La corruption dans Racket n’est pas une entité abstraite : elle est le produit de désirs, d’ambitions et de compromis qui agitent la ville entière : le film ne fait d’ailleurs aucune distinction moralisatrice entre le bien et le mal. Les personnages, même les pires, ne sont pas fondamentalement mauvais, sadiques, ou vraiment dangereux. Turck, par exemple, semble bien plus sensible et intelligent que McQuigg. Welch est également quelqu’un d’honnête même si son pragmatisme l’a emporté. Quand on lui demande pourquoi il s’est vendu au syndicat. il répond avec simplicité qu’on lui a promis un poste de juge. Scanlon est en fait le personnage le plus complet et le plus sympathique du film. Il est seul, aliéné, condamné par un milieu en pleine transformation et par son refus existentiel de perdre son identité en devenant un gangster « moderne « .



McQuigg est au moins aussi ambigu. Si Scanlon est un truand de la vieille école, McQuigg est un flic conservateur ; selon lui, sa fonction consiste non pas à permettre à la justice de rendre ses verdicts mais à maintenir l’ordre. Welch dit que pour McQuigg, l’honnêteté est une sorte de maladie, et le film le montre clairement. Son extrémisme est aussi destructeur et violent que la force brute de Scanlon. McQuigg n’est pas un gangster, ne travaille pas pour le syndicat mais est semblable aux truands parce que ses méthodes sont aussi illégales ; il déchire des ordonnance d’habeas corpus, piège des suspects et, finalement, provoque la mort de Scanlon. Son but n’est pas de réformer le système ; il cherche simplement à abattre Scanlon.



Howard Hughes a toujours été sensible au potentiel expressif de la pègre. Le premier Racket, tiré de la pièce de Bartlett Cormack, fut tourné en 1927 (la sortie eut lieu un an plus tard) ; Hughes venait à peine d’entrer dans le cinéma et ce fut sa seconde production. Le remake de The Racket fut le premier projet annoncé par la RKO qui venait de passer sous la direction de Howard Hughes, en 1948. Samuel Fuller commença d’abord à travailler sur le projet ; il voulait que l’action se passe dans la société d’après-guerre et non durant la prohibition. II remit un scénario qui n’avait que de très lointains rapports avec l’œuvre originale et il fut alors remplacé par l’écrivain William Haines et le réalisateur John Cromwell. Leur adaptation était beaucoup plus fidèle à la pièce ; elle se situait dans les années 1940 bien que tous les conflits narratifs renvoyassent visiblement au Chicago des années 1920.



En plein tournage, Howard Hughes engagea personnellement l’écrivain W.R. Burnett pour réécrire le film. Mais même avec l’expérience de Burnett (auteur des romans – ou scripts – dont sont tirés Little Caesar (Le Petit César), Scarface, High Sierra (La Grande évasion) et The Asphalt Jungle (Quand la ville dort), il fallut allonger le budget de plus de 500.000 dollars. Malgré le travail d’une demi-douzaine de bons comédiens, Racket n’est rien de plus qu’un film commercial de bon niveau. Les situations et les personnages sont, d’une certaine façon, dépassés et peu réalistes. Mais il est, politiquement, beaucoup plus complexe que The Asphalt Jungle auquel il ressemble beaucoup malgré un handicap : Racket n’étant pas pleinement enraciné dans une époque et un lieu précis, sa prétention à faire un tableau subtil des jeux d’équilibre entre les forces politiques et criminelles ne peut se réaliser dans toute sa plénitude. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]

L’histoire
Le capitaine de police McQuigg (Robert Mitchum) et le truand Nick Scanlon (Robert Ryan) s’affrontent dans une ville du Middlewest lors des derniers jours d’une campagne électorale. McQuigg, foncièrement honnête, ne peut supporter la corruption ambiante et focalise sa hargne sur Scanlon qui symbolise tout ce qu’il déteste, bien qu’il ne soit qu’un petit truand sans pouvoir. Ses supérieurs, l’inspecteur Turck (William Conrad) et le procureur de la ville sont contrôlés par le syndicat du crime et lui demandent de se tenir tranquille. Scanlon est lui aussi en conflit avec ses chefs qui voudraient le voir devenir une sorte de gangster, style « homme d’affaires », plus moderne et moins violent. Scanlon fait assassiner un de ses ennemis personnels. Ce meurtre cause sa perte car les membres du syndicat sont désormais d’accord pour laisser carte blanche à McQuigg. Les réformateurs sont battus aux élections et les rackets restent florissants. Scanlon est remplacé dans le gang par un homme beaucoup plus dangereux encore tandis que McQuigg reste un petit flic sans pouvoir. La conclusion étant que le véritable responsable de la criminalité est le gouverneur de l’Etat.


LE FILM NOIR
Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »… Lire la suite



LITTLE CAESAR (Le Petit César) – Mervyn LeRoy (1931)
« Et, R-I-C-O, le Petit César, c’est qui ! » braille Edward G. Robinson au téléphone. Hollywood comprend vite le message : alors âgé de 37 ans et loin des canons de beauté habituels de l’époque, Robinson n’en est pas moins une star de premier plan. Qui plus est, les cinéphiles plébiscitent les films de société sans complaisance sur la Grande Crise de 1929 : un genre qui fera le succès de la Warner Bros.

SCARFACE – Howard Hawks (1932)
Mais tout cela n’était rien au regard d’un autre élément, beaucoup plus important, du scénario : la sexualité. Plus que la violence et le sadisme de bon nombre de séquences, les rapports scabreux entre Tony et sa sœur Cesca épouvantèrent les puritains censeurs du Hays Office. Ils leur était intolérable qu’on pût assimiler l’incestueuse passion des Camonte à celle des Borgia. Force fut donc de procéder à des aménagements, à des coupures et d’inclure des scènes hautement édifiantes.

HIGH SIERRA (La Grande évasion) – Raoul Walsh (1941)
La renommée de Raoul Walsh est essentiellement basée sur ses films d’action et d’aventure. Mais They died with their boots On (La Charge fantastique), White heat (L’Enfer est à lui), The Roaring twenties, They Drive By Night (Une Femme dangereuse) et High sierra, présentent aussi des études intéressantes de personnages bien construits qui se battent soit à l’intérieur, soit à l’extérieur du système. Les protagonistes de Walsh sont des lutteurs, prêts à foncer pour vivre une vie libre dont ils maîtriseraient les règles.

THE ASPHALT JUNGLE (Quand la ville dort) – John Huston (1950)
Rendons hommage à ces messieurs, et en particulier à John Huston, pour leur magnifique travail ! Dès le tout premier plan, dans lequel la caméra suit un voyou en maraude qui se faufile entre les immeubles pour semer une voiture de police dans la grisaille humide de l’aube, ce film laisse entrevoir, sous des dehors aussi implacables et lisses que l’acier, la présence de tout un monde de personnalités déviantes et de criminels Invétères.
THE RACKET – Lewis Milestone (1928)
Bien que The Racket ne soit pas un véritable film de gangsters dans la mesure où il n’est tourné que partiellement de leur point de vue et que son héros soit, en fait, un policier. ce n’est pas non plus un thriller à l’ancienne où la police triomphe Sur le mal, Nick Scarsi est sans doute le premier gangster moderne. A l’opposé de Bull Weed dans Underwold (Les Nuits de Chicago) (qui ressemblait davantage à Raffles qu’à Capone), il est le prototype de Rico Bandello, dans Little Caesar ou celui de Tony Camonte dans Scarface. Fils d’immigrant, il s’habille de façon criarde et se méfie des femmes ; son personnage s’inspire de véritables personnalités du crime de l’époque. Il est traité comme un héros, avec ses faiblesses mais aussi avec ses qualités manifestes.


The Racket est autant une œuvre de genre qu’un film politique de révélations scandaleuses se déroulant dans un Chicago contemporain, alors que Little Caesar et Scarface dépeignaient une période antérieure où le monde du crime était moins complexe. The Racket met en cause des personnalités officielles : le maire de Chicago est non seulement accusé d’avoir vendu des « protections » pour gagner des voix mais aussi d’avoir fait tuer des gens ; pour la première, et peut-être la seule fois au cinéma, on y voit des agents fédéraux de la prohibition payés par les gangsters.


Une seule copie du film était connue. The Racket a longtemps été considéré comme perdu avant d’être localisé dans la collection de films d’Howard Hughes après sa mort. Il a été conservé par l’Academy Film Archive en 2016. il marqua un tournant puisqu’il modifia les films de gangsters qui allaient suivre et qu’il eut, par l’emploi d’un matériel nouveau, une influence sur le film noir en général.



- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
Catégories :Le Film Noir