La renommée de Raoul Walsh est essentiellement basée sur ses films d’action et d’aventure. Mais They died with their boots On (La Charge fantastique), White heat (L’Enfer est à lui), The Roaring twenties, They Drive By Night (Une Femme dangereuse) et High sierra, présentent aussi des études intéressantes de personnages bien construits qui se battent soit à l’intérieur, soit à l’extérieur du système. Les protagonistes de Walsh sont des lutteurs, prêts à foncer pour vivre une vie libre dont ils maîtriseraient les règles.

High Sierra est peut-être le film de Walsh où cette quête individuelle de la liberté est exprimée avec le plus de force, ce qui, par ailleurs, l’écarte du cycle noir. Le soleil brille généreusement, les personnages ne sont pas enfermés dans des pièces étroites et sombres mais se promènent dans des paysages vastes et verdoyants sous un ciel où brillent les étoiles et non les néons. La prodigalité de la nature renforce, par opposition, la vision sombre que Walsh donne de l’existence humaine. Perdu dans cette luxuriance, l’homme est misérable. Les superbes sommets de la Sierra se moquent de son insignifiance et sont comme des monuments élevés à la gloire de ses aspirations illusoires.

Le sentiment qu’a Walsh de la cruauté inexorable du destin, exposé avec un humour particulièrement caustique dans High Sierra, est aussi caractéristique de la sensibilité noire. L’abandon de Velma, une fois que Roy lui a changé la vie, la mort de Big Mac survenant au pire moment et le billet emporté par le vent où Roy disculpe Marie, lui enlevant toute responsabilité dans ses crimes, ressemblent à des farces cruelles du sort.

Mais les personnages de Walsh sont bien autre chose que des victimes pathétiques. Condamnés dès le départ (Roy, avec son visage qui semble marqué par la mort et Marie, avec ses allures d’ange déchu), ils se battent néanmoins ; à une Velma insensible, Roy en contemplant le ciel étoilé, fait remarquer que la terre lui semble être « une petite boule tournoyant dans la nuit avec nous qui sommes accrochés dessus ». Et en effet, Roy s’accroche, mais avec une noble ténacité. Sa dernière fuite le mène tout droit à un sommet montagneux, vers son dernier ciel étoilé, et finalement jusqu’à la mort. High Sierra a, en fait, une sorte d’enthousiasme inhabituel, presque mystique. Quand Roy est abattu, Marie, traumatisée, se tourne vers un policier et lui demande ce que voulait dire Roy avec son désir réitéré de « s’arracher ». Cela signifie être libre, répond l’autre et Marie murmurant plusieurs fois le mot « libre », lève son visage baigné de larmes vers le ciel. Dans le gros plan suivant, elle ne pleure plus et exprime cette fois une exaltation joyeuse. Roy est libre et bientôt, peut-être le rejoindra-t-elle. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]

High Sierra est resté célèbre pour avoir hissé Humphrey Bogart au rang de star. Acteur de cinéma depuis une dizaine d’années, Bogart est d’abord engagé par la Fox qui lui confie des petits rôles, puis entre en 1936 à la Warner Bros, où il est cantonné à des rôles subalternes. Le public le connaît grâce aux films de gangsters dans lesquels il joue des rôles de lampiste, c’est-à-dire de méchant sans scrupule qui tombe sous les balles du héros. Pour High Sierra, il n’est pas pressenti d’emblée pour jouer le premier rôle. Ce n’est que parce que George Raft, James Cagney et Edward G. Robinson, les grands « gangsters » des studios, refusent de jouer Roy Earle, que Bogart saisit sa chance et accepte le rôle.

Dans ce film signé Raoul Walsh, Bogart n’interprète pas seulement un personnage sympathique et complexe, il peut également donner enfin la mesure de son talent, de sa capacité à maîtriser la scène avec une économie de moyens, que ce soit par le biais de gestes et de regards laconiques ou par des répliques affûtées. Grâce à la mise en scène rectiligne de Walsh, mais aussi au jeu de Bogart tout en retenue, ce film mélodramatique ne tombe jamais dans le kitsch. L’acteur joue les durs avec sérénité, faisant apparaître ses adversaires comme des gangsters à la petite semaine. Bogart est en outre convaincant en personnage intègre qui se comporte tout aussi loyalement envers son chef qu’envers l’attachant petit chien qui, jusqu’ici, a toujours porté malheur à ses propriétaires. Et il est honnête avec Marie, interprétée par Ida Lupino, qui est le pendant féminin d’Earle. L’actrice restera d’ailleurs comme l’une des partenaires les plus dignes de donner la réplique au monstre sacré.

Derrière le masque de l’homme cynique, le gangster se révèle être un moraliste vieillissant. Bogart accepte ici un rôle qui va déterminer son image. Mais contrairement aux films qui suivront, son personnage paraît ici sympathique car victime des circonstances. On prétendra que le légendaire bandit John Dillinger aura servi de modèle et l’on sait qu’au début des années 1930, celui-ci jouissait d’une réputation de héros auprès des paysans américains pauvres. Parce qu’il explique le parcours criminel d’Earle par son expulsion de la ferme familiale lorsqu’il était enfant, le film de Walsh se rattache aux drames de gangsters socio-critiques des années 1930. High sierra clôt la phase classique du genre et anticipe avec son ambiance fataliste le pessimisme existentiel du film noir. On devine déjà qu’Earle va à la rencontre de son destin lorsqu’il traverse en voiture le désert sauvage des hauts plateaux californiens pour rencontrer ses partenaires. Walsh donne à ce voyage une longueur inhabituelle tandis que la musique et la caméra lui confèrent une atmosphère mystérieuse incertaine. C’est donc tout doucement qu’une dimension irrationnelle s’invite dans le film, lequel prend petit à petit des allures de récit romantique et atteint son apogée dans le pathos de la scène finale.

Ce n’est que durant leur fuite qu’Earle se rend compte de ses sentiments pour Marie. Mais le couple n’a plus d’avenir depuis bien longtemps. lorsque la situation s’aggrave, Earle abandonne sa bien-aimée et tente, en vain, de fuir dans les montagnes. Encerclé par la police, il se réfugie dans une faille de la falaise. Marie, qui a appris les événements par les journaux, accourt pour l’aider mais ne fait que précipiter sa fin : lorsque le petit chien, en lui échappant, se retrouve dans la ligne de mire des policiers, le gangster quitte sa cachette pour le sauver et tombe, criblé de balles. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]

L’histoire
Un criminel notoire, Roy Earle dit « Doc » (Humphrey Bogart), obtient sa grâce avec l’aide de Big Mac (Donald MacBride), un vieux truand qui projette, pour lui, un hold-up dans un hôtel californien. Sur la route, Roy rencontre les Goodhues, un vieux couple, accompagné de leur petite-fille Velma (Joan Leslie), envers qui Roy se sent immédiatement attiré malgré son pied bot. Roy arrive à destination, et se cache dans un chalet de montagne, comme prévu. Il y trouve Red (Arthur Kennedy) et Babe (Alan Curtis ), deux hommes de main qu’on lui a alloués, mais ils sont accompagnés d’une danseuse de cabaret, Marie (Ida Lupino). D’abord très opposé à sa présence, Roy finit par avoir confiance en elle. Marie tombe amoureuse de lui mais il ne pense qu’à Velma. Roy organise le holdup avec l’aide d’un complice, Mendoza (Cornel Wilde), qui travaille à l’hôtel, puis va rendre visite à Velma et lui offre de l’argent pour qu’elle puisse faire opérer son pied. Lors du hold-up, Roy et Marie s’enfuient, Babe et Red sont tués dans un accident de voiture. Mais Mendoza parle et la police se lance à la poursuite de Roy qui va chercher l’aide de Big Mac. Il le trouve mort. Roy va alors voir Velma qui est maintenant guérie, grâce à lui, de son infirmité, mais elle l’a oublié et aime un autre homme. Roy offre à Marie la bague qu’il destinait à Velma et tous deux s’enfuient ensemble. La police se rapproche. Roy fait monter Marie dans un car avant d’aller se cacher dans un col des Hautes Sierras mais il est pris au piège. Marie, apprenant que Roy est en mauvaise posture vient le retrouver et arrive juste au moment où il se fait abattre.


LE FILM NOIR
Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »… Lire la suite
Les extraits
Interrogé sur ce qu’il pensait de High Sierra dont il avait écrit le scénario, John Huston avouait : « Je l’aime beaucoup. Oui, beaucoup… Walsh avait vraiment… il avait « quelque chose »: un instinct formidable. Le livre de Burnett était remarquable. Il a écrit un grand nombre de livres excellents qui ont été massacrés à l’écran et que l’on devrait refaire : The Iron man, par exemple… On a dit que High Sierra était influencé par le film de Fritz Lang, You only live once (J’ai le droit de vivre), mais je pense que c’est une coïncidence. Je suis très fier de ce film, et c’est comme ça. que je l’aurais mis en scène. » C’est le producteur Mark Hellinger qui s’enthousiasma le premier pour le roman de W. R. Burnett, poussant Jack L. Warner et Hal B. Wallis à en acheter les droits alors que l’un et l’autre pensaient que l’époque des films de gangsters était révolue. HelIinger choisit, contre l’avis du studio, Ida Lupino et décide de confier la mise en scène à Raoul Walsh. Ce dernier offre le rôle de Roy Earle à George Raft qui refuse, bien que Walsh l’ait déjà dirigé dans Manpower et They drive by night. Raft ayant refusé, Paul Muni, également pressenti, décline à son tour la proposition. James Cagney et Edward G. Robinson aussi. Reste Bogart , qui accepte.

Mark Hellinger s’oppose à plusieurs reprises à Hal B. Wallis, jugeant que ce dernier ne le tient pas au courant des modifications envisagées. Jack L. Warner tente vainement de calmer Hellinger qui, furieux de la manière dont il est traité, quittera définitivement la Warner en mars 1941.

Dès les premiers plans, il est évident que Roy Earle n’est pas le tueur décrit par la presse mais un homme brisé par huit années de détention, usé et désormais anachronique. À peine sorti de prison, il n’a qu’un souhait, aller se promener dans le parc pour voir si « l’herbe y est toujours verte ». Comme Dix Handley, le héros de The Asphalt jungle, mis en scène par John Huston d’après un autre roman de W. R. Burnett, Roya la nostalgie de la ferme qui lui rappelle son passé.

Tous ses camarades sont – comme le rappelle son vieil ami Big Mac – « partis, morts ou à Alcatraz ». Big Mac lui-même ne survivra que peu de temps à sa rencontre avec Roy. Pour celui-ci, le casse qui lui est proposé est tout à la fois l’occasion de « rembourser » Big Mac de sa dette et de se prouver, ainsi qu’aux autres, qu’il n’est pas un homme fini, mais, comme autrefois, un vrai professionnel. Opposé à Babe Kozak et Red Hattery, symboles d’une jeune génération de malfrats inexpérimentés, nerveux et instables, Roy Earle – surnommé « Mad Dog » par la presse – représente au contraire la rigueur et la technicité de la génération précédente… Que Bogart ressemble ici, plus que jamais, à John Dillinger n’est certainement pas le fait du hasard. Traqué par la police, trahi par ceux qui lui devront leur futur bonheur – c’est le cas pour Velma, prompte à oublier tout ce que Roy a fait pour elle -, blessé par un ex-flic dont il se méfiait – « un flic demeure toujours un flic », disait-il -, il ne reste plus qu’une solution à Roy : fuir avec celle qu’il aime, Marie, et le petit chien, Pard, auquel ils se sont attachés…

La Warner produira deux remakes de High Sierra. Le premier, Colorado Territory (La Fille du désert) est réalisé par Raoul Walsh lui-même en 1949. Le scénario est attribué à John Twist et Edmund H. North, plus aucune référence n’étant faite au roman de Burnett. L’intrigue a d’ailleurs été transposée dans un cadre de western et l’interprétation réunit Joel McCrea, Virginia Mayo, Dorothy Malone, Henry Hull – qui joue donc dans les deux versions sans tenir pour autant le même rôle – John Archer, James Mitchell, Basil Ruysdael, Frank Puglia et lan Wolfe. Les noms des personnages ont tous été modifiés.

En 1955, c’est Stuart Heisler qui met en scène le second remake I Died a thousand times (La Peur au ventre). L’atmosphère est redevenue celle d’un film policier, cette fois-ci en Cinémascope et en couleurs, et les personnages ont retrouvé leur nom d’origine, W. R. Burnett étant crédité au générique comme auteur du scénario et du roman original. Les acteurs sont Jack Palance (Roy Earle), Shelley Winters (Marie), Lori Nelson (Velma), Lee Marvin (Babe), Lon Chaney Jr. (Big Mac), Earl HoIIiman (Red), Perry Lopez (Louis Mendoza), James Millican (Kranmer). [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]

I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
Roy Earle, auquel Jack Palance prête sa personnalité inquiétante, est un bandit qui sort de prison grâce aux bons offices de son chef de bande. En échange de ce service il doit piller un hôtel avec deux complices qui l’attendent dans les Montagnes Rocheuses. Une ancienne entraîneuse, hors la loi comme eux, complète l’équipe. C’est Shelley Winters qui reconstitue ici avec Jack Palance le couple de The Big Knife (Le Grand couteau). Mais ce dur a du cœur et veut sauver une infirme rencontrée par hasard sur la route et qu’il aime. Tout cela finira mal car le crime ne paie pas…

RAOUL WALSH
Hollywood n’est pas peu fier de ses trois borgnes. A l’instar de Fritz Lang et de John Ford, Raoul Walsh arbora le bandeau noir des pirates et, comme eux, se signala par un regard d’une rare acuité. « Maître des éléments, cinéaste de la foudre et des forces telluriques », c’est en ces termes que le cinéaste français Pierre Rissient rend hommage à Raoul Walsh dans Cinq et la peau (1982). On ne pouvait mieux définir, en effet, la personnalité et le style cinématographique d’un homme dont l’œuvre et la vie ont été portées par le goût de l’aventure et par une énergie sans équivalent à Hollywood.

IDA LUPINO
Découverte par Allan Dwan, Ida Lupino n’a pas seulement été l’interprète ardente et farouche de grands films policiers signés Raoul Walsh ou Fritz Lang. Elle s’est également révélée comme l’un des metteurs en scène les plus originaux de l’après-guerre.

HUMPHREY BOGART : INSOLENT ET ROMANTIQUE
Smoking blanc, œillet à la boutonnière et verre de whisky à la main, dans le cabaret de Casablanca (1942), il égrène des souvenirs douloureux : le film, un des plus populaires au monde, a fait de Humphrey Bogart l’incarnation du romanesque hollywoodien dans ce qu’il a de meilleur. Borsalino sur l’œil, trench-coat serré, Bogart se passe dubitativement le pouce sur la lèvre. Un genre (le film noir), une époque (les années 1940) pourraient se réduire à cette icône.

WHITE HEAT (L’Enfer est à lui) – Raoul Walsh (1949)
Cody Jarrett, le gangster de White Heat (L’Enfer est à lui) est un des personnages. les plus fous et les plus pathologiques du cycle noir. Mais grâce à la superbe interprétation de James Cagney et à la mise en scène de Walsh. sa violence perverse et son désir de gloire insensé deviennent tout à fait crédibles. Cody n’ est jamais caricatural. Comparé à lui.. le « vrai » héros du film, Fallon, semble presque trop normal et terne. Aux yeux du spectateur, il apparaît d’ailleurs plus comme un traître que comme un représentant de la loi, étant donné la perversité des méthodes psychologiques qu’il utilise pour gagner la confiance de Cody.
- LIFEBOAT – Alfred Hitchcock (1944)
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
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