La Comédie musicale

IT’S ALWAYS FAIR WEATHER ( Beau fixe sur New York) – Stanley Donen et Gene Kelly (1955)

Après On the Town (Un jour à New York) et Singin’ in the Rain (Chantons sous la pluie), It’s Always Fair Weather (Beau fixe sur New York) est la dernière des trois comédies musicales signées par Stanley Donen et Gene Kelly sur un scénario de Betty Comden et Adolph Green, au sein de la fameuse « Freed Unit » à la MGM, du nom du producteur. Film rare, injustement resté dans l’ombre des deux premiers opus devenus anthologiques, il avait pourtant connu un succès critique à sa sortie. Conçu au départ comme la suite de On the Town, qui avait révolutionné le genre en le sortant des studios, It’s Always Fair Weather revient au carton-pâte et ne réunit finalement pas le casting initial. Produit à un moment de déclin du genre, ce musical au titre ironique et au goût amer tourne en dérision la société américaine et sa nouvelle trouvaille, la télévision. Économie oblige, l’Eastmancolor remplace le Technicolor mais la MGM mise sur le spectaculaire CinemaScope, procédé sous licence vendu par la Fox 25 000 dollars par film. Un format imposé aux réalisateurs réticents et, au final, judicieusement apprivoisé. Le tandem expérimente toutes les possibilités de l’écran large, composant avec ce nouvel espace de gigantesques tableaux, usant avec originalité d’effets visuels (surimpression, split screen) et exploitant le cadre rectangulaire pour développer les chorégraphies élaborées de numéros mémorables (Gene Kelly en patins à roulettes ou Cyd Charisse sur un ring de boxe). Le tournage de ce film, qui interroge les effets du temps sur l’amitié, n’aura pas raison de celle, solide, entre Kelly et Donen. [La Cinémathèque française – Blandine Etienne]


Cherchant une idée pour un nouveau spectacle, Betty Comden et Adolph Green eurent l’inspiration d’écrire l’histoire de trois camarades de guerre, semblables aux trois marins de On the Town. Gene Kelly s’intéressa au projet et en parla à Arthur Freed qui décida alors d’en faire un film mais il se révèle impossible de reprendre le trio de On the Town. Kelly est là mais Frank Sinatra, très célèbre depuis son Academy Award de From Here to Eternity (Tant qu’il y aura des hommes), n’est pas disponible et la Metro-Goldwyn-Mayer trouve que Jules Munshin n’est – toujours – pas une vedette. Dan Dailey et le chorégraphe Michael Kidd, auteur des danses de Seven Brides for Seven Brothers (Les Sept femmes de Barberousse) leur succèdent.

Mais l’heureuse époque de On the Town et de Singin’ in the Rain (Chantons sous la pluie) n’est plus. Le ton même du film apparaît trop original. « Les gens, avouait Donen, ont été surpris. Visiblement, ils ne s’attendaient pas à ça. Le film fut un échec complet. Ils venaient voir une comédie musicale, légère, amusante, et nous leur avons donné une œuvre dramatique, souvent très drôle, mais la plupart du temps très amère. Quel sujet ! J’ai été enthousiasmé par le scénario, à la fois subtil et virulent, et j’ai adoré tourner ce film. Il y a des scènes qui sont d’une amertume rarement atteinte : je pense au grand numéro de Dan Dailey, si comique et pourtant presque insoutenable. J’aime bien aussi l’utilisation du Beau Danube bleu, la satire de la télévision américaine et le combat final. Tout était dérision dans ce film, et le ton en devenait presque complètement cynique. Le titre même est satirique : il est tiré d’une célèbre chanson : « lt’s always fair weather, when good fellow get together ». C’était très ironique. »

Gene Kelly et Stanley Donen, autrefois complémentaires, s’opposent continuellement. Kelly reconnaît : « Nous voulions faire une expérience en traitant un sujet sérieux dans le contexte d’une comédie musicale. C’était une bonne histoire qui imposait une touche de réalisme mais nous avons manqué notre cible parce que nous avons été incapables de lui donner un ton nostalgique. A tous les points de vue, le film est un échec. » Parfois encore plus amer, Donen déclarait : « A ce moment-là, je n’avais vraiment aucune envie de diriger un nouveau film avec Kelly. Nous ne nous entendions plus et Kelly ne s’entendait plus avec personne. Ce fut le seul film durant lequel l’atmosphère fut vraiment horrible. Nous nous disputions du début jusqu’à la fin. La seule chose que je peux dire est que ce fut un cauchemar total. »

Kelly a également été obligé de tourner le film en cinémascope, qui, selon lui, ne convenait pas à la danse sur écran. De nombreux numéros du film, tels que « The Binge » et « Once Upon a Time », montrent les efforts de Kelly pour utiliser le cinémascope. Comden et Green ont écrit les chansons et André Previn la partition musicale, c’était sa deuxième mission majeure sur un film de la MGM, après Bad Day at Black Rock .Gene Kelly et Stanley Donen ne tourneront plus jamais un film ensemble. It’s Always Fair Weather est le dernier film de Kelly pour Arthur Freed, le dernier aussi où il a Cyd Charisse pour partenaire.

Comme si le film à lui seul témoignait de la grande mutation de la comédie musicale et du fait que rien ne serait plus comme avant. It’s Always Fair Weather a pour thème l’amitié. Trois anciens camarades de combat, vétérans de la campagne d’Italie, du débarquement et des Ardennes, vont se donner rendez-vous dix ans plus tard et découvrir que tout ce qui paraissait les réunir autrefois les sépare aujourd’hui. Les ambitions se sont estompées devant la réalité de la vie quotidienne américaine, une vie faite d’expédients (Ted) ou de compromis (Douglas, Angie). Trahie par celle qu’il aimait, Ted semble avoir renoncé à trouver une âme sœur et Douglas est prêt à divorcer…

Le film joue d’ailleurs sur ces ruptures de ton et la chanson très désabusée « Time for parting » qu’interprètent les trois amis lorsqu’ils comprennent que leur camaraderie va s’arrêter s’oppose à l’éblouissant numéro qu’ils font dans la rue avec des couvercles de poubelle.

Chaussé de patins à roulettes, Gene Kelly chante « I like myself » de la même manière qu’il chantait sous la pluie après avoir raccompagné Debbie Reynolds et le numéro le plus original – avec naturellement celui des couvercles de poubelle ! – est « Baby you knock Me out » qu’effectue dans le gymnase Cyd Charisse entourée de boxeurs. A ce propos, on peut regretter l’utilisation a minima du talent de Cyd Charisse dont les danses, inoubliables dans Singin’ in the Rain et The Band Wagon (Tous en scène) se réduisent ici à un seul numéro, celui du gymnase et des boxeurs.

La bagarre finale, presque aussi chorégraphiée que celle de Designing Woman (La Femme modèle) de Vincente Minnelli, permet au film de réunir les trois amis et d’apporter une happy end à une histoire nostalgique et désabusée. Comme si ses producteurs ne croyaient déjà plus au genre, le film souffre d’un budget visiblement insuffisant et de l’absence d’un très grand numéro musical.

Betty Comden et Adolph Green ont néanmoins profité de l’occasion pour se livrer à une parodie cinglante des reality shows chers à la télévision où tout est bon pour faire vendre quelques produits sur fond de battements de cœur et de larmes faciles.


L’histoire

Ted Riley (Gene Kelly), Douglas Hallerton (Dan Dailey) et Angie Valentine (Michael Kidd) rentrent enfin à New York après avoir combattu sur tous les fronts. La guerre est terminée mais les trois amis, soudés par cette camaraderie militaire, décident de se revoir dans dix ans, jour pour jour, le 11 octobre 1955. Les années passent, 1955 arrive. Au jour dit, les trois anciens camarades de régiment sont bien au rendez-vous mais ils comprennent vite qu’ils sont désormais éloignés les uns des autres. Douglas s’est marié et cette union s’est révélée un échec. Angie est devenu le patron d’un petit restaurant et Ted fréquente le monde louche de la boxe. Ted fait la connaissance de Jackie Leighton (Cyd Charisse) travaille pour la télévision. Il s’éprend d’elle et, de son côté, Jackie est séduite par ce sympathique mauvais garçon. Douglas rejette le carcan des conventions et remet son patron à sa place. Le miracle qui seul pouvait réunir les trois amis d’hier se produit alors que Ted, Douglas et Angie sont réunis au cours d’une émission télévisée appelée « Le sanglot de Manhattan » qu’anime Madeline Bradville (Dolores Gray). Charles Z. Culloran (Jay C. Flippen), un caïd de la boxe, arrive avec quelques-uns de ses hommes de main pour corriger Ted qui lui a joué un mauvais coup. Sans se rendre compte que les caméras et les micros de la télévision sont dirigés vers lui, Culloran reconnaît ses méfaits. Découvrant qu’il a été piégé, il attaque Ted. Douglas et Angie prennent aussitôt le parti de leur camarade et c’est bientôt une bagarre générale. Les trois anciens soldats comprennent que leur amitié est toujours aussi forte. Douglas et sa femme se réconcilient et Ted part avec Jackie.


LA COMÉDIE MUSICALE
La comédie musicale a été longtemps l’un des genres privilégiés de la production hollywoodienne, et probablement le plus fascinant . Né dans les années 1930, en même temps que le cinéma parlant, elle témoigna à sa manière, en chansons, en claquettes et en paillettes, de la rénovation sociale et économique de l’Amérique. Mais c’est dix plus tard, à la Metro-Goldwyn-Mayer, que sous l’impulsion d’Arthur Freed la comédie musicale connut son véritable âge d’or, grâce à la rencontre de créateurs d’exception (Vincente Minnelli, Stanley Donen) et d’acteurs inoubliables (Fred Astaire, Gene Kelly, Judy Garland, Cyd Charisse, Debbie Reynolds). Par l’évocation de ces années éblouissantes à travers les films présentés, cette page permet de retrouver toute la magie et le glamour de la comédie musicale.


« La plus originale et la plus audacieuse des comédies musicales écrites par Comden et Green, mises en scène par Donen et Kelly et produites par le grand producteur Arthur Freed (…). Dans l’esprit de Kelly, It’s Always Fair Weather devait être à On the Town ce que « Vingt ans après » sont aux « Trois Mousquetaires « . Avec On the Town Donen et Kelly avait déjà « sorti » la comédie musicale de l’univers clos des scènes de théâtre pour la faire évoluer en extérieurs réels à travers New York. Ils continuent ici leur entreprise de renouvellement en inscrivant à l’intérieur du genre une véritable comédie dramatique, tendant parfois au drame psychologique. Son contenu, très amer et très caustique, est basé sur les thèmes du désenchantement et de l’échec. (…) Au passage le film satirise également la démagogie de certaines émissions de télévision, la bêtise et le mercantilisme de la publicité, la corruption des milieux de la boxe. Le miracle est que cette thématique étonnamment âpre ait stimulé comme jamais l’invention des chorégraphes, danseurs, acteurs, etc. auxquels le Cinémascope (utilisé pour la deuxième fois par Donen) propose de nouveaux défis. » Jacques Lourcelles – Dictionnaire du cinéma


GENE KELLY ET STANLEY DONEN : L’INVITATION À LA DANSE
L’audace et le brio de l’acteur-danseur Gene Kelly et du réalisateur Stanley Donen contribuèrent au regain de vitalité de la comédie musicale qui atteindra, grâce à eux, son apogée au cours des années 1950.  


Programme musical (sélection)
« The Time for Parting »
Music by André Previn
Lyrics by Betty Comden and Adolph Green
Performed by Gene Kelly, Dan Dailey and Michael Kidd (dubbed by Jud Conlon)
« Baby, You Knock Me Out »
Music by André Previn
Lyrics by Betty Comden and Adolph Green
Sung by Cyd Charisse (dubbed by Carol Richards) and chorus
Danced by all in Stillman’s Gym
« Once Upon a Time »
Music by André Previn
Lyrics by Betty Comden and Adolph Green
Performed by Gene Kelly, Dan Dailey and Michael Kidd (dubbed by Jud Conlon)
« I Like Myself »
Music by André Previn
Lyrics by Betty Comden and Adolph Green
Performed by Gene Kelly
« Thanks a Lot, but No Thanks »
Music by André Previn
Lyrics by Betty Comden and Adolph Green
Performed by Dolores Gray

GENE KELLY
Chorégraphe-né, Gene Kelly a su très tôt trouver le style athlétique et inventif qui allait faire son succès. L’« autre » monstre sacré de la danse au cinéma, avec Fred Astaire qu’il admirait tant, est aussi, à l’image de ses ancêtres irlandais, l’homme opiniâtre qui a lutté sans cesse pour sortir la comédie musicale de ses conventions.

CYD CHARISSE
Avare de compliments pour Ginger Rogers, Fred Astaire idolâtrait Cyd Charisse, qui partageait sa technique éblouissante et son élégance suprême. Quelques pas et une jupe fendue lui suffisaient pour créer une image obsédante de femme fatale. Il serait injuste de dire qu’elle n’était pas bonne actrice, mais une partie de sa magie semblait s’évanouir lorsque la musique s’arrêtait, peut-être parce que personne ne croyait à elle autrement qu’en danseuse aux longues jambes et aux déhanchements souverains.



ON THE TOWN (Un Jour à New York) – Stanley Donen et Gene Kelly (1949)
En 1949, le producteur Arthur Freed décide de donner leur chance à deux chorégraphes, Gene Kelly et Stanley Donen, pour réaliser un film moderne et stylisé. Si le premier est déjà un artiste confirmé, le second n’a pas vingt-cinq ans quand le tournage commence. C’est sûrement sa jeunesse, alliée à la nouveauté du propos, qui permet au tandem de sortir des sentiers battus pour innover.

SINGIN’ IN THE RAIN (Chantons sous la pluie) – Stanley Donen, Gene Kelly (1952)
Tourné en 1951 pour la MGM, le film de Stanley Donen et Gene Kelly jette un regard drôle et attachant sur le petit monde du cinéma hollywoodien. Un sommet de la comédie musicale, resté inégalé.


LES MUSICALS DE LA MGM
L’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne, celle qui réussit l’accord parfait entre action, musique et danse, est à jamais lié à un sigle : MGM et à un nom : Arthur Freed, le grand promoteur du genre.




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