Le Film Noir

LA MÔME VERT-DE-GRIS – Bernard Borderie (1953)

Après la Seconde Guerre mondiale, la maison d’édition Gallimard décide de lancer une nouvelle collection pour publier les romans policiers américains qu’il n’a pu sortir pendant la guerre. Les deux premiers titres sont La Môme vert-de-gris (1937) et Cet homme est dangereux (This man is dangerous, 1936) de Peter Cheyney, qui suivent Lemuel H. Caution dit « Lemmy », agent du FBI dur à cuire et séducteur, à la bouteille facile et au verbe acerbe. Ils remportent un succès immédiat et lancent alors la collection Série Noire, dont chaque nouveau titre est tiré à 30.000 exemplaires. «Pendant un temps, les lecteurs français ont été persuadés que Cheyney était un auteur américain,» écrira Étienne Borgers dans The Big Book of Noir (1998), alors qu’il s’agit d’un ancien policier britannique qui pastiche le style américain jusqu’à la caricature. 

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

« Le Lemmy Caution d’Eddie était un prototype prolétaire de James Bond, qui a fait son apparition dans le Casino Royale de lan Fleming l’année où La Môme vert-de-gris est sorti sur les écrans. » Tim Lucas dans Video Watchdog

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

La passion des Français pour la Série noire va de pair avec leur goût démesuré pour les films de gangsters sombres qu’ils ont découverts après la guerre. En 1946, le critique Nino Frank utilise l’expression film noir pour qualifier ces films, dont les Français ne tardent pas à donner leur interprétation, à commencer par André Hunebelle avec sa trilogie Mission à Tanger (1949), Méfiez-vous des blondes (1950) et Massacre en dentelles (1952). Sur les premiers scénarios de Michel Audiard, qui en écrira plus d’une centaine d’autres – dont de nombreux noirs – ces films projettent le spectateur des lieux exotiques ciblés pour le marché français (Tanger, Londres, Venise) et racontent le quotidien mouvementé du journaliste Georges Masse, incarné par Raymond Rouleau. Comme l’expliquent Raymond Borderie et Étienne Chaumeton dans leur « Panorama du film noir américain » (1955), «le héros du film est un journaliste d’investigation avec un sérieux penchant pour le whisky et les femmes. Il rappelle ces détectives décontractés dont William Powell fut un temps le prototype »

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

« Avec sa gueule de gangster démentie par la franchise de son sourire, son accent et sa gaucherie désinvolte, Eddie Constantine s’emboîte idéalement dans les fantasmes exotiques de la France à l’égard de l’Amérique. » Libération

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

Il était évident que le marché apprécierait de voir un authentique acteur américain camper un authentique héros américain. Le 24 novembre 1952, le réalisateur Bernard Borderie débute donc le tournage de La Môme vert-de-gris avec le chanteur d’origine américaine Eddie Constantine dans le rôle de Lemmy caution. L’épouse de Borderie a repéré Constantine dans l’indigeste mais pittoresque Egypt by Three (1953) de Victor Stololl. « Mon physique de gangster américain intéressait Borderie -, se souvient Constantine. Il a décidé d’emblée que j’étais doté du genre de personnalité qu’il recherchait. »

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

Une grande partie du tournage a lieu à Casablanca, à Tanger et sur d’autres sites marocains hautement photogéniques, ainsi qu’aux studios Photosonor, à Courbevoie, au nord-ouest de Paris. Le tournage s’achève le 14 février 1953 et le film sort le 27 mai. Le film s’ouvre sur un plan-séquence digne de Touch of Evil (La Soif du mal, 1958) d’Orson Welles. La caméra balaye les rues et ruelles de Casablanca, se faufile jusqu’à la boîte de nuit de Joe Madrigal, puis à travers la foule et dans les coulisses, où l’on entend une violente dispute qui se conclut par le premier des nombreux meurtres qui pimentent le film. Ce morceau de bravoure est l’œuvre du chef opérateur Jacques Lemare, qui a travaillé avec Jean Renoir sur La Règle du jeu (1939). Toutefois, le reste du film n’est pas à la hauteur de sa séquence inaugurale. [Film Noir 100 All-Time Favorites – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

« Est·il vrai que la cervelle d’un agent se concentre dans son revolver? »

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

Comme l’observe Tim Lucas dan Video Watchdog (n°163). « [dans] La Môme vert-de-gris, tout est annonciateur de Bond : le badinage qu’entretient Lemmy avec la secrétaire (très Moneypenny) de son chef au FBI, son appétit pour la bonne chère (les femmes et l’alcool en particulier), ses voyages incessants, son statut de légende parmi ses congénères, le bras de fer subtil avec un adversaire à sa mesure, jusqu’au plan final de son baiser avec l’actrice principale sur le champ de bataille où il a triomphé, tandis qu’ils attendent qu’un hélicoptère vienne les chercher».

Howard Vernon, Eddie Constantine
LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

La Môme vert-de-gris regorge de clichés liés au film noir, comme le soulignent Borderie et Chaumeton : « poursuites, bagarres, boites de nuit, décors inhabituels » et « clins d’œil au public » on nage dans le pulp… Le film est sauvé par la personnalité qu’Eddie Constantine insuffle à Lemmy Caution, incapable de voir passer une femme sans lui faire des avances, qui, lorsqu’on lui propose un verre, répond invariablement : « Mettez-m’en un double ». Tim Lucas le confirme : « Le charisme jovial imperturbable de Constantine donne une autre dimension au personnage de l’agent gouvernemental.»

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)

Le succès que Constantine remporte dans ce rôle est tel qu’il trace la voie à quarante ans de carrière, ponctués par 14 autres aventures de Lemmy Caution, dont deux sont des volets officieux réalisés par Jean-Luc Godard – le plus célèbre étant Alphaville (1965). S’ils connaissent un impact culturel énorme en France et en Allemagne, les films de Lemmy Caution restent néanmoins quasi inconnus en Amérique et au Royaume-Uni, où ils ne sortiront jamais en salles. [Film Noir 100 All-Time Favorites – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]

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LA MÔME VERT-DE-GRIS (Bernard Borderie, 1953)
L’histoire

Sur la route de l’hôpital, un jeune homme parle fébrilement d’un chargement d’or en provenance d’Amérique et prononce le nom du bateau qui doit le transporter avant d’expirer dans l’ambulance. Sa sœur, la chanteuse de music-hall Carlotta de La Rue (Dominique Wilms) est surnommée « Môme vert-de-gris » parce qu’elle tue tous ceux qui l’approchent de trop près. À Washington, l’agent du F.B.I. Lemmy Caution (Eddie Constantine) reçoit l’ordre de découvrir qui a laissé fuitée cette information confidentielle. Il s’embarque pour Casablanca sous l’identité d’un Texan, Perry Charles Rice. À son arrivée, son contact, Duncan (Georges Wilson), est tué avant qu’ils puissent se rencontrer. L’assistant de Carlotta, Willie Freen (Jean-Marie Robain), est aussi assassiné au club, pendant le numéro de la chanteuse. Lemmy n’a pas besoin du concours de son ivrogne d’ami journaliste. G.D.B. (Jean-Marc Tennberg) pour comprendre que l’affable et doucereux Rudy Saltierra (Howard Vernon) est le méchant et que Carlotta est sa poule. Lemmy flirte avec Carlotta dans sa chambre, prend un verre avec Saltierra dans un bar, essuie des coups d feu aux abords de Marrakech : trahi par G.D.B. sur un bateau, il est sauvé par Carlotta alors qu’il est menotté, s’enfuit, retrouve l’or volé, laisse le cerveau de l’affaire. Harley Chase (Jo Dest) se suicider, piège Saltierra à Médine et finit par embrasser Carlotta sur un toit.


VAGUE CRIMINELLE SUR LE CINÉMA FRANÇAIS
Doublement influencé par la vogue des films noirs américains et par les tragédies urbaines de Marcel Carné, le cinéma français va connaitre, au cours des années 50, un véritable déferlement criminel dans ses salles obscures…


Les extraits

LE CINÉMA FRANÇAIS DE L’APRÈS-GUERRE
Tout de suite après la guerre, le cinéma français sembla revenir à ses thèmes traditionnels. Mais de nouveaux auteurs et de nouveaux ferments laissaient déjà présager le changement décisif qui allait intervenir.




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