Le Film étranger

BRINGING UP BABY (L’Impossible Monsieur Bébé) – Howard Hawks (1938)

Pauvre malheureux paléontologue ! En quelques heures, David doit obtenir des fonds pour son musée, récupérer un os de brontosaure et épouser son assistante, une mijaurée insoutenable. L’arrivée de Susan et d’un léopard surnommé « Monsieur Bébé » va tout menacer. Première surprise : le léopard est doux comme un chaton, et c’est un minuscule fox-terrier, George, qui se révèle hargneux et retors. Et puis, selon son habitude, Hawks se plaît à inverser les rôles. Dès le début, c’est Katharine Hepburn, époustouflante, qui mène le jeu. Elle a décidé de conquérir ce grand nigaud de Cary Grant, et elle fonce à toute allure, sans se soucier des cata­strophes qu’elle déclenche autour d’elle… Howard Hawks mène cette course amoureuse tambour battant. Les répliques fusent, les scènes s’enchaînent sans aucun temps mort. L’arrivée du major Applegate, qui, à table, imite le cri du léopard, fait dériver cette brillante comédie hystérique vers un absurde hilarant. [Pierre Murat – Télérama (juillet 2020)]


Dans Bringing Up Baby, Katharine Hepburn est une jeune snob qui se retrouve en possession d’un léopard apprivoisé, et qui a décidé de séduire à tout prix un beau paléontologue (Cary Grant) obsédé par la reconstitution d’un squelette de brontosaure. Le film repose sur une succession frénétique de gags, et sur l’alchimie trépidante créée par les deux acteurs. Mais c’est bien le personnage de Katharine Hepburn qui est le moteur permanent de l’action, dès l’instant où elle rencontre Cary Grant sur un terrain de golf et lui conteste la propriété de sa balle, avant de prendre par erreur le volant de sa voiture et de l’abîmer dans un parking. Cette femme qui n’écoute qu’elle-même, qui est convaincue que Cary Grant l’aime et qui ne cessera de bouleverser le déroulement de son existence bien rangée d’universitaire, semble être une caricature de la véritable Katharine Hepburn … Tandis que Grant prend une douche dans la maison de sa tante, elle s’empresse de mettre ses vêtements au lavage pour l’obliger à circuler en peignoir de femme ! Elle est l’incarnation exaspérante mais brillantissime de la mauvaise foi. En un instant, elle passe de femme ouragan à gamine éplorée. Elle subit avec majesté des gags humiliants comme celui où sa robe de soirée est déchirée et où Cary Grant la poursuit avec son chapeau pour masquer ses fesses, puis traverse l’intégralité d’une salle de réception collé à ses basques. Pour atteindre un tel niveau de virtuosité comique, il lui a fallu faire évoluer son jeu en profondeur. Hawks expliquait qu’il lui avait donné comme coach Walter Catlett, un comique de théâtre chevronné qui joue le chef de la police dans la longue séquence où Katharine Hepburn et Cary Grant sont en garde à vue. Le réalisateur rallongea le rôle de Catlett pour lui permettre de dispenser plus longtemps ses discrets conseils à l’actrice !

Bringing Up Baby connaît un certain succès critique – sauf auprès du New York Times, qui assassine Katharine Hepburn – mais sera un échec commercial. Le film ne fait que 70 000 dollars de recettes pendant sa première semaine d’exploitation au Radio City Music Hall de New York, ce qui lui vaut d’être retiré de l’affiche au profit de Jezebel (L’Insoumise de William Wyler. Bringing Up Baby conduit la RKO à mettre un terme au contrat de Hawks et à confier la réalisation de Gunga Din (1939) à George Stevens. Aujourd’hui encore, l’humour de ce film laisse quelques spectateurs de marbre, mais dans les salles où il est rediffusé, c’est tout de même une déferlante d’hilarité qui l’emporte. Selon le classement de l’American Film Institute, Bringing Up Baby est la quatrième comédie la plus drôle des années 1930, après deux films des Marx Brothers et It Happened One Night (New York-Miami, Frank Capra, 1934). [Katharine Hepburn, celle qui faisait plier le destin -Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]


Avec ses lunettes et son air sérieux, David Huxley fait penser à Harold Lloyd et établit une directe filiation entre la grande période de la comédie américaine du cinéma muet et celle de cette fin des années 1930. Huxley est aussi comme les doctes savants de A Song is born (Si bémol et fa dièse) et de Monkey Business (Chérie, je me sans rajeunir), deux autres comédies d’Howard Hawks, un être vivant presque à l’écart de la vie réelle, enfermé dans un univers de recherches et d’expériences. On s’étonne presque que David Huxley, occupé à reconstituer le squelette du brontosaure, ait eu le temps d’envisager de se marier avec Alice. Celle-ci est d’ailleurs encore pire que lui puisqu’elle lui déclare : « Notre union sera consacrée à notre travail », lui faisant ainsi précisément comprendre qu’il n’est pas question d’être encombré d’enfants.

Tout va donc opposer le monde traditionnel d’Huxley à celui dans lequel va le précipiter Susan. Il va être obligé de courir après sa balle de golf, constater que sa voiture est maltraitée par Susan avant de glisser sur une olive et de se retrouver à terre, sa jaquette déchirée. Ses ennuis ne font que commencer puisque George, joué par Asta, le chien de The Thin Man (L’Introuvable) et de The Awful Truth (Cette sacrée vérité), s’emparera de la précieuse clavicule de brontosaure et que le malheureux professeur devra affronter deux léopards, l’un, Baby, adorant « I can’t give you anything but Love », l’autre étant au contraire un animal féroce.

La machine bien huilée des premiers plans se dérègle soudain et David apparaît en robe de chambre féminine à la vue de Mrs Carleton Random, rencontre le major Applegate, spécialiste des cris d’animaux et ravi d’imiter le léopard, Gogarty, le jardinier éméché de Mrs. Random, un irascible commissaire de police et finit en prison où Susan le fait passer pour un redoutable gangster. Tout ceci semble être – encore une des traditions de la comédie – un véritable cauchemar éveillé dont il serait l’impuissante victime.

Le tournage a, de son côté, été une joyeuse suite d’improvisations, Hawks réécrivant volontiers les scènes et dépassant de moitié le budget initial. Mme Olga Celeste, l’entraîneuse du léopard Nissa qui personnifie à la fois le doux Baby et le léopard vicieux, conseilla à Katharine Hepburn de mettre beaucoup de parfum – ce qu’aimait l’animal ! – et d’éviter de glisser en utilisant des chaussures aux semelles trop neuves afin de ne pas risquer de surprendre brusquement le félin. Une véritable amitié s’ensuivit entre Baby et l’interprète de Sylvia Scarlett. [La comédie américaine – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1998)]


L’histoire et les extraits

Le docteur David Huxley est paléontologue au Stuyvesant Museum of Natural History. Deux événements heureux doivent couronner ses activités. Il doit épouser son assistante, Alice Swallow, et il est sur le point de recevoir la clavicule de brontosaure dont il a besoin pour compléter le squelette auquel il travaille depuis de longues années. Afin d’obtenir le million de dollars dont le Museum a besoin, David va jouer au golf avec Alexander Peabody, l’homme de loi de la richissime Mrs. Carleton Random. Il fait la connaissance sur le parcours de Susan Vance qui lui prend sa balle de golf, abîme sa voiture et l’entraîne dans une folle suite de péripéties.

David et Susan se revoient au restaurant puis Susan qui a réceptionné un léopard inoffensif nommé Baby fait croire à David qu’elle est en danger, afin que celui-ci se précipite au secours d’une femme qu’il croit menacée… Dans la rue, David constate que Baby le suit. Il accepte finalement d’aider Susan a conduire chez sa tante Elizabelh l’encombrant Baby. Arrivé dans le Connecticut, David découvre que la tante de Susan n’est autre que Mrs. Carleton Random. Il supplie Susan de ne pas révéler à la vieille dame son nom véritable, de peur que la riche mécène ne refuse de donner le million de dollars, sa tenue et l’agitation dont il fait preuve ayant énervé Mrs. Random.

Susan fait alors passer David pour un chasseur de fauves alors même qu’arrive pour le dîner le major Applegate qui est en revanche un véritable chasseur. La situation est d’autant plus compliquée que George, le chien de tante d’Elizabeth, s’est emparé de la précieuse clavicule de brontosaure et l’a en terrée dans le parc de la propriété. Au même moment un léopard vicieux s’échappe du cirque voisin. Toute cette agitation finit par provoquer l’intervention de la police locale et tous, y compris Mrs. Carleton Random, se retrouvent en prison. L’intervention de Peabody provoque la remise en liberté des faux coupables mais Alice a désormais décidé de ne plus épouser David.

Peu de temps après, Susan rejoint David au Museum et lui apporte la clavicule de brontosaure qu’elle a retrouvée. Elle lui apprend également que le Museum bénéficiera du million de dollars que sa tante lui a donné. Mais Susan commence à perdre l’équilibre et en s’accrochant au squelette du brontosaure elle en provoque la chute, David réussissant in extremis à la rattraper.


HOWARD HAWKS 
Du début des années 1920 à la fin des années 1960, Howard Hawks a réalisé des comédies et des films d’aventures qui témoignent d’une vision singulièrement pessimiste de la condition humaine.  

KATHARINE HEPBURN
Katharine Hepburn a incarné, mieux qu’aucune autre star de Hollywood, le dynamisme, le courage et l’idéalisme. A travers des rôles très divers, elle a représenté, pour plusieurs générations de femmes, l’idéal de l’indépendance. Et elle le fit toujours avec fierté, conscience et rigueur.

CARY GRANT
Sous des dehors volontiers fantasques, mais toujours éminemment distingué, Cary Grant masquait une humanité dont quelques cinéastes particulièrement avisés surent tirer le meilleur parti. Son légendaire sourire et son extraordinaire aisance corporelle, qu’il tenait d’une solide pratique de l’acrobatie et du music-hall, l’avaient naturellement orienté vers la comédie, où il fut tout simplement éblouissant.


KATHARINE HEPBURN ET CARY GRANT: UNE GRANDE COMPLICITÉ

Hepburn et Grant, qui sortaient beaucoup en dehors du travail, elle avec Howard Hugues, lui avec Phyllis Brooks, étaient plein d’enthousiasme sur le plateau, débordant d’énergie et ravis de travailler ensemble. Hepburn : « Nous voulions que le film soit aussi bon que possible. Aucune difficulté ne nous arrêtait. Et nous arrivions tous les deux très tôt. Howard Hawks était toujours en retard, et Cary et moi avons mis une quantité de choses au point ensemble, des gags pour le film. »

Parmi les scènes imaginées par Grant figure celle, impayable, dans laquelle Hepburn déchire accidentellement le smoking de Grant dans un restaurant chic, après quoi il marche sur sa robe, en arrachant un pan qui révèle ses dessous. Pour la camoufler Grant couvre d’abord le postérieur d’Hepburn avec son chapeau haut de forme ; puis, quand elle sent un courant d’air et comprend ce qui s’est passé, ils marchent du même pas vers la sortie, se tenant pressés l’un contre l’autre. Une semblable mésaventure était survenue à l’acteur peu avant au Roxy Theatre de New York, où il était assis au premier rang de balcon avec le directeur du Metropolitan Opera et sa femme. À l’entracte, quand Grant se leva pour laisser passer celle-ci, il s’aperçut qu’il n’avait pas fermé sa braguette et commença à le faire, mais coinça la robe de la dame dans la fermeture Éclair. Ils durent se rendre alors, marchant du même pas, jusqu’au bureau du directeur pour trouver des tenailles et dégager la robe de la dame. Hawks adora cette histoire et sut parfaitement en rendre le comique embarrassant. Dans une autre scène, Hepburn cassa accidentellement le talon de sa chaussure. Immédiatement Grant lui chuchota la réplique : « Je suis née sur les pentes d’une colline », improvisation qu’elle continua à répéter en claudiquant.


SCARFACE – Howard Hawks (1932)
Mais tout cela n’était rien au regard d’un autre élément, beaucoup plus important, du scénario : la sexualité. Plus que la violence et le sadisme de bon nombre de séquences, les rapports scabreux entre Tony et sa sœur Cesca épouvantèrent les puritains censeurs du Hays Office. Ils leur était intolérable qu’on pût assimiler l’incestueuse passion des Camonte à celle des Borgia. Force fut donc de procéder à des aménagements, à des coupures et d’inclure des scènes hautement édifiantes. 

HIS GIRL FRIDAY (La Dame du vendredi) – Howard Hawks (1940)
His Girl Friday (La Dame du vendredi) est une adaptation d’une célèbre pièce de théâtre nommée Front Page, écrite par le tandem Hecht et Mac Arthur, amis personnels d’Howard Hawks. Hecht fut par ailleurs un scénariste très prisé à Hollywood, et a travaillé à maintes reprises avec le réalisateur de The Big Sky (La Captive aux yeux clairs).

TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944)
« Est-ce que tu crois qu’on pourrait créer un personnage féminin qui soit insolent, aussi insolent que Bogart, qui insulte les gens, qui le fasse en riant, et arriver à ce que le public aime ça ? » demanda Howard Hawks au scénariste Jules Furthman. Ainsi naquit le personnage de Marie Browning, la fille qui apprend à siffler à Bogart. Et ce n’est rien de dire que le public aima. Bogart, aussi, mais c’est une autre histoire.

THE BIG SLEEP (Le Grand sommeil) – Howard Hawks (1946)
Le vieux général Sternwood (Charles Waldron) charge le détective privé Marlowe (Humphrey Bogart) de résoudre une affaire de chantage dans laquelle est impliquée sa fille Carmen (Martha Vickers), une jeune femme aux mœurs très libres. L’enquête conduit le détective sur la piste d’un complot meurtrier dans lequel la jolie Vivian (Lauren Bacall), la seconde fille du général, semble jouer elle aussi un rôle obscur. En s’éprenant de cette dernière, Marlowe va devenir la cible de bandes rivales.  

MONKEY BUSINESS (Chérie, je me sens rajeunir) – Howard Hawks (1952)
Quinze ans après le triomphe de Bringing up Baby (L’Impossible Monsieur Bébé), Howard Hawks et Cary Grant renouent avec le ton résolument décalé de la « screwball comedy ». Mais le film fera également date pour avoir enfin révélé au grand public une certaine Marilyn Monroe.

GENTLEMEN PREFER BLONDES – Howard Hawks (1953)
Ce premier rôle de Marilyn dans une comédie musicale lui permit de révéler l’incroyable potentiel artistique qu’elle avait en elle: jouer, chanter, danser… Elle mit un tel cœur à démontrer ces qualités, et dépensa une telle énergie à les travailler que ce film est resté célèbre.



IT HAPPENED ONE NIGHT (New York-Miami) – Frank Capra (1934)
Pour Capra, It Happened one night (New York-Miami) fut le film de la consécration. Rien au départ ne laissa pourtant jamais présager que ce « film d’autocar » (sous-genre peu réputé, car MGM et Universal venaient d’en sortir chacune deux sans succès), interprété par un Clark Gable puni par son studio d’origine et une Claudette Colbert non motivée, allait se voir décerner les cinq Oscars les plus prestigieux et faire de son réalisateur une vedette de la mise en scène



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