Le Film français

L’ÉTRANGE MONSIEUR VICTOR – Jean Grémillon (1938)

Contrairement à Gueule d’amour, L’Etrange Monsieur Victor a été accouché aux forceps : depuis la signature du contrat en juillet 1936 jusqu’au premier tour de manivelle début décembre 1937, le film a eu le temps de changer de titre (il s’appelait d’abord Expiation), et le scénario a été remanié plusieurs fois par l’équipe Valentin-Spaak-Grémillon qui se retrouvera quelques années plus tard pour Le Ciel est à vous.   Les retards divers sont dus, semble-t-il, aux réticences de la U.F.A. vis-à-vis de Jean Grémillon après l’échec commercial de Pattes de mouche ; puis à la nécessité d’attendre que Raimu soit disponible. Le succès commercial de Gueule d’amour, réalisé entre temps, contribue à lever les dernières difficultés ; mais Grémillon devra accepter l’intervention de Marcel Achard sur les dialogues, que Raimu jugeait trop ternes… Le projet est assez lourd, d’une part à cause d’une affiche imposante : à côté de Raimu qui joue les monstres sacrés avec la maestria que l’on sait, on trouve Viviane Romance, Pierre Blanchar et Madeleine Renaud, sans parler des seconds rôles de talent que sont Andrex, Georges Flamant, Delmont, Blavette et Marcelle Géniat. D’autre part, beaucoup de scènes doivent se tourner en extérieurs naturels à Toulon, ce qui implique le transfert de toute l’équipe de Berlin au Midi de la France.  

Le film sort en mai 1938 à Paris, au moment où la situation politique se tend entre la France et l’Allemagne, et la nationalité de sa maison de production lui créera quelques difficultés. Pourtant la critique dans l’ensemble est très élogieuse, soulignant à la fois la complexité du personnage joué par Raimu et l’authenticité de l’atmosphère toulonnaise qui transcendent les aspects conventionnels du scénario. Seul « couac » dans ce concert, l’article venimeux d’Henri Jeanson, resté célèbre sans doute à cause de la personnalité de son auteur et de la violence extrême du ton, qui ressemble beaucoup à un plaidoyer pro domo… Les critiques que Raimu lui-même adresse à Raoul Ploquin à propos de L’Etrange Monsieur Victor, vont dans le même sens : il suggère « quelques coupures indispensables » pour que le film devienne « un triomphe » : la vanité maladive de l’acteur l’amène évidemment à demander des coupures dans les rôles des autres, mais, fait plus significatif, il s’agit toujours de moments sans dialogue : « Pourquoi, après mon départ, suite à la scène du journal (…), un gros plan de Renaud où, sans méchanceté aucune, elle regarde passer les trains ? (…) Pourquoi ce temps long et inutile de Blanchar sur la montagne du Faron ? » On ne s’étonnera pas de cette alliance  objective entre un scénariste-dialoguiste et un acteur vedette du théâtre de boulevard, pour tenter d’imposer aux cinéastes le règne sans partage de professionnels de la parole. Ploquin sut résister aux exigences de Raimu, mais la carrière relativement médiocre du film amène la dispersion des copies et la destruction du négatif. Et Raoul Ploquin (toujours lui !) mit plus de vingt ans à reconstituer la version initiale du film, avec l’aide de diverses cinémathèques.  

Le scénario de L’Etrange Monsieur Victor tourne autour d’une  situation forte : un commerçant apparemment respectable, propriétaire d’un gros bazar sur les quais de Toulon, marié et tout juste père de famille, se révèle bientôt comme le chef et recéleur d’une bande de voleurs qui écument les châteaux de la région. A la suite d’une tentative de chantage, il tue l’un de ses complices, et par une suite de coïncidences malheureuses, un petit cordonnier est condamné à sa place à dix ans de bagne à Cayenne. « Sept ans plus tard », nous retrouvons M. Victor en famille tandis que Bastien, le forçat, s’est évadé et revient à Toulon pour revoir son fils. M. Victor le cache dans son appartement, espérant ainsi s’acquitter de sa dette ; mais un tendre sentiment naît bientôt entre Bastien et Madeleine, la femme de Victor, pendant qu’un ancien complice du recéleur, apprenant qu’il cache le forçat, le dénonce à la police. Le commissaire, stupéfait, vient arrêter son ancien ami, et Bastien, indigné de découvrir dans celui qu’il croyait son bienfaiteur, le responsable de tous ses malheurs, promet à Madeleine de venir bientôt la retrouver.  

Grâce à l’ambiguïté morale de M. Victor, le thème de la double identité (un des poncifs du mélodrame théâtral et romanesque au XIXe siècle) échappe aux conventions de ce motif, très fréquent dans le cinéma français des années 1930, car il permet toutes les performances d’acteur en même temps que des péripéties fondées sur les quiproquos, les méprises, etc. Ce schéma est le plus souvent exploité pour exprimer un désir d’élévation sociale : Françoise Rosay, dans Jenny de Marcel Carné (1935) se construit une identité de bourgeoise pour que sa fille, élevée à l’étranger, ignore qu’elle est tenancière d’un « lieu de plaisir ». Danielle Darrieux, dans Abus de confiance de Henri Decoin (1937), se fait passer pour la fille naturelle d’un professeur célèbre, pour échapper à la misère de sa condition d’orpheline et poursuivre ses études. Michèle Morgan, dans L’Entraîneuse du même Albert Valentin (1938), tente un moment pour l’amour d’un fils de famille, d’oublier qu’elle n’est qu’une entraîneuse de cabaret. Seule l’héroïne d’Abus de confiance, au terme d’une série d’épreuves, verra son désir exaucé.  

Le schéma utilisé dans L’Etrange Monsieur Victor paraît plus rare ; l’identité donnée comme première dans le récit (et dans l’histoire, puisqu’on apprend que le héros tient le bazar de son père) est tout à fait honorable socialement, mais elle en cache une autre, beaucoup moins recommandable, dont le récit va amener le dévoilement public. Nous n’avons retrouvé un schéma similaire que dans Les Disparus de Saint-Agil de Chistian-Jaque (1938) : on y découvre que le directeur (Aimé Clariond) et l’un des professeurs (Michel Simon) du collège font partie d’une bande de faux -monnayeurs. Le traitement de ce schéma dans L’Etrange Monsieur Victor, tire son originalité de l’absence apparente de justification de cette double identité : on nous présente en effet un commerçant épanoui dont les affaires semblent prospérer, jouissant de l’estime générale, et nous découvrons dans un deuxième temps son activité de recéleur, dont il se plaint d’ailleurs auprès de ses complices qu’elle lui rapporte peu parce qu’il est obligé d’entreposer longtemps les objets avant de pouvoir les revendre. Pourquoi et comment ce bourgeois ayant pignon sur rue (cf. l’appartement sur la grand-place et le magasin sur les quais), en est-il venu à de telles extrémités ? Mystère ! En l’absence de toute explication d’ordre socio- ou psychologique, on peut faire l’hypothèse que la double identité renvoie ici à un clivage intérieur sur lequel le personnage se construit : la mobilité, soulignée par la caméra, de M. Victor dans la première et la troisième partie du film, correspond aux moments où il prend des risques. Dans la partie centrale du récit, quand il s’est mis à l’abri grâce à la condamnation de Bastien, il donne l’impression d’être paralysé (la longue scène en famille devant le balcon est la seule où il est filmé immobile et en plans fixes.  

Le thème de la double identité est donc vidée de ses aspects anecdotiques et devient la métaphore d’une personnalité clivée ; les aspirations contradictoires de Monsieur Victor sont le moteur du récit. Nous ne saurons jamais comment ni pourquoi M. Victor est devenu recéleur ; mais cette face cachée du généreux commerçant, dont on n’entend plus parler après le premier épisode, est présente pendant tout le film sous une forme métaphorique puisque l’intrigue repose sur le recel d’un secret (le meurtre d’Amédée) et se dénoue grâce au recel d’un forçat évadé. La dernière partie du film se passe presqu’entièrement dans l’appartement de M. Victor, où sont « recélés »  Bastien et Madeleine, derrière les barreaux que dessine l’ombre des persiennes ; seul M. Victor sort de cette prison, pour rapporter nouvelles et provisions. Il se comporte comme le gardien d’un trésor, qu’il perd en voulant le protéger à tout prix, comme dans les contes de fées ou les comédies de Molière. La double identité correspond donc ici à une activité officielle basée sur l’échange (le commerce , et une activité cachée de receleur ; cela renvoie chez Grémillon à une contra contradiction centrale du comportement humain, constamment tiraillé entre le don et la possession.

Le rapport du personnage au décor illustre bien cette contradiction : le bazar de Monsieur Victor a deux entrées, l’une bien en vue sur le quai que nous lui voyons emprunter le jour ; l’autre petite et donnant sur une rue déserte, uniquement utilisée la nuit. L’intérieur du magasin lui-même est comme un tiroir à double fond ; nous en voyons d’abord la partie officielle où il reçoit aimablement les clients, puis M. Victor nous emmène avec ses complices dans la partie cachée, à laquelle on accède par l’arrière-boutique. A cette séparation à l’intérieur de la boutique s’ajoute l’écart entre le magasin et le domicile, c’est-à-dire entre la personnalité sociale et la personnalité privée : dans la première partie, M. Victor est constamment tiraillé entre les deux : sa femme est en train d’accoucher et il court de sa boutique à son appartement, pour ne pas rater ce grand moment ; mais surtout son comportement change complètement d’un lieu à l’autre : commerçant plein d’assurance et de bagout dans son magasin, il devient un fils soumis et un mari timide chez lui ; à quoi s’ajoute, dans l’arrière-boutique, l’attitude tyrannique et menaçante du chef de bande.   Cette triple identité correspond autant à des aspirations psychologiques contradictoires qu’à des rôles sociaux différents qui s’organisent d’abord sur le mode de la séparation, pour tenter de se combiner dans un deuxième temps (dans le lieu symboliquement unique de l’appartement) jusqu’à ce que la société (en la personne du commissaire) mette fin à cette confusion des genres.  

La sympathie dont la mise en scène entoure le personnage jusqu’à sa dernière réplique s’explique par le registre profondément symbolique dans lequel il fonctionne : au-delà de l’anecdote, cette histoire parle à chaque spectateur de lui-même, en dehors de tout souci moralisateur. L’ambiguïté fondamentale du personnage principal est admirablement rendue par le jeu de Raimu, tour à tour plein de chaleur et de bonhommie, terrifiant de machiavélisme, ou complètement désarmé, jeu dont la subtilité a été à juste titre soulignée par les critiques de l’époque. M. Victor, comme chacun de nous, se débat maladroitement pour tenter de concilier ses désirs et la réalité. Mais le récit insiste plus sur l’expression des pulsions que sur leur refoulement : le meurtre d’Amédée est montré de façon très elliptique et la longue période où Victor tente de vivre dans un refoulement complet est expédié par un carton (« Sept ans plus tard »). La sympathie du spectateur va donc à un personnage qui tente de trouver son bonheur en laissant parler ses pulsions. On comprend mieux pourquoi l’activité illégale de M. Victor se passe de justifications : elle renvoie à la part obscure qui existe en chacun de nous.  

Le récit s’ouvre sur l’arrivée d’une cliente, madame Marie (Millie Mathis), devant l’échoppe de Bastien à qui elle confie une chaussure à réparer « au plus juste prix », puis nous assistons à un échange aigre-doux entre le cordonnier et sa femme (Viviane Romance), à propos d’argent. Après ces rapports marqués par la rétention, les échanges qui ont lieu dans la boutique de Victor à la séquence suivante, frappent au contraire par leur prodigalité : M. Victor vend à Mme Marie un « cadre pour son défunt » avec une maestria étonnante ; et un peu plus loin, on retrouve Adrienne, la femme de Bastien, en train de s’acheter une paire d’espadrilles, avec le billet de mille francs que nous l’avons vue obtenir non sans peine de son mari. Dans ces deux cas, M. Victor est le bénéficiaire d’achats qui relèvent du superflu. Le même Victor attend la naissance imminente de son premier enfant, cadeau dont il ira ensuite remercier sa femme (Madeleine Renaud) ; pour célébrer cet heureux évènement, il fait un peu plus tard un cadeau au fils de Bastien, en échange de quoi il empoche le poinçon de cordonnier avec lequel jouait l’enfant… Cet épisode diurne se termine sur la visite des trois acolytes qui apportent à Victor le recéleur des objets volés, en échange de quoi il leur donne un acompte de dix mille francs.  

La logique narrative de cet épisode s’appuie donc sur un circuit  d’échanges dont Victor est le centre et Bastien à peu près exclu : nous le voyons interrompre brutalement l’échange d’amabilités entre sa femme et Amédée (Georges Flamant) dans la rue. Dans l’épisode suivant (nocturne), sa femme lui reproche avec véhémence son refus de parler, et son refus de consommer le repas qu’elle lui a préparé ; il lui répond en lançant violemment l’assiette pleine dans l’évier, avant de sortir. Ce personnage tout en rétention doit se saouler pour pouvoir « sortir » ce qu’il a sur le cœur.  Mais cette série d’oppositions entre Bastien et Victor prend tout son sens par rapport à l’argument principal de l’histoire, qui confronte un délinquant-criminel qui échappe à la justice et un honnête-homme qui paye à sa place. On s’aperçoit que cette dernière opposition est inversée par rapport aux autres : Bastien semble avoir été construit thématiquement comme le double négatif de Victor, mais du point de vue de la morale sociale, le riche commerçant est doublement coupable (de recel d’objets volés puis de meurtre), alors que l’innocence de Bastien au contraire est fortement soulignée (sa seule réponse aux humiliations qu’il subit est de se saouler : réponse de faible). Le résultat de ces configurations non concordantes sur l’échelle des valeurs morales et sociales est de brouiller les capacités de jugement du spectateur. Les traits définitoires du personnage joué par Raimu tendent à provoquer la sympathie et l’attirance du spectateur, alors que ceux de Bastien suscitent plutôt une répulsion apitoyée. Mais ce rapport est bouleversé aussitôt qu’instauré par la découverte de la double vie du riche commerçant.  

Le couple binaire des deux hommes est dédoublé par le couple que chacun forme avec sa propre femme et par l’opposition entre Viviane Rance et Madeleine Renaud. Nous voyons la première dans un rôle assez antipathique de belle garce, occupée à dépenser l’argent que son cordonnier de mari a visiblement du mal a gagner, se laissant courtiser par les jeunes voyous de la bande de Victor, se soucant davantage de son élégance que de son enfant. Au contraire, la femme de Victor (Madeleine Renaud) nous apparaît étendue sur son lit de douleur (elle vient d’accoucher), épuisée mais heureuse, dans une immobilité souriante et sereine ; ce personnage de jeune mère comblée est lui-même doublé par une autre figure, Marcelle Géniat, qui incarne la mère de Victor ; le dialogue met en écho les deux expériences de maternité, en insistant sur leur abnégation heureuse, face à l’égoïsme inconscient des enfants et des hommes. D’un côté donc une double figure de mère modèle, de l’autre une coquette : on retrouve les deux faces du vieux stéréotype misogyne, surexploité par le cinéma ! Mais par ailleurs, les valeurs liées à la mobilité sont utilisées à propos des femmes dans un sens inverse de celui où elles l’étaient à propos des hommes : dans ce premier épisode, Adrienne (Viviane Romance) nous est montrée en mouvement, mais avec des connotations négatives (elle « court le guilledou ») ; au contraire, Madeleine (Madeleine Renaud) est immobile, dans l’accomplissement heureux de sa maternité. De là à en conclure que, pour qu’un ménage soit équilibré, les femmes doivent rester à la maison pendant que les hommes sortent pour gagner l’argent du ménage, il n’y a qu’un pas, que l’on pourrait franchir allègrement, si la suite du film ne venait troubler ce bel équilibre tout à fait en accord avec l’idéologie dominante à l’époque.  

Victor cesse d’être le moteur du récit ; de ce fait le meurtre d’Amédée est perçu comme une faiblesse ; pour la première fois, Victor ne semble pas maîtriser ses actes. Au contraire l’errance de Bastien dans les rues du port, ses paroles iconoclastes contre les femmes et l’amour, éclatent comme le premier acte d’une libération intérieure, dont nous verrons les effets dans la deuxième partie. la mobilité est maintenant de son côté : nous le suivons par de longs travellings latéraux dans les rues, au moment même où Victor (et la caméra) s’arrête pour tuer Amédée : le meurtre est filmé en plans fixes de plus en plus rapprochés, cadrant les deux hommes en champ-contre-champ, avec deux inserts de la main de Victor qui prend le poinçon dans sa poche et en frappe Amédée (hors-champ ), la fixité et le morcellement de la représentation du meurtre s’opposent à la fluidité des travellings latéraux sur Bastien, mais aussi de ceux qui accompagnaient Victor jusqu’à ce geste fatal. Les deux hommes sont confrontés à un conflit : Victor dans son « travail » (Amédée n’accepte plus sa tutelle et menace de le dénoncer à sa femme, s’il ne l’aide pas à s’installer à son compte), Bastien dans son couple (sa femme Adrienne ne supporte plus leur pauvreté et son caractère taciturne) ; apparemment Victor résout le conflit en en supprimant la cause, alors que Bastien fuit. Mais, en fait, Victor en commettant un meurtre, s’est condamné lui-même à l’immobilité du coupable qui craint toujours de se trahir, alors que Bastien, ayant été condamné à la place de Victor, part pour Cayenne. Le montage met en parallèle la séquence du bagne où Bastien apprend que sa femme a divorcé et décide de s’évader, et celle où Victor, immobile devant son balcon apprend l’évasion de Bastien et se dispute avec sa femme, comme si le sort des deux couples était lié.  

Le film est construit sur deux récits séparés par une forte ellipse temporelle (« sept ans plus tard »), le deuxième étant deux fois plus long que le premier. Beaucoup d’indices donnent l’impression que le deuxième récit est à la fois une réitération, une variation et un développement du premier. Les deux récits s’ouvrent par des vues documentaires de Toulon et sa région, avec une inscription qui précise le cadre spatial ou temporel. Puis on entre dans la fiction en ménageant les transitions entre les vues documentaires et les décors de studio. Mais la première partie se passe essentiellement dans les locaux professionnels des deux hommes, leur vie privée restant relativement en retrait ; dans la deuxième partie au contraire, l’intérêt s’est déplacé vers la vie privée et le décor dominant est l’appartement de Victor. L’histoire recommence à zéro, à cette nuance près que les personnages n’apparaissent ni dans le même ordre, ni dans la même situation: la première partie commence par présenter Bastien mais privilégie Victor, présent dans 9 séquences sur 20, alors que Bastien n’apparaît que dans 6 séquences ; la deuxième partie commence par présenter Victor pour finalement accorder l’avantage à Bastien : il occupe 11 séquences sur 20, et Victor 9 seulement. Il faut sans doute moduler cette comptabilité en prenant en considération la durée des interventions de chacun des deux personnages : on constate que Victor est présent dans le récit pendant un peu plus d’une heure, alors que Bastien n’apparaît que pendant un peu moins de 40 minutes. Le rôle titre est donc effectivement le plus important, mais Pierre Blanchar est bien près de voler la vedette à Raimu dans le dernier épisode.

Raimu représente dans le cinéma français des années 1930 un type de séduction issue du théâtre de boulevard, celle des personnalités truculentes et fortes en gueule. Raimu excelle autant dans le comique que dans le dramatique, passant avec la même facilité du registre d’Harry Baur à celui de Fernandel. Les chefs-d’œuvre qu’il a tournés avec Pagnol ne doivent nous faire oublier ni le comique troupier des Gaîtés de l’escadron (Maurice Tourneur, 1932), ni le registre dramatique des Inconnus dans la maison (Henri Decoin, 1942). Grémillon lui donne un rôle de séducteur au sens où il doit faire oublier au public la noirceur de son personnage par la bonhommie de son apparence, et Raimu ne donne jamais l’impression de « jouer » la bonhommie : il est aussi convaincant en père de famille jovial qu’en chef de bande impitoyable.   Blanchar souffre un peu de la comparaison avec Raimu, sa carrière d’acteur étant marquée par une certaine uniformité : des Croix de bois (Raymond Bernard, 1931) au célèbre Pontcarral (Jean Delannoy, 1942), sans oublier son jeu halluciné dans Crime et châtiment (Pierre Chenal, 1935) ou dans Carnet de bal (Julien Duvivier, 1937), il ne s’est illustré que dans le registre dramatique, et on lui a souvent reproché une certaine raideur emphatique et une tendance à la grandiloquence…  

Si la première partie de L’Etrange Monsieur Victor confronte la rondeur séduisante de Raimu avec la sécheresse revêche de Blanchar, la deuxième partie du récit modifie quelque peu ces prémices : à partir du moment où Victor installe Bastien chez lui et que Madeleine (Renaud) entre en jeu, Bastien perd de sa raideur sous l’influence de la gentillesse conjuguée de ses hôtes, et le pittoresque de Raimu passe un peu au second plan au profit du jeu plus discrètement émouvant de Madeleine Renaud qui irradie en quelque sorte sur llanchar.  Dans la scène finale qui réunit presque tous les protagonistes, Raimu-Victor reprend la vedette pour faire un numéro éblouissant où il est tour à tour coléreux, menaçant, cynique, jovial, truculent, avant de « passer à l’acte » en tentant d’étrangler son ancien complice (Andrex), mais cette scène le fait brutalement tomber de son piédestal : pour la première fois, nous le voyons se conduire de sang-froid comme un « salaud » puisqu’il laisse le commissaire emmener Bastien qui s’est livré pour lui éviter des ennuis. Robert (Andrex) qui nous a été présenté depuis le début comme une fripouille de petite envergure, se révèle finalement avoir plus de sens moral que Victor : malgré ce qu’il risque lui-même pour complicité, il rappelle le commissaire en désignant le vrai coupable du meurtre d’Amédée ; c’est finalement grâce à lui que Bastien est innocenté.  

A travers les péripéties de l’intrigue, et les choix de la narration, la domination sans partage de l’acteur Raimu est mise en cause, au profit de Blanchar et Renaud qui représentent dans ce film un style de jeu moins brillant et moins pittoresque, et des personnages au destin plus terne : autant dire qu’ils sont plus proches de la réalité du spectateur que des acteurs comme Raimu ou Viviane Romance. On peut donc dire que dans une certaine mesure le récit est construit sur la substitution progressive de personnages familiers à des personnages fascinants, ce qui explique la dimension légèrement déceptive de la fin : Il est toujours difficile d renoncer à des images flatteuses même si elles ne sont pas acceptables du point de vue moral.  

On peut observer le même type de travail sur les rôles féminins : Adrienne (Viviane Romance) apparaît dans quatre séquences dans la première partie, alors qu’on ne voit Madeleine (Madeleine Renaud) qu’une seule fois et assez brièvement ; elle est d’ailleurs en partie remplacée par son substitut, la mère de Victor (Marcelle Géniat) qui apparaît dans deux séquences. Mais dans la deuxième partie, la présence de Madeleine devient dominante (8 séquences) alors qu’Adrienne n’est plus que dans 4 séquences, dont 3 sont assez brèves.  Or ces deux actrices ne renvoient pas du tout à la même image de femme : l’une est spécialisée dans les rôles de « belle garce », ou de prostituée au grand cœur et les films qui l’ont rendue célèbre s’appellent La Belle équipe (Duvivier, 1936), Naples au baiser de feu (Genina, 1937) et Le Puritain (Musso, 1937). Sa sensualité un peu vulgaire l’oppose radicalement à Madeleine Renaud, qui deviendra l’actrice favorite de Grémillon. Mais dans L’Etrange Monsieur Victor, la photogénie indiscutable de Viviane Romance est utilisée de façon distanciée. Le film nous la montre d’abord très consciente des avantages qu’elle peut tirer de sa beauté : elle accable de reproches son cordonnier de mari : « Je suis pas couturière, moi ! Je suis pas cuisinière non plus ! Quand on veut s’offrir une femme comme moi, on a des devoirs ! Parfaitement, on se débrouille ! »  

Mais cet « idéal » de femme entretenue se retourne finalement contre elle puisqu’elle se retrouve avec Robert (Andrex), un comparse de la bande de Victor, à qui elle exprime ouvertement son mépris, le jour même de leur mariage. Dans cette scène, elle n’a jamais été plus belle, et comme par dérision, l’explication orageuse entre les deux « jeunes mariés » se fait au cours d’un long travelling qui met en valeur la beauté d’un décor naturel de calanques avec le vent et le grand soleil. Donc, à travers le personnage que joue Viviane Romance, Grémillon suggère le caractère aliénant d’un certain type de beauté, celui-là même que le cinéma privilégie.  

En revanche, le personnage joué par Madeleine Renaud, qu’on aperçoit à peine dans la première partie, dans un rôle parfaitement conventionnel de jeune mère comblée, vient au premier plan dans la deuxième partie en position de juge, se faisant l’interprète à l’intérieur de la fiction des réactions morales du spectateur. Cette tonalité est donnée dès la scène familiale devant le balcon : dans un moment d’abandon heureux, Victor prend la main de sa femme et s’exclame : « Je suis heureux ! Je devrais pas dire ça, moi moins que les autres, mais enfin, je suis heureux ! » Elle l’interroge innocemment : « Pourquoi toi moins que les autres ? »  Et pris au piège, il répond en se rembrunissant d’un ton sec : « Pour rien ! » On pourrait dire que c’est par elle que Victor reçoit sa punition ; elle est une figure de justice immanente.  

En effet un peu plus loin dans la même scène, On assiste à une explication entre les deux époux, sur un ton qui contraste avec la scène de ménage de la première partie, entre Adrienne et son mari. Cette fois-ci pas de cris, pas de gestes violents, aucune « mise en scène ». Par comparaison, la scène entre Madeleine et Victor frappe par la discrétion des effets, qui amène le spectateur à la  prendre pour du « vécu ». Elle démarre sur une réplique de Victor a sa femme qui lui demande la cause de sa mauvaise humeur : « Je te prie de me foutre la paix ! » La grossièreté de la réponse contrastant avec la douceur de la question met d’emblée Victor en position d’agresseur vis-à-vis de sa femme ; à quoi s’ajoute un découpage qui isole Victor à contre-jour et cadre Madeleine baignée par un rayon de soleil, avec son fils endormi dans ses bras, vivante image de maternité. Mais si le ton de Madeleine est doux, le contenu de ses paroles est reçu par Victor comme une véritable condamnation : l’air grave, la tête baissée, il est l’image même du coupable ployant sous le poids d’une sentence méritée, la perte de l’amour de sa femme. Madeleine est la seule devant qui Victor cesse de porter le masque : devant les reproches de sa femme, ce bavard reste sans voix. La scène se termine par un travelling avant sur le visage de Victor, qui s’assombrit symboliquement jusqu’au noir.  

A partir de ce moment-là, Madeleine est pour le spectateur la référence de tous ses jugements sur les personnages, puisqu’elle a su prendre la vraie mesure de Victor par pure intuition, alors que tous les autres sont encore dupes (et en particulier le commissaire, c’est-à-dire la figure officielle de la loi). Bastien, le forçat évadé qui arrive chez Victor dans un vieil imperméable trempé et crotté, hirsute et mal rasé, va se métamorphoser peu à peu en un homme élégant et svelte que l’on nous fait apprécier à travers le regard d’abord amusé puis troublé de Madeleine. Mais leur relation est dès le début marqué par une tonalité discrète, feutrée, secrète. Victor donne le ton en allant fermer les persiennes pour empêcher les voisins de deviner la présence de Bastien, et leur ombre rayée marquera désormais les allées et venues de Madeleine et Bastien dans l’appartement. Les scènes d’intimité ont lieu dans la cuisine où ils sont occupés à une besogne triviale (en tout cas au cinéma !), la vaisselle, ou dans la salle à manger où ils s’avouent leur amour pendant que Madeleine repasse le linge. Cette relation amoureuse à laquelle le spectateur est invité à croire, est donc présentée dans un cadre dénué de tout romantisme ; Madeleine elle-même contribue à cette démythification en repoussant ironiquement les timides avances de Bastien : « On s’engage pas à la Légion pour des femmes comme moi ! Les femmes comme moi, on les épouse, elles vous tiennent votre maison, elles vous font votre vaisselle, tenez ! Quelquefois, ben, elles vous rendent heureux ! »   Cette définition désabusée qu’elle donne d’elle-même est terme à terme antinomique avec celle qu’Adrienne jetait à la figure de son mari dans la première partie. Mais surtout elle renvoie à ce que sont la plupart des femmes dans la réalité, c’est -à-dire au monde des spectatrices, et dans le contexte du film, elle parvient à rendre cette réalité désirable, au moment même où l’idéal de femme qu’incarne Viviane Romance fait faillite.  

La valorisation de Madeleine culmine dans la scène où elle avoue son amour à Bastien ; le ton d’emblée ému des eux protagonistes est provoqué par la découverte que vient de faire Bastien : son fils, dans lequel il avait mis tout son espoir, est devenu un petit voyou, à l’image de Robert (Andrex) l’homme avec qui vit son ex-femme ; désespéré, il vient s’épancher auprès de Madeleine qui est en train de repasser. Les larmes de sympathie de la jeune femme déclenche l’aveu réciproque, dans un registre aussi éloigné que possible de tout érotisme. Mais cet aveu n’est pas acceptable pour une épouse modèle comme Madeleine ; elle tente donc de fuir Bastien, et la caméra suit sa course éperdue à travers l’appartement jusqu’à ce qu’elle parvienne aux persiennes qu’elle ouvre tout grand pour empêcher Bastien de la rejoindre. Cet effet de lumière dont la beauté fulgurante a souvent été soulignée tire sa force du paradoxe sur lequel il est construit ; en effet, au lieu de s’enfermer pour échapper à Bastien, elle va sur le balcon où elle s’offre au grand soleil avec toutes les connotations sensuelles d’un tel geste. Mais cette lumière éclate d’abord sur Bastien qui s’arrête ébloui et comme paralysé par magie. La lumière symbolise alors l’éclat que Madeleine répand sur Bastien. Par son amour elle parvient à faire sortir Bastien du malheur qui s’exprimait aussi par l’ombre des persiennes derrière lesquelles Victor le séquestrait. Avant même que la résolution policière du récit ne permette à Bastien de recouvrer la liberté, le geste de Madeleine l’a déjà sauvé, lui a rendu la lumière.  

Le lyrisme de cette scène contraste fortement avec la suivante où l’on voit réapparaître Adrienne en train de réprimander son fils, et cela confirme, s’il en était besoin, que le récit a complètement renversé le rapport du spectateur avec les images désirables. L’Etrange Monsieur Victor accomplit ce qui dans le contexte du cinéma de l’époque ressemble à un tour de force : nous rendre Madeleine Renaud désirable et Viviane Romance pitoyable ! A travers elles, le film montre le caractère aliénant d’une certaine attirance purement érotique, et le caractère libérateur d’un amour fait de générosité et de tendresse ; mais la force du personnage de Madeleine vient de sa double dimension : généreuse mais exigeante, elle s’éloigne nettement de la figure d’épouse modèle que la première partie suggérait, et signe la condamnation de Victor bien avant que son ex-complice vienne le « piéger ».  

Mais le film peut s’interpréter aussi comme une réflexion sur l’usure du couple. Dès le début, la confrontation entre le couple de Bastien et le couple de Victor suggère qu’ils sont deux états du même phénomène, à deux moments de son évolution : le montage alterné des séquences montre d’un côté un couple déjà ancien dont l’enfant a trois ans et qui a visiblement épuisé tous les charmes de la « cohabitation », de l’autre un couple tardif mais uni autour d’une première naissance qui représente un aboutissement de sa réussite privée et sociale. Sept ans plus tard, si le couple de Bastien avec Adrienne a été remplacé par celui aussi peu convaincant (et déjà ancien) d’Adrienne avec Robert, le couple Victor-Madeleine à son tour a subi l’usure du temps. La deuxième partie du récit commence par cette forte scène où Madeleine fait le bilan : « Depuis que le petit est né, tu n’es plus le même, Victor ! Ce petit que tu as tant voulu, ben il nous a séparés… Tu peux peut-être pas aimer deux personnes à la fois et lui il a tout pris ! Seulement, moi, moi, il faut penser un petit que j’existe, hein ! » A quoi Victor répond d’un ton penaud : « C’est si grave que ça ? » et s’attire cette réplique peu rassurante : « Mais non, c’est pas grave ! Et puis, si je ne t’aime plus, va, rien ne sera changé à la maison, Tu es tellement occupé, tu t’en apercevras même pas ! C’est pour ça qu’il vaut mieux que je te le dise ! »  

Par-delà le secret de Victor, la dégradation du couple prend des formes très banales, liées à la place que prend l’enfant et aux multiples occupations sociales et professionnelles qui attirent le mari à l’extérieur. L’extrême sociabilité de Victor soulignée dans la première partie par ses allées et venues multiples et la mobilité de la caméra, montre ses effets négatifs pour la vie du couple dans la deuxième partie, si bien qu’on peut s’interroger sur son désir d’introduire Bastien chez lui, sur la hâte avec laquelle il lui présente sa femme, et la façon un peu ridicule dont il lui vante ses qualités : « Elle est plus jolie que moi, hein ! » (…) « Crois-tu qu’elle est épatante, ma femme ! » La présence de Bastien devient objectivement pour Madeleine une compensation à la désaffection de Victor, et la manière dont celui-ci l’a introduit dans sa maison, ressemble beaucoup à une sorte de cadeau d’adieu qu’il fait à sa femme, après avoir constaté qu’elle ne l’aime plus. Les relations entre Madeleine et Bastien sont le résultat d’un partage des tâches quotidiennes (la vaisselle) pendant que Victor vaque au dehors. Le récit substitue donc un couple uni par un travail commun à un couple plus traditionnel où régnait la division des tâches, laissant le travail ménager à la femme et réservant à l’homme la vie sociale et professionnelle à l’extérieur. On trouve là l’amorce d’une réflexion qui sera reprise et approfondie dans Remorques, Le Ciel est à vous et L’Amour d’une femme.  

L’ensemble du film se construit sur une opposition entre le mouvement et l’immobilité, articulée avec le désir de possession. Victor est d’abord le centre mouvant d’un échange multiforme qui symbolise toutes les dimensions de la vie sociale ; mais il est bientôt paralysé par son désir d’accumulation : il perdra tout en voulant tout avoir et tout garder : la respectabilité sociale et les profits illicites, le bonheur familial et un meurtre sur la conscience. A l’inverse, Bastien  est d’abord montré comme un personnage tout en rétention, et qui n’a déjà plus grand chose quand le récit commence : son métier ne le nourrit pas, sa femme lui échappe, et M. Victor vient prendre son fils pour lui faire un cadeau. Quand la première partie s’achève, il a vraiment tout perdu, puisqu’il se retrouve au bagne. Mais la deuxième partie raconte sa résurrection progressive : l’amour de Madeleine se déclare au moment même où il se rend compte qu’il doit faire le deuil de son fils, « la dernière chose qui lui restait ». Et nous avons montré que sa mobilité dans l’appartement de Victor contraste avec son immobilité du début dans son échoppe de cordonnier. 

L’Etrange Monsieur Victor est donc un film un film construit sur l’ambiguïté : non seulement le rôle titre est un personnage à double face, mais le récit bifide enchevêtre des fils opposés dans tous leurs aspects. Ainsi le spectateur tire son plaisir de la combinaison d’éléments contradictoires dont la résolution dialectique relance immédiatement d’autres contradictions.   [Jean Grémillon, Le cinéma est à vous – Geneviève Sellier – Ed. Méridiens Klincksieck (1989)]


Les extraits

JEAN GRÉMILLON : L’amour du vrai
Le succès de Remorques, en 1941, devait constituer pour Jean Grémillon une revanche sur quinze ans de déboires.  Curieusement, c’est au cœur d’une des périodes les plus noires de notre histoire, que ce « cinéaste maudit » va pouvoir le mieux s’exprimer, et dans l’œuvre de ce metteur en scène de gauche, s’il en fut, la période « vichyssoise » apparaît comme une trop brève saison privilégiée.


RAIMU (Jules Muraire, César Raimu) naquit à Toulon, en Provence, où il débuta dans des revues et dans de petits music-halls. Il remporta son premier grand succès à Paris en 1929, dans Marius de Marcel Pagnol, un triomphe qui se répéta deux ans plus tard avec l’adaptation cinématographique de la pièce. Pendant les années 1930, on le vit dans un certain nombre de films qu’il marqua de son talent indiscutable, plus raffiné qu’on le pense parfois, de Faisons un rêve de Sacha Guitry (1934) à L’Etrange M. Victor de Jean Grémillon (1937). Mais c’est en Pagnol qu’il trouva l’auteur idéal pour le mettre en valeur. De forte corpulence, l’air renfrogné, capable d’être agressif et vulnérable avec la même force de conviction, Raimu excella à rendre l’esprit du midi de la France. Bien plus que sa très belle interprétation dans Un carnet de bal de Julien Duvivier, son meilleur rôle restera celui du boulanger dans La Femme du boulanger (1938). Deux ans plus tard, il connut aussi un grand succès avec La Fille du puisatier. La dernière période de sa carrière, jusqu’à sa mort en 1946, présente de  peu d’intérêt, car les rôles qui lui étaient confiés étaient très inférieurs à ses capacités, à l’exception de deux films : Les Inconnus dans la maison (1941) d’Henri Decoin, sur un scénario de Clouzot, et L’Homme au chapeau rond (1946) de Pierre Billon, où il donnait la réplique à Fernand Ledoux et redoublait de cynisme vis-à-vis de sa petite fille. Raimu faisait partie de ces acteurs qui se mettent tout entier dans la peau de leurs personnages, et sont capables d’être crédibles même dans des films médiocres.


MADELEINE RENAUD : LE FEU SACRÉ
Celle qui fut l’une des partenaires favorites de Jean Gabin a également été l’inspiratrice de deux monstres sacrés : Jean Grémillon pour le cinéma, et Jean-Louis Barrault pour le théâtre. Portrait de l’héroïne de Maria Chapdelaine et du Ciel est à vous.


GUEULE D’AMOUR – Jean Grémillon (1937)
En attendant le feu vert pour L’Etrange Monsieur Victor, Jean Grémillon a eu le temps de réaliser Gueule d’amour, adapté par Charles Spaak d’un roman d’André Beucler. Nous sommes en 1937, et ce film qui devait être une parenthèse, une œuvre de circonstance, marquera au contraire un tournant dans la carrière du réalisateur : grâce au succès commercial qu’il obtient, il permet à Grémillon d’entamer la période la plus féconde de son œuvre et de produire régulièrement jusqu’en 1944, des films qui marquent une synthèse réussie entre ses exigences artistiques et les contraintes d’un cinéma populaire.

REMORQUES – Jean Grémillon  (1941)
Marin dans l’âme, Grémillon chérissait la mer, qu’il avait déjà célébrée dans Gardiens de phare en 1928. Remorques, situé à la pointe de la Bretagne, du côté de Crozon, fut un film compliqué à faire : scénario remanié, tournage interrompu à cause de la guerre, etc. Il tangue un peu comme un rafiot. On y retrouve néanmoins ce lyrisme sobre qu’on aime tant. Au fond, Remorques est l’envers de Quai des brumes, auquel on pense forcément : point de « réalisme poétique » ici, plutôt une poésie réaliste, sans effets ni chichis. 

LUMIÈRE D’ÉTÉ – Jean Grémillon (1943)
Commençons par les femmes. Ni pin-up ni vamps chez Grémillon, mais des personnes à part entière, décidées, tourmentées. C’est vrai de Cri-Cri, ancienne danseuse devenue tenancière d’hôtel, ou de Michèle, jeune femme romantique venue là pour retrouver son amant. Ce marivaudage en altitude (les Alpes-de-Haute-Provence), hanté par le souvenir d’un crime, réunit des personnages à la dérive qui tentent de s’aimer.

LE CIEL EST À VOUS – Jean Grémillon (1944)
Le Ciel est à vous est le plus beau film d’un cinéaste un peu maudit, trop en avance sur son temps. Pionnier, Jean Grémillon l’était dans sa vision très moderne de l’amour, du couple. Et surtout de la femme, qui travaille activement dans cette histoire-ci, en assumant sa passion de l’aviation. Inspiré d’un exploit véridique de 1937, ce film tourné sous l’Occupation montre des gens simples qui se surpassent et s’accomplissent de manière audacieuse, en s’affranchissant de l’ordre moral. Sensible et optimiste, le film sait décoller du réalisme pour atteindre, avec sa poésie discrète, une forme de transcendance.

PATTES BLANCHES – Jean Grémillon (1949)
Pattes Blanches, entrepris de façon quasi impromptue présente a priori tous les inconvénients d’une commande : le scénario d’Anouilh devait être réalisé par le dramaturge lui-même, s’il n’en avait été empêché par des problèmes de santé à la veille du tournage.

L’AMOUR D’UNE FEMME – Jean Grémillon (1953)
Cinq ans après Pattes blanches, Grémillon peut enfin réaliser un scénario qui lui tient particulièrement à cœur, puisqu’il en est l’auteur : L’Amour d’une femme reprend le thème des contradictions entre la vie professionnelle et la vie amoureuse et/ou conjugale, déjà développé dans Remorques ; mais le point de vue est cette fois-ci exclusivement féminin, et souligne, ce qui est parfaitement tabou dans la société française figée des années 1950, les difficultés propres des femmes dans la recherche d’un équilibre entre vie sociale et vie privée.


LES SECONDS RÔLES DU CINÉMA FRANÇAIS DANS LES FILMS DE JULIEN DUVIVIER
Dans la volumineuse filmographie de Julien Duvivier, on évoque principalement les acteurs et actrices de premier plan en oubliant, parfois, les seconds rôles. Or, leur place est essentielle et leur talent a contribué, en donnant la réplique aux plus grandes stars, à la réussite des films du réalisateur. Voici quelques exemples de seconds rôles du cinéma français ayant joué dans les films de Duvivier. La liste n’est pas exhaustive et sera enrichie au fil du temps.  




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