Le Film étranger

STRANGERS ON A TRAIN (L’Inconnu du Nord-Express) – Alfred Hitchcock (1951)

Basé sur un roman de Patricia Highsmith et, à l’origine, mis en forme par Raymond Chandler, Strangers on a train (L’Inconnu du Nord-Express) ne doit pourtant ses qualités qu’à Alfred Hitchcock. Après avoir écarté le travail de son scénariste, le réalisateur reprit les choses en main de manière magistrale, montrant une fois de plus de quoi il était capable, seul. Ce film réalisé avec maestria, d’une rigueur cinématographique absolue, est une des œuvres les plus populaires d’Hitchcock

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Le champion de tennis Guy Haines pense que Bruno Anthony plaisante lorsqu’il lui propose un échange de meurtres. Pourtant, la machine infernale est déjà lancée et s’emballe, tourbillonnante. [Strangers on a train – Alfred Hitchcock (1951)]

Les deux films qu’Hitchcock tourna à Londres durant une parenthèse anglaise, Under Capricorn (Les Amants du Capricorne, 1949) et Stage Fright (Le Grand Alibi, 1950), connurent des échecs publics retentissants. En ce début des années 1950, le réalisateur devait rebondir à nouveau, comme il l’avait déjà fait au début des années 1930, après Waltzes from Vienna (Le Chant du Danube, 1933), avec la remontée de The Man Who Knew Too Much (L’Homme qui en savait trop, 1934), et comme il le fera encore une fois quand, à la fin de sa vie, il réalisera Frenzy (1973) après les échecs de Torn Curtain (Le Rideau déchiré, 1966) et de Topaz (L’Etau, 1969). En signant Strangers on a train, non seulement Hitchcock réalisa un rétablissement spectaculaire, mais surtout, il signa un des chefs-d’œuvre les plus caractéristiques de ses films noirs.

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Les prémices du film : Au début de l’année 1950, Hitchcock découvrit avec enthousiasme le premier roman de Patricia Highsmith (1921-1995) : Strangers on a Train. Le livre comportait tous les éléments pour faire « un Hitchcock » : intrigue plus psychologique que policière, double meurtre, homosexualité latente des personnages. De l’œuvre de la romancière, il ne restera pourtant plus grand chose après que Raymond Chandler et Czenzi Ormonde eurent travaillé, sous l’égide du réalisateur, à l’écriture du scénario. A son habitude, Hitchcock imposa les scènes qu’il avait imaginées, et qui modifièrent l’histoire originale, faisant de Guy un joueur de tennis (idée du double et de l’échange) et supprimant la scène où, dans le roman Guy tue le père de Bruno.

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Une idée en tête

Lorsque Hitchcock choisit d’adapter le roman de Patricia Highsmith, il avait vraisemblablement déjà en tête une grande partie du résultat cinématographique qu’il comptait extraire de l’œuvre de la romancière. La première mouture du projet, sous la forme d’un synopsis, fut écrite par le réalisateur lui-même avec Whittield Cook en juin 1950. Restait à trouver quelqu’un capable d’en tirer un véritable scénario, comme l’expliquera plus tard Hitchcock : « Je me souviens de mon travail sur Strangers on a train. Je ne trouvais personne qui voulût collaborer avec moi. Tout le monde pensait que mon premier jet était à la fois si plat et si proche des faits qu’on n’y trouvait pas la moindre qualité. En réalité, tout le film était là, visuellement. » Suggéré par la Warner, le romancier Raymond Chandler (1888-1959) fut convié à se mettre à la tâche. Malgré ses qualités d’écrivain (ou à cause d’elles), sa collaboration avec Hitchcock s’avéra désastreuse. Il supportait mal la méthode de travail du réalisateur, qui arrivait avec des idées visuelles en tête et qui les lui soumettait sans trop se soucier de cohérence narrative. Chandler, agacé, lança : « Hitchcock pense que lorsqu’on remue assez de vent et qu’on fait assez de bruit, personne ne vous demande ni où vous allez ni pourquoi », tout en reconnaissant pourtant que « évidemment, c’est Hitchcock et il est vrai qu’un film d’Hitchcock a toujours quelque chose. » Finalement, leur travail ne put aboutir. Les deux versions du scénario remises par Chandler au milieu de l’été et à la fin de septembre ne convainquirent personne, pas même la production qui menaça de stopper là le film… Chandler fut remercié.

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Alfred Hitchcock et sa fille Patricia, sur le tournage de Strangers on a Train (1951)

Le premier Jour de tournage, Hitchcock, superbe, laissa tomber le scénario de l’écrivain dans une corbeille à papier et déclara qu’il fallait recommencer « à la page numéro 1 ». En toute hâte, il fit appel à Czenzi Ormonde qui, aidée de Barbara Keon, allait, en se basant sur la première mouture d’Hitchcock, réécrire le scénario, qui ne fut finalisé qu’un mois après le début du tournage.

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Pendant ce temps, tout un travail commença avec les acteurs. Hitchcock fit tourner un bout d’essai à sa fille : il le Jugea « correct » et lui accorda le rôle de Barbara Morton, la sœur de la fiancée de Guy. Le personnage de Bruno demanda plus de travail. Avec son Interprète Robert Walker, un ami de la famille, le réalisateur mit au point tous les gestes du personnage qui devaient évoquer son homosexualité sans attirer les foudres de la censure. L’acteur travailla intensément le personnage de Bruno Anthony – et tout le monde s’accorda ensuite pour reconnaître la qualité de son interprétation. Seules les intrigues des studios empêchèrent une nomination aux oscars de Walker, qui connut un destin tragique. Il mourut quelques mois après la sortie de Strangers on a train, alors qu’il travaillait sur My Son John de Leo McCarey. Hitchcock accorda alors à McCarey le droit d’utiliser les bobines inutilisées de son propre film pour terminer My Son John.

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ON SET – Strangers on a train – Robert Walker, Alfred Hitchcock, Farley Granger (1951)]

Côté distribution

Strangers on a train était le second film d’Hitchcock produit par la Warner Bros. Le réalisateur dut accepter une actrice en contrat avec le studio pour le premier rôle féminin, et il engagea Ruth Roman (1922-1999) à contrecœur. Il put en revanche faire appel à un ami de la famille pour jouer Bruno. Robert Walker (1918-1951), fatigué de jouer les gentils à la MGM, se lança corps et âme dans le rôle qui lui permit de devenir immortel quelques mois avant de mourir. Farley Granger (né en 1925), après avoir incarné Phillip Morgan dans Rope (La Corde), fit un Guy Haines idéal. Dans ces deux films, il jouait le rôle du jeune homme tourmenté à l’homosexualité latente, ce qui finit par nuire à sa carrière en le cataloguant trop nettement. Sans favoritisme, Patricia Hitchcock (née en 1928) dut subir toutes les épreuves du casting pour obtenir son plus grand rôle dans un film de son père. Leo G. Carroll (1892-1972), un des seconds rôles favoris d’Hitchcock, avait déjà joué dans RebeccaSuspicion (Soupçon) et The Paradine case (Le Procès Paradine)– il incarnera le Professeur dans North by Northwest (La Mort aux trousses). Quant à Marion Lorne (1883-1968), comédienne de théâtre expérimentée, elle débutait au cinéma. Son interprétation parfaite de la mère de Bruno amena la touche d’humour (quelque peu noire) nécessaire au film.

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

«You know what ? I am the hero.»

Comme nombre des films noirs américains des années 1940-1950, la photographie de Strangers on a train doit beaucoup au cinéma expressionniste allemand. Mais d’autres sources, plus étonnantes, inspirèrent Hitchcock. Le réalisateur, qui avait une idée bien précise de ce que devait être l’image de sa prochaine œuvre, fit en sorte que, tant son scénariste que son décorateur, soient informés de ses souhaits. Ainsi, il demanda à Raymond Chandler et à Edward S. Haworth de lire… Terry et les pirates ! La bande dessinée, très cinématographique il est vrai, de Milton Caniff constitua en effet une de ses sources d’inspiration.
Elle ne fut pas la seule. C’est sans doute à la demande d’Hitchcock qu’Haworth se fit envoyer des reproductions de tableaux du peintre américain Edward Hopper (1882-1967). Le réalisateur fera de nouveau appel au style d’Hopper pour la réalisation de la maison de Bates dans Psycho (Psychose, 1960).

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Hitchcock fut également inspiré par une autre bande dessinée : La famille Adams. La scène montrant Bruno immobile parmi les spectateurs d’un match de tennis s’inspirant d’un dessin de Charles Adams représentant, dans une salle de cinéma, un petit gnome ricanant devant le film alors que tous les autres spectateurs versent des larmes… Il avouera à Truffaut s’être aussi Inspiré de cette bande dessinée en concevant la scène du cymbaliste dans la seconde version de The Man Who Knew Too Much.

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Face à l’aspect inquiétant du personnage, on peut être surpris d’apprendre que Bruno Anthony devait une bonne part de son caractère à… Droopy ! Comme le chien lymphatique de Tex Avery, Bruno est partout où on ne l’attend pas, et toujours le premier. Comme Droopy, il semble posséder un don d’ubiquité, qui lui permet de surprendre Guy au Jefferson Memorial, sur le court de tennis ou à la Mellon Gallery. C’est également le chien de Tex Avery qui conféra à Bruno son immobilité inquiétante, quand il observe Guy de loin comme lorsque Miriam le remarque pour la première fois à la fête foraine. Cette source d’inspiration burlesque pour un film noir souligne à quel point, pour Hitchcock, le rire sous-tend souvent le suspense le plus dramatique.
Outre le scénariste et le décorateur, Robert Burks dut lui aussi se mettre au fait des intentions d’Hitchcock en matière d’inspiration visuelle. Alors spécialiste des effets spéciaux à la Warner Bros, il allait devenir le chef opérateur attitré d’Hitchcock durant des années, signant la photographie de tous ses films, Psycho excepté, entre 1950 et 1964.

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ON SET – Strangers on a train – Alfred Hitchcock et Farley Granger (1951)]

Du tournage au montage

Le retard pris dans l’écriture du scénario n’empêcha pas l’équipe de démarrer le tournage en octobre. Les extérieurs furent réalisés dans des petites gares des États de New York et du Connecticut, ainsi qu’à Washington. Certains plans du tournoi de tennis furent tournés lors de la Coupe Davis opposant les Etats-Unis à l’Australie.

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Bien que Ormonde art remis une version définitive du scénario à la fin du premier mois de tournage, certains éléments furent ajoutés à la dernière minute, et ce jusqu’à la semaine précédant la fin du tournage, qui eut lieu le 23 décembre 1951. Cette précipitation n’altéra guère la qualité du film. Seuls les dialogues pouvaient en pâtir, l’aspect visuel étant du seul ressort du réalisateur Hitchcock avait toutes les scènes du film en tête, parfois en plusieurs exemplaires. Il laissait une place à l’expérimentation au montage, après avoir tourné plusieurs versions d’une même scène.

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Il en fut ainsi pour le match de tennis monté en alternance avec les plans de Bruno tentant de récupérer le briquet de Guy : Hitchcock avait à sa disposition dix-huit bobines du match, qu’il n’avait pas le temps de visionner toutes ! Il réalisa donc plusieurs essais sur le papier. Dans le scénario de Chandler le match devait montrer l’instinct de tueur de Guy remontant à la surface. Hitchcock n’en tint pas compte, et préféra axer son montage sur le suspense de la scène. Il n’abandonna pas, cependant, l’idée du double et de l’échange, idée propre au tennis, mais également développée dans la rencontre Guy-Bruno, L’alternance des plans, de Guy sur son court à Bruno devant sa bouche d’égout, faisant des deux personnages les véritables protagonistes d’un match visuel doublé d’une course contre la montre. Ainsi, Guy reprend le dessus au tennis juste au moment où Bruno perd son briquet. Au final, la logique du match est rompue puisque les deux personnages sortent vainqueurs de leur épreuve.

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

L’inconnu sort de l’ombre

Ce n’est pas un hasard si, visuellement, Strangers on a train possède de nombreux points communs avec Shadow of a Doubt (L’Ombre d’un doute) réalisé dix ans auparavant : perspectives fuyantes, présence inquiétante des ombres, image en noir et blanc (alors que, dès 1948, Hitchcock filmait Rope en couleur). Les deux films possèdent de nombreuses thématiques communes, qui entraînèrent un traitement similaire, à commencer par l’idée du double. Bruno et Guy sont en quelque sorte les deux faces d’un même personnage, comme le sont les deux Charlie dans Shadow of a Doubt. Et comme dans ce film, les répétitions, les appariements foisonnent : il y a deux épisodes de manège, deux filles à lunettes, deux pères symboles de la stabilité sociale (l’un dans le grand commerce, l’autre dans la politique).

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

L’échange lui-même se dédouble : dans le crime, plus prosaïquement ; mais aussi psychologiquement, dans l’influence de Bruno sur Guy. En amère-plan, l’homosexualité de Bruno tend à faire ressortir celle de Guy. Par ailleurs, l’instinct meurtrier du premier se diffuse petit à petit sur le second : Si Guy est innocent du meurtre de Miriam, Il ne l’est pourtant pas du désir de le commettre. Cet échange est d’autant plus compréhensible pour le spectateur qu’Hitchcock fait tout pour que l’on s’identifie autant à Bruno qu’à Guy. C’est à ce personnage que va sa préférence, comme il le confirmera à Truffaut. Le réalisateur joue avec nos émotions dans un va-et-vient de Bruno à Guy et de Guy à Bruno, jusqu’à nous transformer, en quelque sorte, en une balle de tennis dans l’échange entre les deux protagonistes.
Comme dans Shadow of a Doubt, le diable hante le film. La barque qui amène Bruno jusqu’au lieu du crime s’appelle Pluton – dieu de l’Enfer. Le chien qui garde la maison des Anthony évoque un cerbère – gardien de l’Enfer ; la demeure est donc infernale, et Guy va y vivre une véritable descente aux enfers…

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Les lois du suspense

Le principal point d’achoppement sur lequel buta Chandler en travaillant avec Hitchcock était le manque de cohérence et de réalisme de l’histoire que le réalisateur mettait au point sous ses yeux. Truffaut. sans partager l’agacement de Chandler, faisait le même constat lorsqu’il disait à Hitchcock« Il y a souvent dans vos films, et particulièrement dans Strangers on a train, non seulement des invraisemblances, non seulement des coïncidences, mais aussi une très grande part d’arbitraire, de choses injustifiées qui se transforment sur l’écran en autant de points forts par votre seule autorité et par une logique du spectacle tout à fait personnelle. » À cette remarque, le réalisateur répondait simplement : « Cette logique du spectacle, ce sont les lois du suspense. »

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STRANGERS ON A TRAIN – Alfred Hitchcock (1951) – Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Marion Lorne

Paradoxalement, le manque de cohérence apparent de Strangers on a train constitue son point fort, Hitchcock joue avec nos émotions, et les émotions n’ont pas de logique rationnelle. Les invraisemblances dont parle Truffaut le sont peut-être d’un point de vue narratif, mais sûrement pas dans l’efficacité de l’effet qu’elles produisent.
Le résultat le confirma brillamment. Sorti en mars 1951, Strangers on a train malgré quelques plaintes de personnes outrées par les connotations sexuelles du film et son meurtre explicite, connut un immense succès public. Hitchcock avait gagné son pari et retrouvé la confiance du public et des studios.

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Le film en image

Conversation entre deux inconnus : Deux pieds, puis deux autres : la caméra suit deux inconnus jusqu’à un train, en cachant leurs visages. Ce n’est que lorsque leurs pieds se rencontrent que les deux hommes se saluent. Bruno Anthony (Robert Walker) s’intéresse au célèbre joueur de tennis Guy Haines (Farley Granger) et semble tout savoir de sa vie.

La théorie de l’échange de meurtres : Guy dîne dans la cabine de Bruno. Ce dernier, très curieux de la vie de Guy qui veut divorcer de sa femme pour en épouser une autre, propose un échange de meurtres : il tue la femme de Guy, et Guy tue le père de Bruno. Guy croit à une plaisanterie et quitte la cabine en oubliant son briquet.

Bruno : Qu’est-ce qu’une vie ou deux, Guy ? Certaines personnes valent mieux mortes ! Comme votre femme et mon père, par exemple… Oh, ça me rappelle la merveilleuse idée que j’ai eu une fois… elle m’est venue toute seule, en dormant la nuit : sécurité totale. Maintenant, disons que vous, vous aimeriez vous débarrasser de votre femme… (…) Ecoutez ! C’est tellement simple, en plus : deux types se rencontrent accidentellement, comme vous et moi ; aucun lien entre eux, et ils n’ont jamais été vus ensemble auparavant… chacun à un personne dont il aimerait être débarrassé… alors ils changent de meurtre ! (…) Chaque type exécute le meurtre de l’autre type, et aucune connexion entre eux ! Chacun a tué un parfait inconnu… comme si vous faites mon meurtre et que je fais le vôtre…

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De A à G : Dès les premières minutes du film, Hitchcock nous habitue au briquet de Guy, qui jouera un si grand rôle dans l’histoire. A l’occasion d’un plan sur Bruno, il place habilement l’objet au premier plan. Les initiales du briquet « A à G » peuvent se lire d’Ann à Guy, mais aussi d’Anthony à Guy. Quant au symbole des deux raquettes croisées, il résume à lui seul toute l’intrigue, qui est basée sur l’échange et le double. Le mot « crisscross » (entrecroiser) reviendra à plusieurs reprises dans le film.

Scène de ménage : Guy descend du train à Metcalf et retrouve sa femme Miriam (Laura Elliott). Ils doivent voir un avocat pour le divorce, mais, après avoir demandé de l’argent pour cela, Miriam annonce qu’elle refuse de divorcer et entend reprendre sa vie avec Guy, bien qu’elle porte l’enfant d’un autre. Une dispute s’engage.

Myriam sous surveillance : Excédé, Guy appelle sa fiancée Ann Morton (Ruth Roman), lui annonce que Miriam refuse le divorce et qu’il « pourrait l’étrangler ». De son côté, Bruno, se rend chez ses parents. Il a une altercation avec son père montrant la haine qu’il lui porte. Bruno se rend à Metcalf où il trouve Miriam, qui sort accompagnée de deux hommes, et la suit jusqu’à la fête foraine.

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Jeu de mains : De même qu’en peinture deux couleurs mises côte à côte s’influencent réciproquement, l’enchaînement de deux images différentes donne à chacune d’elles une signification supplémentaire. Ainsi, les mains de Bruno, qui apparaissent en gros plan juste après que Guy eut crié qu’il voudrait bien tordre le cou de Miriam, se chargent d’un aspect effrayant. Un tel montage évoque aussi le lien qui unit Guy et Bruno : les mains peuvent être prises dans un premier temps pour celles de Guy.

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Croûte expressive : Collectionneur d’art, Hitchcock utilise ses connaissances en la matière pour donner plus de poids à ses œuvres. Les tableaux qui apparaissent dans ses films ne sont jamais là par hasard. Il demanda à son décorateur de s’inspirer du peintre expressionniste américain Abraham Rattner (1895-1978) pour réaliser le portrait peint par la mère de Bruno. Dans l’environnement bourgeois des Anthony où trônent portraits pompiers et scènes de genre, la force expressive de la toile apparaît dans toute sa violence, soulignant la folie de la mère et la haine de Bruno pour son père.

Passage à l’acte : A la fête foraine, Bruno fait, de loin, du charme à Miriam qui se prête aussitôt au jeu. Il suit les trois jeunes gens jusqu’à l’île magique, lieu isolé de rendez-vous des amoureux au milieu d’un lac. Là, il retrouve Miriam, l’aborde en s’assurant qu’elle est bien celle qu’il cherche et l’étrangle.

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Le tunnel d’amour : Dès que Bruno se met à suivre Miriam, ses intentions meurtrières ne font aucun doute. Le suspense hitchcockien (c’est presque un pléonasme) ne repose pas sur la question « Qu’est-ce qu’il va faire ? », mais « Comment va-t-il le faire ? » et « Quand va-t-il le faire? » Ici, Hitchcock joue avec nos nerfs en filmant des ombres inquiétantes suivies du cri de Miriam dans le tunnel sombre. Il crée ainsi la tension nécessaire pour que, lorsque le meurtre arrive finalement, de manière beaucoup plus anodine, la surprise soit cependant totale.

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Pince de homard : Lorsqu’il rencontre Guy dans le train, Bruno porte une cravate ornée de homards (dessinés par Hitchcock lui-même). La figure trouve une résonance inattendue au moment du meurtre : la main de Bruno, déformée par les lunettes, devient démesurément grande et prend l’aspect d’une pince de homard. Le traitement du crime de cette façon détournée, vu dans l’intérieur du verre d’une paire de lunettes tombée sur le sol, est un magnifique moment de cinéma tel qu’Hitchcock savait les inventer. Il prépare en outre la suite du récit, en insistant sur les lunettes.

Le meurtre de Miriam : La scène du meurtre de Miriam ne dure que deux minutes, mais elle arrive après une longue séquence de séduction-poursuite à travers la fête foraine. La brièveté et l’efficacité de cette conclusion ont ainsi été minutieusement préparées par ce qui précède. Le crime a lieu sur « l’île magique », au milieu d’un lac où se retrouvent les amoureux et à laquelle on parvient après avoir traversé le « tunnel de l’amour ». Il est précédé par un jeu de séduction entre Bruno et Miriam : comme souvent, Hitchcock crée un lien entre la pulsion meurtrière et la pulsion sexuelle. Dans le montage de la scène, le réalisateur utilise avec maestria deux éléments dés du film : les lunettes et le briquet. Le premier permettra de « doubler » ce meurtre par celui, symbolique, de Barbara ; le second résume à lui seul le thème du film et se trouve au centre du développement de l’intrigue. Un plan des lunettes au sol, ou un autre du briquet abandonné par terre, suffisent à donner toute sa puissance à la scène.

Complice involontaire : Dans le train qui le ramène chez lui, Guy Haynes rencontre un professeur apparemment éméché. Lorsqu’il arrive à la porte de sa maison, un autre homme l’appelle. Il s’agit de Bruno qui, sereinement, lui annonce son crime et demande à Guy de réaliser sa part du « marché ».

Suspect numéro un : Guy retrouve sa fiancée Ann Morton chez le père de celle-ci, un sénateur. Ils lui apprennent la mort de Miriam. La police, qui le soupçonne, demande à le voir. Guy donne le nom du professeur pour prouver qu’il n’était pas sur les lieux du crime, mais celui-ci ne se souvient de rien.

Un certain Mr Anthony : En visitant la Mellon Gallery avec Ann, Guy est accosté par Bruno. Il dit à Ann ne pas le connaître, mais celle-ci le reconnaît à son épingle de cravate marquée du prénom « Bruno » quand, le lendemain, Bruno vient assister au match de Guy et échanger quelques politesses avec les amis d’Ann.

Dans les lunettes de Barbara, le reflet d’un briquet allumé. Bruno : C’est votre nom Miriam ?

Démonstration : Bruno continue à harceler Guy pour qu’il tue son père. Il s’invite à une soirée chez les Morton et, alors qu’il entend montrer à une vieille dame le meilleur moyen de tuer, il manque de l’étrangler réellement quand la vue de la sœur d’Ann lui rappelle le visage de Miriam.

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Guy avoue tout : Après l’avoir frappé, puis aidé à remettre sa cravate, Guy renvoie Bruno chez lui. Il explique toute son histoire à Ann, qui a compris que le geste incontrôlé de Bruno était lié à la ressemblance de Miriam avec sa sœur, Barbara : ce sont les lunettes qui ont créé le lien entre les deux femmes.

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Monumentalité : A plusieurs reprises, Guy est surpris par l’apparition soudaine de Bruno qui l’observe, impassible. Cette présence inquiétante s’inspire du personnage de Droopy, le chien du dessin animé de Tex Avery. Ce lien est d’autant plus fort qu’Hitchcock accentue la démesure chère au dessinateur : Bruno semble ridiculement petit à côté du monument. L’effet visuel est particulièrement frappant, et le réalisateur s’en souviendra en filmant la visite de Cary Grant à l’ONU dans North by Northwest

Chez Bruno : Guy parvient à tromper la vigilance des policiers qui continuent à le surveiller et pénètre, armé, dans la maison de Bruno. Il monte l’escalier et trouve la chambre du père. Croyant le réveiller pour lui expliquer le problème, il se rend compte que c’est Bruno qui occupe le lit.

Bruno : Je n’aime pas être « doublé »…j’ai un meurtre sur la conscience …mais ce n’est pas le mien, monsieur Haines, c’est le vôtre ! Et puisque vous êtes le seul à en avoir profité, vous serez le seul à le payer !

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La finale : Ann tente d’expliquer la situation à la mère de Bruno, qui ne veut pas la comprendre. Bruno arrive et lui révèle qu’il possède le briquet de Guy, ce qui peut le compromettre. Plus tard, Ann dit tout à Guy, qui doit pourtant commencer à jouer un match de compétition.

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Match : Bruno se rend à Metcalf avec l’intention de déposer le briquet sur les lieux du crime. Pendant ce temps, Guy joue un match de finale au tennis. Il doit gagner vite pour rejoindre Metcalf et trouver Bruno. Celui-ci est retardé, car il perd le briquet dans une bouche d’égout.

 

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Retour au parc d’attraction : Guy gagne son match et part immédiatement pour Metcalf. Les policiers qui le suivent décident de le laisser aller et contactent leurs collègues de Metcalf pour qu’ils poursuivent la filature sur place. Pendant ce temps, Bruno attend la nuit pour déposer le briquet qui accusera Guy.

Le manège s’emballe : Guy, toujours suivi par des policiers, rejoint la fête foraine de Metcalf. Il rattrape Bruno sur le manège qui, lorsque la police tue le machiniste, s’emballe et se met à tourner à toute vitesse. Le guichetier de l’île magique qui a reconnu Bruno l’accuse, mais la police croit qu’il s’agit de Guy.

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Tout s’écroule : Sur le manège dément, Guy et Bruno s’affrontent. Un machiniste courageux se glisse sous le manège pour arrêter la machine, ce qui provoque son explosion. Guy est innocenté par le guichetier et par le fait que Bruno, mourant, laisse apparaître son briquet dans sa main.

 

Effets spéciaux – La fête foraine : L’image de Strangers on a train est minutieusement travaillée dans un style qui n’est pas sans rappeler le cinéma expressionniste. Les effets visuels sont nombreux. Beaucoup ont demandé des moyens techniques spécifiques, souvent mis au point, si ce n’est inventés, pour les besoins du film.
Dans le domaine des effets spéciaux, les scènes les plus spectaculaires sont celles de la fête foraine, à commencer par le meurtre de Miriam. Après que Bruno lui eut demandé si elle s’appelait bien Miriam, la caméra s’éloigne pour nous montrer l’étranglement reflété dans les lunettes de la victime tombées à terre.
Autre épisode particulièrement élaboré en matière d’effets spéciaux, la scène finale sur le manège, quand Bruno et Guy s’affrontent sur la machine emballée qui finit par se briser dans une explosion, est tout à fait spectaculaire. Pour cette séquence, Hitchcock eut recours à plusieurs procédés : un manège réel, des transparences et une maquette. Les transparences nécessitant d’être filmées selon un angle et un rythme très précis, et la construction du film demandant de nombreux plans différents, le tournage de la scène fut particulièrement laborieux, comme en témoigna le réalisateur : « La principale difficulté dons cette scène, c’était les transparences, car il fallait les incliner différemment selon chaque prise de vues ; à chaque changement d’angle, il fallait incliner également le projecteur de la transparence, car nous avions beaucoup de prises de vues en contre-plongée et l’on perdait beaucoup de temps à aligner les bords du cadrage, dans le viseur de la caméra, avec les bords de la transparence. » A cela s’ajoutait la difficulté de la synchronisation, car le défilement des images projetées doit suivre rigoureusement le rythme des prises de vues.

Anonymat : Guy se retrouve avec Ann dans un train. Un homme d’église, qui fume la pipe et lit le journal, lui demande cordialement s’il n’est pas Guy Haines. Il s’apprête à lui répondre, quand, se ravisant, il se lève, entraînant Ann, et s’éloigne sans mot dire… On ne l’y reprendra pas une deuxième fois !

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Fiche technique du film

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