Estimant que l’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, Gabin a souvent acquis lui-même les droits de romans qui pouvaient lui offrir de belles compositions, c’est ainsi que sont nés des films aussi majeurs que La Bandera et Quai des brumes.

C’est au début des années 1930 que Gabin découvre avec enthousiasme La Bandera, le roman de Pierre Mac Orlan. Pour la première fois de sa carrière, le jeune acteur est tenté d’acheter les droits d’une histoire dont il se verrait bien le héros. Mais l’entreprise n’est pas sans risque : s’il ne trouve aucun producteur pour le suivre dans le projet, il perdra une somme importante. Aussi préfère-t-il attendre, tout en parlant autour de lui de ce livre qui ferait un film formidable. Découvrant un jour que Julien Duvivier est du même avis, Gabin le persuade de partager avec lui l’achat des droits, et c’est ainsi que l’adaptation de La Bandera est mise en chantier. À sa sortie, le film porte chance à l’acteur, qui se lancera deux ans plus tard dans une autre adaptation de Mac Orlan : Quai des brumes. Même si – comme c’est souvent le cas pour une œuvre devenue mythique – Carné et Gabin ont tous deux déclaré être à l’origine du projet, il semble bien que le comédien ait acquis les droits du roman bien avant sa rencontre avec le cinéaste. Et que ce soit lui qui ait proposé à Carné d’en tirer un film.

L’affaire Roumagnac
Quoi qu’il en soit, Marcel Carné connaissait et appréciait lui aussi l’œuvre de Mac Orlan, il n’en ira pas de même pour un autre livre que lui propose Gabin à la fin de 1938. L’acteur a en effet acheté les droits de Martin Roumagnac, un roman de Pierre-René Wolf. Mais, loin d’être séduits, Carné et Jacques Prévert refusent de s’engager dans le projet. Gabin, qui tient à faire un autre film avec eux après la belle aventure de Quai des brumes, met alors Martin Roumagnac dans un tiroir, et le trio se lance dans le tournage du second chef-d’œuvre tourné par l’acteur sous la direction de Carné, Le Jour se lève. Quelques mois plus tard. Gabin propose au cinéaste d’adapter un petit joyau du roman noir intitulé Le Facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain, l’affaire tourne court. Lorsqu’ils se retrouvent au lendemain de la guerre, le comédien revient à la charge avec Martin Roumagnac, mais essuie un nouveau refus : les deux hommes se mettent alors d’accord sur le projet des Portes de la nuit. Mais, comme on le sait, Gabin jettera l’éponge, préférant finalement tourner Martin Roumagnac sous la direction de Georges Lacombe.



Les années Simenon
C’est donc un roman qui cause la brouille entre Gabin et Carné ; c’en est un autre qui permettra leur réconciliation, quatre ans plus tard. Alors que sa carrière peine à redémarrer, Gabin prend tout de même le risque d’acheter les droits d’un roman de Georges Simenon, auteur qu’il aime entre tous. Et, contre toute attente, c’est à Carné que l’acteur choisit de confier l’adaptation de La Marie du port. Avec ce film sorti en 1950, Gabin entame sa longue série « simenonienne » : il tournera en effet neuf autres films inspirés du romancier, dont La Vérité sur Bébé Donge (Henri Decoin), En cas de malheur (Henri-Georges Clouzot), et bien sûr, la trilogie des Maigret. S’il laisse le soin à ses producteurs d’acquérir les droits de ces romans, l’acteur se servira en 1971 de sa propre société, la Gafer, pour coproduire sa dixième et dernière adaptation de Simenon, Le Chat. Bien sûr, à tous ces romans que Gabin a passionnément souhaité porter à l’écran, il faut ajouter les projets qui n’ont jamais vu le jour. Comme La Terre, de Zola, ou le Voyage au bout de la nuit, de Céline, pour lesquels le comédien n’a jamais pu trouver de producteur… [Collection Gabin – Eric Quéméré – 2005]

JEAN GABIN
S’il est un acteur dont le nom est à jamais associé au cinéma de l’entre-deux-guerres, aux chefs-d’œuvre du réalisme poétique, c’est bien Jean Gabin. Après la guerre, il connait tout d’abord une période creuse en termes de succès, puis, à partir de 1954, il devient un « pacha » incarnant la plupart du temps des rôles de truands ou de policiers, toujours avec la même droiture jusqu’à la fin des années 1970.

SIMENON AU CINÉMA (période : 1932-1980)
Plus encore que Balzac, Dumas, Zola ou Maupassant, c’est Georges Simenon qui est l’écrivain le plus adapté par le cinéma français. Il est un peu pour les metteurs en scène l’équivalent de ce que le roman noir de Chandler ou d’Hammett fut pour ceux de l’Amérique : l’occasion d’un coup de projecteur sur telle ou telle couche de la société, par le biais de l’enquête policière, voire du simple fait divers.


LA BANDERA – Julien Duvivier (1935)
Après avoir tué un homme, Pierre Gilieth s’enfuit et passe en Espagne, où il s’engage dans la Légion étrangère… (…) Dans le cinéma français d’alors, la mode était aux films de légionnaires, et Le Grand Jeu, de Jacques Feyder, avec Pierre Richard-Willm (1934), était déjà un classique. Celui-ci aurait d’ailleurs dû tenir le rôle de Gilieth. Il revint à Gabin.

LE QUAI DES BRUMES – Marcel Carné (1938)
« T’as de beaux yeux, tu sais ! ». D’une simplicité presque banale, ces quelques mots suffisent pourtant à faire ressurgir tout un pan du cinéma français, et avec lui les figures qui l’ont bâti. À commencer par Jean Gabin, dont la célèbre phrase est devenue l’un des signes distinctifs. Les imitateurs du comédien l’ont d’ailleurs tellement galvaudée qu’en revoyant le film, on est presque surpris d’entendre Gabin la murmurer d’un ton si juste. Mais la réplique évoque évidemment aussi celle à qui s’adresse ce compliment, et dont le regard, dans la lumière irréelle du chef-opérateur Eugen Schufftan, brille de manière admirable.

LA VERITÉ SUR BÉBÉ DONGE – Henri Decoin (1952)
Si le public de 1952 boude la sortie de La Vérité sur Bébé Donge, le film ne sombre pas pour autant dans l’oubli, et les générations suivantes répareront cette injustice en le considérant comme l’un des titres les plus marquants de la période. Même les pourfendeurs de la fameuse « qualité française », tant décriée par François Truffaut et ses amis des Cahiers du cinéma, se sentiront tenus de faire une exception dans la filmographie d’Henri Decoin pour La Vérité sur Bébé Donge.

LA MARIE DU PORT – Marcel Carné (1950)
Des retrouvailles entre Marcel Carné et Jean Gabin naît un film qui impose l’acteur dans un nouvel emploi et marque sa renaissance au cinéma français. L’association avec Prévert est terminée – même si le poète, sans être crédité au générique, signe encore quelques dialogues de haute volée. Carné adapte un beau « roman dur » de Simenon, tourné in situ, entre Port-en-Bessin et Cherbourg…

EN CAS DE MALHEUR – Claude Autant-Lara (1958)
Réunissant les noms de Gabin, Bardot, Feuillère et Autant-Lara, cette adaptation d’un roman de Simenon avait tout d’un succès annoncé. Le résultat sera à la hauteur des espérances, et le film figure aujourd’hui parmi les classiques du cinéma français.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
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