaire retrouve avec plaisir H.C. Porter, qui l’avait dirigé dans The Story of Vernon and Irene Castle (La Grande farandole) et qui livrera l’année suivante Hellzapoppin. Le casting comprend par ailleurs Artie Shaw – sur qui le projet avait en fait été initialement bâti -, le comédien Burgess Meredith et Paulette Goddard, qui, fraîchement séparée de Charlie Chaplin, entend prouver que sa carrière n’est pas terminée pour autant. Bien qu’elle ait été chorus girl dans sa jeunesse, l’actrice n’est pas une danseuse chevronnée, et de longues répétitions seront nécessaires pour préparer son duo avec Astaire pour le morceau Dig It. Mais ce numéro, qui s’inspire de plusieurs danses à la mode, n’en sera pas moins tourné en un seul plan – et en une seule prise, double tour de force dont l’actrice se pensait incapable. Astaire collabore une fois encore pour les chorégraphies avec son vieux complice Hermes Pan, qui fait une apparition dans Dig It en jouant le clarinettiste du groupe.



Fred Astaire s’essaie par ailleurs dans Second chorus à une parodie de danse russe, et surtout à une séquence spectaculaire dans laquelle il dirige le big band d’Artie Shaw en faisant lui-même des claquettes. Un principe déjà expérimenté dans Follow the Fleet (En suivant la flotte), mais qu’il pousse ici à un degré supérieur de virtuosité. La star s’amuse également à exécuter avec Hermes Pan un étonnant pas de deux sur le morceau Me and the Ghost Upstairs, mais le numéro sera coupé juste avant la sortie du film. Une décision attribuée à la longueur de la scène, mais le fait qu’Hermes Pan, déguisé en « fantôme », arbore une étrange robe longue et des talons hauts a sans doute poussé le producteur à éliminer ce passage quelque peu ambigu (le numéro est visible légalement sur de nombreux sites internet). Plus classique, la chanson Love of My Life permet à Fred Astaire de rester fidèle à son image romantique. Écrit par Artie Shaw et le parolier Johnny Mercer, le titre décrochera une nomination à l’Oscar de la meilleure chanson, mais c’est le Wish Upon A Star de Pinocchio qui se verra récompensé. Sorti le 3 décembre 1940, Second chorus ne sera pas le film préféré de Fred Astaire, mais restera un souvenir heureux pour Paulette Goddard et Burgess Meredith, qui se marieront quatre ans plus tard.



L’histoire
Danny O’Neill (Fred Astaire) et Hank Taylor (Burgess Meredith), trompettistes à l’orchestre universitaire Danny O’Neill’s University Perenials, ratent intentionnellement leurs examens depuis sept ans pour profiter de la manne de l’orchestre. Lors d’un concert, ils rencontrent Ellen Miller (Paulette Goddard) et s’arrangent pour l’embaucher comme impresario. Les deux hommes rivalisent auprès d’elle en essayant de faire renvoyer l’autre. Artie Shaw vient écouter les Perenials, qui lui ont soufflé plusieurs concerts, et embauche Ellen. Elle essaye d’obtenir une audition pour Danny et Hank, mais ils se sabotent à nouveau. Ellen fait la connaissance de Lester Chisholm (Charles Butterworth), qui accepte de financer un concert de Shaw. Danny réussit à convaincre Chisholm de faire jouer à Shaw une de ses compositions.

Programme musical (sélection)
Music by Hal Borne
Lyrics Johnny Mercer
Played by the Perennials and sung by Fred Astaire
Danced by Fred Astaire and Paulette Goddard
Music by Artie Shaw
Played by Artie Shaw and his band with Shaw on clarinet
Music by Bernard Hanighen
Played by Artie Shaw’s band
Fred Astaire conducting and dancing

FRED ASTAIRE
La longue carrière de Fred Astaire est désormais entrée dans la légende ; son exceptionnel génie de danseur ne l’a toutefois pas empêché d’être aussi un excellent acteur.
Paulette GodDard
L’héroïne de Second chorus naît en 1910 à New York. Travaillant dès l’enfance comme mannequin, elle entre à l’âge de treize ans dans la troupe des Ziegfeld Follies. Elle épouse trois ans plus tard un homme d’affaires, qu’elle quitte pour tenter sa chance à Hollywood, où elle se contente d’abord d’apparitions fort modestes. Engagée par le producteur Samuel Goldwyn pour faire partie de ses Goldywn Girls, elle tient des petits rôles de danseuses dans plusieurs comédies musicales d’Eddie Cantor (The Kid from Spain, Roman Scandals…). C’est Chaplin, rencontré en 1932, qui lui offre finalement son premier rôle d’envergure : celui de « La gamine » dans Modern Times. Mais l’actrice doit encore prouver qu’elle peut s’imposer indépendamment de son nouveau mari, ce qu’elle fait en jouant en 1939 dans The Women (Femmes), de Cukor. La voilà désormais assez connue pour prétendre au rôle de Scarlett dans (Gone with the Wind), mais bien qu’elle fasse partie des favorites, elle se voit finalement préférer Vivien Leigh.

Paulette Goddard se console en tournant face à Bob Hope deux comédies vouées à un grand succès, The Cat and the canary et The Ghost Breakers. Retrouvant Chaplin pour The Great Dictator (Le Dictateur), elle collabore par ailleurs avec Cecil B. DeMille pour trois films d’aventures, où elle a pour partenaires Gary Cooper (North West Mounted Police, Unconquered) et John Wayne (Reap the Wild Wind). La nouvelle star de la Paramount renoue également avec la comédie musicale en tournant Second chorus avec Fred Astaire et Pot o’ Gold avec James Stewart. Nommée à l’Oscar du second rôle pour le patriotique So Proudly We Hail ! (Celles que fiers nous saluons), Paulette Goddard livre ensuite une prestation remarquée dans Kitty (Kitty ou la duchesse des bas-fonds, où elle incarne une femme du peuple transformée en aristocrate. Elle produit elle-même l’adaptation par Jean Renoir du Journal d’une femme de chambre, qu’elle interprète en 1946 aux côtés de son troisième mari, Burgess Meredith. Mais, insatisfaite de ses rôles des années 1950, l’actrice met fin à sa carrière et s’installe en Suisse avec son dernier époux, l’écrivain Erich Maria Remarque. Elle y meurt d’une crise cardiaque à l’âge de 79 ans.

Artie Shaw
C’est à New York que naît en 1910 Arthur Jacob Arshawsky, qui se fera appeler plus tard Artie Shaw. Adolescent taciturne, il trouve un réconfort dans la musique, étudiant d’abord le saxophone, puis la clarinette. Ses talents de soliste en font vite un musicien sollicité par de nombreux groupes. Après une tentative infructueuse de se reconvertir dans la littérature, le jeune homme décide en 1936 de monter son propre big band, qui a pour particularité de mêler aux instruments de jazz une section de cordes. La réponse du public est enthousiaste, mais c’est en 1938 qu’Artie Shaw devient véritablement une star grâce au succès inattendu du morceau Begin the Beguine. Le musicien se voit alors offrir sa propre émission sur la station de radio CBS, ce qui accroît encore sa popularité.

En quête d’une vocaliste pour son groupe, Artie Shaw n’hésite pas à engager en 1938 la jeune Billie Holiday, un choix audacieux en ces temps de ségrégation raciale. Mais cette collaboration s’avère de courte durée, la chanteuse ne supportant plus au bout de quelques mois de se voir huée par certains spectateurs, ni d’être la seule à devoir passer par l’entrée de service quand le groupe se produit dans des palaces… Billie Holiday est remplacée après son départ par Helen Forrest, qui enregistre une trentaine de disques avec Artie Shaw (elle rejoindra par la suite les orchestres de Benny Goodman et d’Harry James). Helen Forrest apparaît ainsi dans plusieurs courts métrages musicaux mettant en scène le groupe en 1939. Par ailleurs, Artie Shaw accepte de tenir son propre rôle dans deux comédies musicales, Dancing Co-Ed et Swing Romance.

Figure médiatique, le jazzman fait également parler de lui par sa vie privée. Après avoir convolé en troisièmes noces avec Lana Turner, sa partenaire de Dancing Co-Ed, il épousera successivement Elizabeth Kern (la fille du compositeur Jerome Kern), Ava Gardner, la romancière à succès Kathleen Winsor, et deux autres actrices… Il s’engage par ailleurs en 1941 dans la Navy, où il participe au théâtre aux armées. Toujours en quête de nouvelles expériences, Shaw s’essaie après la guerre à la musique classique, jouant au Carnegie Hall avec le Philharmonique de New York. Il crée également un groupe de Be-bop en 1949, mais l’aventure tourne court, et il décide de renoncer définitivement à la musique après un dernier enregistrement en 1954. Artie Shaw se consacre alors à l’écriture, qui restera sa grande passion jusqu’à sa mort, survenue en 2004.

Une biguine en or
Bien qu’elle soit aujourd’hui un classique, la chanson Begin the Beguine n’a pas connu immédiatement le succès. Composée par Cole Porter lors d’une croisière en 1935, elle figure la même année dans le spectacle Jubilee, mais se voit éclipsée par un autre morceau du musical, Just One of Those Things. Josephine Baker la reprend en 1936 pour un numéro des Ziegfeld Follies, sans créer davantage l’événement. La maison de disques d’Artie Shaw lui déconseille donc de l’enregistrer lors d’une session de 1938. Mais le clarinettiste tient bon et écrit des arrangements « swings » pour moderniser le morceau, qui sort d’abord comme simple face B. Surprise, c’est Begin the Beguine, et non Indian Love Call, qui connaît un énorme succès, lançant avec éclat l’orchestre d’Artie Shaw. La plupart des « bandleaders » de l’époque, de Benny Goodman à Glenn Miller, en livrent alors leur propre version, tandis que Fred Astaire et Eleanor Powell exécutent sur sa mélodie un mémorable numéro dans Broadway Melody of 1940 (Broadway qui danse, 1940). Par la suite, la chanson Begin the Beguine sera reprise par des géants tels que Frank Sinatra, Ella Fitzgerald, Elvis Presley et Johnny Mathis, qui n’hésite pas à en livrer une version disco en 1979.

HELLZAPOPPIN – H. C. Potter (1941)
À mille lieues des comédies musicales élégantes de la RKO et de la MGM, le film inspiré par l’œuvre culte d’Olsen et Johnson surprend le public de 1941. Pour son plus grand plaisir.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
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