Les Réalisateurs

[artisan du septième art] HENRI DECOIN

Représentant de cette « qualité française » tant décriée par les jeunes réalisateurs de la Nouvelle Vague, le cinéaste de Premier rendez-vousLes Inconnus dans la maisonRazzia sur la chnouf et La Vérité sur Bébé Donge a régné pendant trente ans sur le cinéma hexagonal. Avec un enthousiasme jamais démenti…


Couleur du temps : trois mots qui renferment le charme et la fragilité de l’œuvre d’Henri Decoin. Du cinéma commercial ou, plus justement, du cinéma-spectacle des années 1930, illuminé par la jeunesse et le sourire de Danielle Darrieux, aux impératifs médiocres des films à la mode, en France, autour de 1960, en passant par des études d’une psychologie un peu pesante, ou par des comédies aux rires un peu forcés, la caméra précise d’Henry Decoin a fixé pour toujours le reflet des époques, l’atmosphère des saisons. Image inoubliable, Michèle Morgan s’éloigne sous la pluie du Havre, aux côtés de Jean Gabin, et c’est Quai des brumes, mais pourquoi oublier Darrieux, elle aussi revêtue d’un ciré et coiffée d’un béret, cherchant des miettes de bonheur au coin des rues du Paris d’Abus de confiance, film de journaliste où foisonnent les croquis de la vie quotidienne en 1937 ?


HENRI DECOIN : LE ROI DU SPORT
1933, Henri Decoin va réaliser enfin son premier film sans entraves. Direc­teur de versions françaises en Allemagne et en Italie, maître de la technique, sûr de bien conduire sa troupe de comédiens, il choisit comme thème : l’aviation. Il veut servir la propagande de l’aviation civile et, par la même occasion, exalter la jeunesse. Il atteint la quarantaine, proclame que « les metteurs en scène français sont des as, mais qu’ils ne sont pas libres, parce-qu’ils ont trop de métier » et conclut qu’« il faudrait des jeunes avec l’étincelle ».

HENRI DECOIN : UN FIS D’AMÉRIQUE
Henri Decoin promenait un regard vif et intéressé sur les méthodes de travail américaines. Déjà, au temps de la U.F.A. et des studios de Neubabelsberg, il était séduit par cette organisation bien huilée du travail d’équipe qui aboutit à la perfection technique. Il s’ingénie à saisir également le tour de main, les secrets de fabrication, qui, assimilés, digérés, donnent aux films cette sensation euphorique de mécanique admirablement réglée, de fini, de poli. On pourra constater, dès son retour en France, qu’il saura appliquer intelligemment à la production française, le fruit de ses observations.


Et le procès d’intention que l’on ouvrit aux Inconnus dans la maison dès la Libération ? Les chroniques provinciales d’un pays succombant à l’asphyxie et à la suffocation viraient à l’eau forte et l’exactitude aiguë des notations de Decoin laissait mauvaise conscience. Plus tard, Trois télégrammes accommoda les recettes du néo-réalisme, alors fort en faveur, avec une pincée de sucre en trop ; Folies bergères ou Charmants garçons témoignèrent du bref engouement français pour le « musical » à l’américaine, et, en fin de course, Le Pavé de Paris ou Tendre et violente Elisabeth décalquèrent le roman-photo, ses intrigues à gros point, son dialogue rudimentaire, les quêtes et les conquêtes de ses héroïnes tendant un complaisant miroir à la Française moyenne.


HENRI DECOIN : CÉSAR À L’HEURE ALLEMANDE
Les Inconnus dans la maison obtint un très beau succès. La publicité s’établit sur le nom de Raimu, regagnant les studios parisiens – à contre-cœur, semble-t-il – comme l’a prouvé ensuite le jeu du chat et de la souris qu’il mena avec les agents allemands de la Continental, mais aussi sur les tendances sociales de l’œuvre axées sur les problèmes de la jeunesse.

HENRI DECOIN : FOLIE DOUCE ET CAS DE CONSCIENCE
Entre Les Inconnus dans la maison et Le Bienfaiteur, Henri Decoin, pour le compte de la Continental avait essayé de revenir à la formule enjouée et sentimentale qui avait fait la fortune de Premier rendez-vous. Il rassembla quelques jeunes acteurs qui ne demandaient qu’à s’épanouir : François Perier, Paul Meurisse, Ceorges Rollin, autour de Juliette Faber, dont le registre restait singulièrement limité. Cela s’appela Mariage d’amour et fut un échec retentissant, prévu par le metteur en scène lui-même qui, en dernier ressort, refusa de signer le film.


Henri Decoin reporter précis, agile, plaisant, fixant les images des années avec leurs modes vite fanées, leurs tics, leurs scies et les engouements de la jeunesse. Lanterne magique des jours qui passent plus ou moins fous et que le journaliste enregistre, au vol. Il manque à ce chatoiement, à cet éparpillement de notes, de vues, de flashes, à ce cinéma bien fait et révélateur, ce qui manque cruellement à la production française de l’époque : le souffle du Social.



Si son nom a aujourd’hui un peu perdu de son éclat, Henri Decoin n’en a pas moins été l’un des fers de lance du cinéma français, du milieu des années 1930 jusqu’au tournant des années 1960. Né en 1890, ce Parisien des quartiers populaires a été élevé à la dure : son père étant invalide, il commence à travailler très jeune, car les ménages de sa mère ne suffisent pas à subvenir aux besoins de ses quatre frères et sœurs. Mais le jeune Decoin fait preuve d’une grande vitalité. Se tournant vers le sport, il devient un nageur de haut niveau, et sera membre de l’équipe olympique française. Pendant la Guerre de 14-18, il fait partie des premiers pilotes de chasse, ce qui lui vaudra la Croix de guerre. Redevenu civil, le bouillant jeune homme se lance dans le journalisme sportif : ses disciplines de prédilection sont le cyclisme et la boxe. Il se voit d’ailleurs décerner en 1926 le Grand prix de littérature sportive pour son roman « Quinze rounds ». Marié à l’époque avec l’actrice Blanche Montel, Decoin approche les milieux du cinéma en devenant scénariste. Puis il signe en 1931 un court métrage, À bas les hommes, avant de Livrer deux ans plus tard son premier long métrage, Toboggan ; le voilà réalisateur.


HENRI DECOIN : MALDONNE
Après la Libération s’ouvre devant le responsable des Inconnus dans la maison, une période trouble et incertaine. Il lui faut faire la preuve que, pendant les quatre années écoulées, son activité de résistant a heureusement et abondamment prouvé que la collaboration à la Continental ne fut qu’un épisode malencontreux – mais relativement court.

HENRI DECOIN : LA VIE À DEUX
Au départ, La Vérité sur Bébé Donge n’eut pas la critique qu’on pouvait en attendre, et le succès en dépit des têtes d’affiche fut seulement honorable. Présenter Gabin en vaincu, Darrieux en victime justicière, c’était, peut-être, aller trop carrément à l’encontre des idées établies chez le spectateur.


C’est dans les studios allemands de Babelberg qu’Henri Decoin va faire en 1935 la rencontre la plus décisive de sa carrière. Le réalisateur est venu y tourner son cinquième film, Le Domino vert, dans lequel joue une jeune comédienne du nom de Danielle Darrieux. Le couple se marie bientôt, et les cinq films tournés par l’actrice et le réalisateur jusqu’en 1941 feront décoller leurs carrières respectives. Après le grand succès obtenu par Retour à l’aube, Abus de confiance, Decoin suit sa jeune femme à Hollywood, où elle va tourner le film La Coqueluche de Paris. Rentré en France, le réalisateur se souviendra des méthodes américaines en dirigeant Danielle Darrieux dans Battements de cœur, puis dans Premier rendez-vous, leurs deux plus grands succès. La fraîcheur et la vivacité de la jeune actrice y sont plus éclatantes que jamais – mais le couple se sépare en 1941.


HENRI DECOIN : SANG ET OR
Il faut éviter avant tout de se référer à l’histoire de Mathilde Carré, dite la Chatte, agent de l’Abwehr, alias « Micheline », alias « la dame au chapeau rouge », alias « Victoire » selon les différents réseaux, condamnée, traînée de prison en prison, graciée finalement. Les deux films de Decoin: La Chatte et La Chatte sort ses griffes prennent toute distance à ce sujet. « Il ne peut être question de retrouver dans ce film la personne qui a défrayé la chronique » lit-on en fin de générique. On joue sur un titre raccrocheur, l’opinion ayant été sensibilisée par les équivoques aventures de Mathilde Carré.

HENRI DECOIN : TOUCHE À TOUT
Un des côtés attachants de l’œuvre d’Henri Decoin aura été une curiosité toujours éveillée, en quête d’arguments neufs. Cela jusque dans ses derniers films. Ce dernier fit triompher en France le cinéma des âmes sensibles. Avec ses attendrissements de bon aloi, il est l’Alphonse Daudet des studios. Cinéaste du second rayon, reflet des années perdues, rayons du projecteur où palpitent les grains de poussière…


Decoin se lance alors dans une nouvelle direction en réalisant en 1942 Les Inconnus dans la maison, adapté de Georges Simenon : une œuvre sombre correspondant bien à son époque, dans laquelle Raimu livre une performance à mille lieux des « pagnolades » (le film donnera lieu en 1992 à un remake avec Jean-Paul Belmondo). Puis le cinéaste va se révéler un habile touche à tout, en livrant après-guerre des films aux styles très différents, et dont la plupart auront les faveurs du public. Decoin s’essaie ainsi au film policier (Entre onze heures et minuit avec Louis JouvetDortoir des grandes avec Jean Marais), à la comédie musicale (Folies-Bergères), au film historique (La Chatte, qui évoque la période de l’Occupation) ou encore à la comédie (Charmants garçons, avec Zizi Jeanmaire et Daniel Gélin)… En 1952, le réalisateur retrouve Danielle Darrieux pour ce qui s’avérera son plus gros succès de la période, La Vérité sur Bébé Donge, dans lequel il dirige également Gabin. Decoin et Darrieux tourneront encore le drame mondain Bonnes à tuer et le film en costumes L’affaire des poisons, ce qui portera à neuf le nombre de leurs collaborations. Cinéaste infatigable, le vétéran Decoin ne prendra sa retraite qu’après avoir mis en scène en 1964 son cinquantième film…



Les films

ABUS DE CONFIANCE – Henri Decoin (1937)
Ce film est un beau mélodrame. Selon la règle, il oscille entre le sordide et l’opulence, s’ouvre sur l’image d’un cimetière, trouve sa conclusion dans un prétoire. La vertu de Danielle Darrieux, orpheline de bonne éducation, éprouvée par la pauvreté, subit les pires assauts, et, si la jeune fille écoute les funestes conseils d’une amie, c’est à la fois par lassitude, par imprudence, et par goût secret du romanesque. Or, du moment où elle accepte l’idée d’un abus de confiance, où, tendant une correspondance jaunie, elle se présente comme l’enfant de l’amour d’un romancier célèbre, tout autour d’elle devient clair et fleuri.

RETOUR A L’AUBE – Henri Decoin (1938)
Un soir de mai 1938, une foule immense accueille à la gare Saint-Lazare Danielle Darrieux et de son mari de retour d’Hollywood. Ils commencent rapidement le tournage de ce qui va devenir le plus beau film de cette période, Retour à l’aube. Adapté d’une nouvelle de Vicky Baum, le film est tourné en partie en Hongrie. Le thème évoque les courts romans de Stefan Zweig par sa simplicité : Anita Ammer, femme du chef de gare d’une petite ville de province, doit se rendre à Budapest pour toucher un héritage. Elle y passera une nuit qui changera sa vie pour toujours.


PREMIER RENDEZ-VOUS – Henri Decoin (1941)
Micheline (Danielle Darrieux) rencontre l’homme avec lequel elle correspond depuis l’orphelinat, et dont elle est tombée amoureuse. Voyant sa déception, celui-ci, un vieux professeur (Fernand Ledoux) prétend être venu en lieu et place de son neveu (Louis Jourdan). Mis dans la confidence, d’abord réticent, celui-ci finira par épouser Micheline. D’une certaine manière, le scénario résume la forme. Premier Rendez-vous sera un film d’apparences.

LES INCONNUS DANS LA MAISON – Henri Decoin (1942)
Le film Premier Rendez-vous de Decoin se situe encore dans les années heureuses, et son irruption sur les écrans français, à la fin de l’été 1941, a des allures de nostalgie. Les Inconnus dans la maison est d’une autre ambition. C’est un film « de guerre », comme c’est un roman d’avant-guerre : Simenon l’écrit en janvier 1939, et Gallimard le publie en octobre 1940.

LE CAFÉ DU CADRAN – Henri Decoin (1947)
Nombreux furent les films pour lesquels Decoin fut qualifié de « superviseur », sans qu’il soit possible d’établir son rôle exact de manière plus précise. Ce sera notamment le cas des deux films réalisés par sa fidèle collaboratrice, Andrée Feix, en 1946 et 1947 Pour Le Café du cadran, le témoignage de Bernard Blier, semble formel : si Jean Géhret en est crédité comme le réalisateur, Blier assure que celui-ci fut en fait l’œuvre de Decoin.

NON COUPABLE – Henri Decoin (1947)
Le docteur Ancelin, ivrogne invétéré, tue accidentellement un motard. Réussissant à camoufler le crime en accident, il décide cette fois de commettre un vrai crime en tuant l’amant de sa femme. Resté non découvert, il persiste dans la voie meurtrière en tuant sa femme. Il finit, par orgueil, par s’accuser des crimes, mais la police l’éconduit. Il se suicide, sans que son « génie » criminel soit reconnu. À l’énoncé, on pouvait effectivement craindre le pire…

ENTRE ONZE HEURES ET MINUIT – Henri Decoin (1949)
Alors que l’inspecteur Carrel enquête sur le meurtre d’un avocat véreux, un nouveau cadavre est découvert, celui d’un certain Vidauban, truand de profession. Carrel réalise qu’il est le parfait sosie du mort, au point qu’une connaissance de Vidauban le prend pour lui. Se faisant passer pour ce dernier, l’inspecteur en profite pour s’introduire auprès de ceux qui connaissaient le malfrat…

LA VERITÉ SUR BÉBÉ DONGE – Henri Decoin (1952)
Si le public de 1952 boude la sortie de La Vérité sur Bébé Donge, le film ne sombre pas pour autant dans l’oubli, et les générations suivantes répareront cette injustice en le considérant comme l’un des titres les plus marquants de la période. Même les pourfendeurs de la fameuse « qualité française », tant décriée par François Truffaut et ses amis des Cahiers du cinéma, se sentiront tenus de faire une exception dans la filmographie d’Henri Decoin pour La Vérité sur Bébé Donge.

RAZZIA SUR LA CHNOUF – Henri Decoin (1954)
Rebondissant sur le succès surprise de Touchez pas au grisbi, Gabin se lance en 1954 dans l’aventure de Razzia sur la chnouf. Un polar qui, grâce à l’habileté du cinéaste Henri Decoin, rejoindra tout naturellement la liste des grands films de l’acteur. Dans ce film, Gabin peaufinera le personnage qui dominera la seconde partie de sa carrière : le dur à cuire impitoyable mais réglo.

FOLIES-BERGÈRE (Un Soir au music-hall) – Henri Decoin (1957)
Pourquoi ne pas penser qu’à Paris on puisse tourner un film à la gloire du music-hall – mieux encore à la gloire des Folies Bergère – qui, malgré la sclérose d’une tradition un peu trop établie, continuent à drainer rue Richer la foule des provinciaux et la cohorte des étrangers. On pouvait disposer comme têtes d’affiche de Zizi Jeanmaire, qui, en plus de ses talents de danseuse, laissait deviner une personnalité de comédienne, et d’Eddie Constantine qui commençait à se fatiguer et à lasser le public avec les éternelles resucées des romans de Peter Cheyney.

TOUS PEUVENT ME TUER – Henri Decoin (1957)
Divertissement habile, gouleyant, bien servi par des comédiens auxquels on ne demande pas de prendre au sérieux une histoire pourtant astucieuse ayant commis un mirifique vol de bijoux, un groupe de malfrats se fait enfermer en prison pour un motif bénin qui leur sert d’alibi. En prison, ils sont assassinés les uns après les autres, jusqu’au coup de théâtre final… 

LA CHATTE – Henri Decoin (1958)
La Chatte conte l’entrée en résistance de Cora Massimier (Françoise Arnoul), qui multiplie les faits héroïques avant de tomber amoureuse d’un officier allemand avec lequel elle joue un trouble double jeu, et qui, lui aussi, hésite entre sa loyauté pour son pays et son attirance pour elle. Au final, le réseau est effectivement trahi, et Cora « exécutée » (elle ressuscitera pour les besoins de la cause). Si ce n’est pas la vie de Mathilde Carré, cela y ressemble fort…


 


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