Catégorie : Le Film étranger

THE PARADINE CASE (Le Procès Paradine) – Alfred Hitchcock (1947)

Les créations d’Hitchcock ont toujours été étroitement liées aux producteurs qui l’ont fait travailler, parfois même très étroitement. C’est particulièrement vrai pour The Paradine case (Le Procès Paradine), qu’Hitchcock réalisa pour David O. Selznick. Bien que surveillé de très près par son producteur, qui garda la main mise sur le film du début à la fin de la production, le réalisateur parvint néanmoins à signer une œuvre qui, indéniablement, porte sa marque. 
Accusée de meurtre, la belle Mrs Paradine n’a pas de mal à convaincre son avocat de son innocence. Le procès semble gagné d’avance. C’est sans compter avec les sentiments des uns et des autres…

STORMY WEATHER (La Symphonie magique) – Andrew L. Stone (1943)

«Don’t know why, there’s no sun up int he sky… Stormy Weather, since my man and I ain’t together… keeps raining all the time…» Ainsi commence l’une des plus jolies chansons de l’histoire du jazz chantée ici par Lena Horne et qui donne son titre au film. Film de jazz, film de danse, Stormy Weather est un moment extrêmement joyeux et entraînant, probablement la plus belle comédie musicale noire qui s’achèvera en une séquence explosive où les Nicholas Brothers, probablement les plus grands danseurs de Tap dance du monde, font une étourdissante démonstration de leur talent, à montrer impérativement à tous ceux que la danse inspire. Du pur bonheur !

THE MAN WITH THE GOLDEN ARM (L’Homme au bras d’or) – Otto Preminger (1955)

Frankie sort de prison et retrouve son épouse, Zosh. Celle-ci est paralysée, à cause d’un accident de voiture que Frankie a provoqué sous l’emprise de la drogue. Car Frankie est un junkie. Il aimerait rentrer dans le droit chemin et faire partie d’un orchestre de jazz : mais le jeu et la came reprennent vite le dessus… La drogue était alors un sujet tabou. The Man with the golden arm se vit refuser son visa de sortie, puis, grâce à l’obstination d’Otto Preminger, remporta un grand succès, entraînant une remise à jour du code Hays, cette charte d’autocensure appliquée par Hollywood.

Sur le strict plan documentaire (la drogue, mode d’emploi), le film a évidemment beaucoup vieilli. Il se complaît dans le mélo (le personnage d’Eleanor Parker est insupportable jusqu’au coup de théâtre final) et le happy end paraît largement artificiel. Ce qui n’a pas bougé, en revanche, c’est l’interprétation magistrale de Frank Sinatra — qui chipa le rôle à Marlon Brando —, qui rend avec brio, notamment dans une scène de manque, les démons intérieurs de son personnage. Plus que l’intrigue, c’est l’atmosphère, sombre et jazzy, qui fait le prix de ce classique du drame psychologique à l’américaine. [Aurélien Ferenczi – Télérama]

JOHNNY GUITAR – Nicholas Ray (1954)

Ce film, que les années ont transformé en « western classique », certains le considéraient en son temps comme un « faux western », ou bien comme un « super western », le genre n’étant là que prétexte pour mieux déguiser un manifeste contre le maccarthysme. Avoué ou implicite, le critère de jugement est la fidélité au western. Or ce que fait la qualité spécifique de Johnny Guitar est précisément ce qui embarrasse les maîtres du classement : la liberté que prend Nicholas Ray avec les règles d’un genre et du cinéma qu’il recrée avec amour et ironie.

THE SHOP AROUND THE CORNER (Rendez-vous) – Ernst Lubitsch (1940)

Lubitsch ne s’est pas plongé dans le petit peuple – d’où, d’ailleurs, il vient -, tout au plus dans la vision que Hollywood forge de ces gens simples, une vision idyllique, est-il besoin de le préciser. La « bulle », c’est la boutique de M. Matuschek, lieu central du décor (on ne s’en éloigne que rarement, et pour des endroits anonymes : café, chambre meublée, hôpital), à l’intérieur de laquelle la réalité est transformée par les us du commerce comme elle l’était dans Trouble in Paradise (Haute Pègre) par les règles du savoir-vivre. Il n’y a pas ici d’hommes et de femmes mais un patron, des vendeurs, une caissière, un coursier.

THE NIGHT OF THE HUNTER (La nuit du chasseur) – Charles Laughton (1955)

Le seul film réalisé par l’acteur Charles Laughton est un coup de maître comme l’histoire du cinéma nous en a peu livré. Rarement l’angoisse et l’envoûtement ont été entrelacés avec une telle densité au grand écran. Dans ce conte hypnotique pour adultes empreint de sombre poésie et d’une parfaite maîtrise technique, Charles Laughton met au jour les angoisses profondes de l’enfance et un savoir-faire de cinéaste morbide pour livrer une fable d’une Immense beauté dans laquelle deux enfants fuient un prêcheur démoniaque, un adulte imprévisible et prêt à tout. Frissons garantis.  [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]

DIAL M FOR MURDER (Le Crime était presque parfait) – Alfred Hitchcock (1954)

Quand Tony Wendice, ancien joueur de tennis, décroche son téléphone, le sort de sa femme semble scellé. Mais le crime qu’il a mis au point depuis des années est-il si implacable qu’il le croit..? Pour son quatrième film tourné avec la Warner Bros, Hitchcock s’attacha à une pièce de théâtre à succès et accepta de réaliser Dial M for murder (Le Crime était presque parfait) en relief. Malgré les contraintes techniques que cela imposait, il signa une œuvre singulière, un huis clos riche de tous les éléments hitchcockiens : psychologie, intrigue amoureuse, humour et suspense. Le film fournit l’occasion de la première collaboration du maître avec Grace Kelly, qui dévoile ici tous ses talents.

CHARADE – Stanley Donen (1963)

Stanley Donen s’est spécialisé dans la comédie musicale, avec notamment Chantons sous la pluie (Singin’ in the Rain) en 1952. Avec Charade, il nous propose une comédie policière où le spectateur oscille entre le suivi de l’intrigue avec une série d’assassinats et la veine comique dont procède le jeu des acteurs.

Au dialogue piquant du duo Cary Grant et Audrey Hepburn s’ajoute la balourdise de l’inspecteur Grandpierre (Jacques Marin), dont les corrections confinent au burlesque.
Le film est parcouru par de nombreuses références cinématographiques, citations parfois même directes : déambulant sur les quais de Seine, Reggie dit : « c’est ici que Gene Kelly dansait dans Un Américain à Paris », le film de Vincente Minnelli. Il y a également de nombreuses références à l’œuvre d’Hitchcock, notamment la scène de lutte sur le toit, allusion à Sueurs froides, et le meurtre dans une salle de bains, allusion à Psychose. Cary Grant constitue lui-même une référence vivante à La Mort aux trousses.

IRMA LA DOUCE – Billy Wilder (1963)

Gardien de la paix intègre et naïf, Nestor Patou embarque toutes les prostituées des Halles. Son supérieur – client de ces dames – le félicite… en le limogeant ! A la rue, Nestor s’éprend d’Irma, la plus douce des filles de joie du quartier ; il devient son souteneur, mais n’a qu’un but : retirer Irma du trottoir. Il élabore un stratagème complexe… C’est un film mineur dans l’oeuvre de Wilder : intrigue à l’eau de rose, quasiment à deux personnages, étirée sur deux heures. Mais il y a autre chose : Wilder exploite l’ensemble des idées reçues que les Américains ont sur la France pour réinventer un Paris de légende, aux couleurs criardes comme celles des marchandises qu’on vend aux Halles, quartiers de viande bien rouge, choux bien verts. Ça devrait être ridicule, façon poulbot-Montmartre, mais ce décor (signé Trauner) est bourré de charme et appuie les choix délibérément non réalistes du cinéaste. C’est un véritable enchantement plastique, l’irréalisme frisant l’abstraction et, donc, l’avant-garde. Les comédiens sont remarquables : Shirley MacLaine, mignonne comme un coeur et plutôt sobre ; Jack Lemmon, jouant à merveille les simplets. Manque l’insolence, malgré un joli couplet sur la prostitution comme base du capitalisme ! [Aurélien Ferenczi – Télérama]

CHINATOWN – Roman Polanski (1974)

Los Angeles, 1937. Quand le détective privé J.J. Gittes (Jack Nicholson) est engagé pour filer un époux infidèle, il s’attend à un travail de routine. Mais les choses prennent vite une tournure inattendue. L’homme qu’il épie, un haut fonctionnaire de la compagnie des eaux de la ville, est assassiné et lorsque sa veuve séduisante (Faye Dunaway) demande à Gittes d’éclaircir l’affaire, il tombe à l’improviste sur la piste d’une retentissante affaire de spéculations immobilières criminelles. Dès lors, Gittes se retrouve constamment dans des situations toujours plus insolites les unes que les autres. Mais il doit surtout affronter d’inquiétants gangsters qui tentent de l’empêcher de fourrer son nez dans leurs louches machinations, dans lesquelles sont visiblement impliquées des personnalités très influentes de la ville. Quant à sa fascinante commanditaire, elle semble elle aussi en savoir plus qu’elle ne le prétend.

TAXI DRIVER – Martin Scorsese (1976)

Dans les années 50, les deux types fondamentaux de héros noirs s’unirent pour donner naissance à la figure d’un personnage traumatisé par une blessure psychologique et obsédé par un but qu’il s’est fixé. Cette obsession le conduit à accomplir un acte violent qu’il regrettera par la suite : ainsi Barney Nolan dans Shield for Murder (Le bouclier du crime, 1954) et Howard Tyler dans The Sound of Fury (Fureur sur la ville, 1950). Travis Bickle de Taxi driver ressemble d’une part aux premiers héros noirs de Cain et de Chandler par ses errances nocturnes et par sa fixation affective sur une blonde « angélique », mais d’autre part, il rappelle les protagonistes plus tardifs par ses obsessions : il cherche désespérément à se faire admirer par les femmes et veut les sauver d’une société qu’il considère comme néfaste. Le plus important ici est que Travis n’aura pas à regretter sa violence ; au contraire il recevra remerciements et honneurs et retrouvera ainsi le respect de soi. Mais l’aliénation et la solitude de Travis ne sont pas pour autant résolues ; elles peuvent resurgir n’importe quand, en un éclat de violence immaîtrisé.  

ENTRE LE CIEL ET L’ENFER (天国と地獄 – Tengoku to jigoku) – Akira Kurosawa (1963)

Le  « ciel » du titre est l’appartement, moderne et luxueux, d’un riche industriel, situé sur les hauteurs bourgeoises de Yokohama. L' »enfer » se trouve dans les bas-fonds de la ville portuaire, où l’on découvre les oubliés du « miracle économique » japonais d’après guerre. Deux mondes a priori étrangers l’un à l’autre, mais dont le cinéaste ne cesse de montrer l’étroite imbrication : dans ce polar dostoïevskien, le ciel et l’enfer se révèlent aussi indissociables que le bien et le mal. Les dilemmes moraux des personnages prennent corps à l’écran grâce à une mise en scène d’une tension et d’une invention permanentes. Kurosawa ose – et réussit – tout : un huis clos théâtral dans un décor unique pendant quarante minutes, une scène d’action virtuose dans un train lancé à pleine vitesse, une brève scène de retrouvailles à fendre le coeur, un documentaire sur les techniques d’enquête criminelle, et même une brève apparition de la couleur (la fumée rose dégagée par une mallette piégée) au milieu d’un noir et blanc très contrasté. De l’audace et du grand art.

GET CARTER (La Loi du milieu) – Mike Hodges (1971)

Get Carter est lui aussi un film sans illusions. Il ne retrace pas seulement l’histoire d’une expédition vengeresse, mais brosse le tableau d’une société déchue et violente. Parcourant la ville en tous sens tel un détective, Carter ne rencontre que méfiance, sournoiserie et cupidité, que ce soit dans les appartements chics et les villas d’une élite décadente ou dans les maisons tristes et les pubs de la classe ouvrière. De ces Swinging Sixties, particulièrement tapageuses dans la mise en scène de Hodges, il semble ne subsister qu’un hédonisme à tout crin. La griserie de la vitesse – en matière de sexe comme de voitures – que Hodges réunit dans une séquence effrénée, n’a rien de libérateur dans Get Carter, mais est marquée au contraire du sceau de la corruption et de la violence.

THE DRIVER – Walter Hill (1978) 

La mise en scène s’affranchit de tout tour de passe-passe visuel, ni photographie ni montage ne détournent notre attention de l’action. Les dialogues sont réduits au minimum : bavarder, ce n’est pas le genre de ces deux hommes. Quand l’inspecteur rencontre le chauffeur, il le compare à un cow-boy ; comment ne pas reconnaître dans la ballade urbaine de Walter Hill la constellation de personnages et les éléments stylistiques du western ?

EXPERIMENT IN TERROR (Allô, brigade spéciale) – Blake Edwards (1962) 

Le film noir est généralement associé aux milieux urbains et Edwards a en effet choisi pour décors les ponts élancés et les charmants tramways de San Francisco. En faisant sourdre la menace d’un paysage sophistique, il ne la rend que plus terrible et obéit à une des constantes du film noir : même si la ville parait sereine et respectable, elle renferme d’indicibles dangers qui peuvent se manifester dans les moments les plus inattendus. On ne peut comparer son traitement de la baie qu’avec celui de Don Siegel dans The Lineup (Le Ronde du crime) et Dirty Harry (L’inspecteur Harry). « Laisser son cœur à San Francisco » n’est plus, dans tous ces films, un thème lyrique mais une sinistre éventualité.