Les Réalisateurs

ALFRED HITCHCOCK : Les dernières œuvres (période 1966 – 1976)

Au cours de la période 1966-1976, Alfred Hitchcock ne tournera que quatre films. Deux se rattacheront au cycle des œuvres d’espionnage. Les autres exploiteront la veine du thriller.

TORN CURTAIN (Le Rideau déchiré) – 1966

En 1966, Torn curtain (le Rideau déchiré) devait choquer les critiques de gauche. Ils accusèrent le film d’être une œuvre anticommuniste et suggérèrent que son auteur était en train de devenir gâteux. Le sujet de Torn curtain est le suivant : Un savant américain simule un passage à l’Est pour voler une formule à un savant communiste. Sa fiancée le suit, sans connaître la vérité. Apprenant que son amant n’a pas trahi, elle suit son itinéraire et l’aide à regagner les pays capitalistes.

TORN CURTAIN (Le Rideau déchiré) – 1966

Derrière ce schématisme idéologique, Hitchcock brosse une admirable tapisserie, colorée d’onirisme et de jeu sur le spectacle. Le seul personnage sympathique du film, c’est Ie savant communiste qui se laisse berner par son goût de la recherche et de la connaissance. D’entrée, le film s’installe dans l’apparence du cauchemar et de la défiguration. A la limite, toute cette histoire rocambolesque pourrait être rêvée par ce couple nu sous les couvertures d’un lit envahissant une cabine de bateau. Car ce sont tous les fantasmes du monde moderne, et des fictions qui s’en inspirent, que le réalisateur nous montre. Souvent, chez Hitchcock, un secret en cache autre. J’ai toujours pensé que si la fiancée suit son amant, c’est qu’elle possède un secret en elle : elle est enceinte de lui. L’apparition d’Hitchcock avec un bébé sur les genoux corrobore cette hypothèse, non explicitée dans le scénario, mais terriblement suggérée par la mise en scène. L’espion américain n’est aidé que par des femmes. Ce sont les femmes qui le démasquent. Tout ressemble à des fantasmes de femme enceinte et si les secrets se mêlent au spectacle par des enchaînement magiques, n’oublions pas que le secret de l’atome est peut-être celui de la vie.

On set – TORN CURTAIN (Le Rideau déchiré) – 1966

Lors de la sortie du film, Jean Narboni donna une pénétrante définition du cinéaste : « Eternel devin hitchcockien aux trois bouches surprenantes : il avale des drames, il rejette des images, il les désigne comme telles, il en naît la peur, l’ oppression, la mort… »

TOPAZ (L’Étau) – 1969

Topaz (L’Etau) sera plus complexe. Tiré d’un best-seller cette histoire d’agent secret s’opposant à Fidel Castro est assez étonnante dans la volonté de décaler tout en une mosaïque éclatée, jamais achevée… Avec ce film, tout paraît sale en politique. Hitchcock donne un bilan de sa notion de ces choses et prouve qu’il est toujours resté extrêmement méprisant de tout cela. Il rend le castriste sympathique, héros tragique et romantique, face à l’organisation robotisée de l’Amérique. Ici, règne une froideur distante qui peut surprendre en une époque (fin des années 60) ou l’hystérisation du politique faisait vendre les films.

FRENZY – 1972

En 1972, il reviendra au thriller avec Frenzy. Toute sa panoplie y est harmonisée dans une volonté ironique et hautaine. Un assassin qui étrangle ses victimes avec une cravate, après les avoir violées… Ceci rappelle The Lodger et quelques autres films criminels du cinéaste… Un innocent est pourchassé à la place de l’assassin. Une femme aide l’innocent. Voici pour les thèmes… Le style tente d’unir les virtuosités de l’époque anglaise avec la structure rigoureuse des œuvres hollywoodiennes. D’images en images, nous assisterons à une série de séquences spectaculaires illustrant toutes les formes de « suspense » et toutes les possibilités de tour de force technique. La sexualité est clairement montrée, les policiers ironiquement campés. L’humour noir règne, sans obscurcir la dialectique de l’ombre et de la lumière. Même l’innocent n’est pas sans points communs avec l’assassin. Le jeu sur le vide aboutit à une révélation ricanante. Dieu, c’est le diable tout simplement…

FRENZY – 1972

Quoique ultime travail du cinéaste, Family plot (Complot de famille) n’a rien d’un testament. A 77 ans, Hitchcock s’amuse â embrouiller toutes les exégèses et, paradoxalement, il nous présente son film le plus transparent. Jamais jeu sur les apparences ne fut mieux élaboré que cette invraisemblable histoire d’escrocs, de faux assassins, de vrais criminels, de comédiens jouant aux voyants et de crapules richissimes. C’est un répertoire d’une diabolique gratuité au cours de laquelle un bijou convoité concurrence un héritage inattendu pour un enfant oublié qui, devenu grand, cache son identité sans savoir pourquoi un couple refuse de croire en sa mort passée. Son secret le conduit à sa perte, dans une distorsion générale des situations où le grotesque se dispute au vulgaire. L’insistance mise par Hitchcock sur le réalisme des personnages n’a d’égale que l’inflation de romanesque et de situations délirantes. Toutes les figures de style volent en éclats, comme si Hitchcock ne s’interrogeait plus que sur la matière dont on fait les œuvres. L’écran n’est plus unique. C’est un tourniquet à facettes sur lequel acteurs et spectateurs ne cessent de bouger sans freins, ni détente. Sans doute qu’Hitchcock se gausse de ses imitateurs en rejetant le suspense qui est devenue un code trop commode. Il apparaît alors que son secret n’a rien à voir avec l’écriture ou le style. La thématique ne lui sert que d’architecture minimale et l’enjeu n’est plus dans l’énoncé d’une intrigue hyper-compliquée, mais dans une démonstration que la connaissance s’emporte avec soi, dans la tombe…

FAMILY PLOT (Complot de famille) – 1976

Enfant, couple, secret, crime, folie, psychanalyse, christianisme, ésotérisme, apolitisme hautain et ironie masquée se sont succédés pendant cinquante années de carrière. Avec Family plot , Hitchcock balaye tout cela au profit d’une évidence où les apparences s’enlisent afin de mieux déchirer le masque du cinéma. La connaissance est un secret qu’on ne livre pas.

FAMILY PLOT (Complot de famille) – 1976

Aujourd’hui qu’Hitchcock est mort, on se met à penser que le cinématographe a connu d’étranges métamorphoses que cet auteur a su domestiquer et manipuler selon son propre désir. Rarement contraint à faire des concessions, il s’est acharné à conduire un travail créateur, sans oublier les contingences industrielles de son art. Il y trouvait la garantie de sa liberté. Tout en frappant l’inconscient du public, il sut lui apporter du plaisir, mais la seule chose qui l’ait obsédé, ce fut l’exploration des motivations de créer. Qu’il se soit tourné vers Dieu, Freud ou le rapport sadomasochiste de la victime jouissant de sa souffrance, il n’a jamais cessé de travailler la même chose. Un film n’est qu’un film, c’est-à-dire des images organisées. De son œuvre qui règne sur cinq décennies, on peut affirmer qu’elle ne doit rien au roman ni au théâtre. On pourrait évoquer la peinture et la musique, à condition d’associer ces deux arts : peindre la musique, ou mettre la peinture en musique.

On set – Alfred Hitchcock et Claude Jade – TOPAZ (L’Étau) – 1969

Son apport pour les cinéastes d’aujourd’hui se résume essentiellement en la preuve que le cinéma est un art spécifique. Sa méthode peut aider. Un cinéaste en difficulté peut s’interroger : « Comment Hitchcock aurait-il tourné ça ? » S’il connaît bien cette œuvre, il trouvera une réponse et ne fera que de la copie. Le style, c’est autre chose. Hitchcock est un des plus grands stylistes du Septième Art. Mais il n’est pas que cela…

On set – FRENZY – 1972

Son interrogation sur la mort et l’univers peut évoquer celle des philosophes allemands. Il rejoint leur pessimisme. Il suffit de gratter l’humour qu’il s’acharne à y jeter comme de l’huile sur le feu. De plus, ce catholique n’a rien d’un humaniste. Son goût pour l’ésotérisme et l’abstraction cache un mépris pour l’être humain. Il en connaît le comportement et la faiblesse. Son mépris pour la politique vient de là.

S’il insiste sur la formation de couples, c’est pour aiguiser un peu plus la fonction animale de l’homme et son impuissance à accéder à la connaissance. L’ironie et le jeu sont là pour masquer ce qui est imparable et terrible dans des films comme The Manxman, I Confess, Vertigo ou Marnie.

Profondément, Hitchcock s’estimait au-delà des êtres humains. Il voulait créer, à l’égal du Dieu qu’on lui fit respecter dans son enfance. Mais créer comme Dieu a créé, c’est aussi tuer son père pour avoir la place libre. C’est aussi tuer Dieu pour devenir Dieu, tuer l’homme pour prendre sa place. Ces trois tentations hantent ses films et il a bien saisi que le meurtre et le sexe sont liés dans l’inconscient. Le sexe ne s’excuse en christianisme que par la résultante de créer enfant. Hitchcock travaillait pour détruire, pour toucher le néant et le vide. Ce désir de destruction se lit dans le moindre raccord, éclairage, geste ou mouvement de caméra de ses films. On y empoisonne, strangule, poignarde, viole et fait l’amour. Peut-être qu’il porte une conscience d’ethnologue juste habile à connaître les mécanismes du cerveau humain pour se protéger, creuser plus loin, et les utiliser pour parfaire son œuvre.

ALFRED HITCHCOCK

Le cabotinage qui entourait ses apparitions ne contredit pas cette hypothèse. C’est un masque, un vecteur, un truc pour qu’on le laisse faire comme il veut… Tous les acteurs qui travaillèrent pour lui savent qu’ils n’avaient pas plusieurs possibilités d’interpréter une scène ; il n’yen avait qu’une.. celle que voulait Hitchcock. Quand à l’humour, Chris Marker disait que c’était la politesse du désespoir…

Hitchcock était-il un homme désespéré ? Dès son premier film, il fut considéré comme un maître et, s’il eut des moments de découragement, il pouvait dire qu’il avait réussi sa carrière et sa vie. Est-ce aussi certain ? Ce goût pour l’ésotérisme, l’intérêt réel qu’il prenait pour les travaux de Jean Douchet ce propos montrent combien il savait qu’il y avait peut-être un chemin inconnu pour accéder à une plus pleine connaissance.

Alfred Hitchcock et Alma Reville dans les années 1970

Enfin, il est certain que cet homme s’était fabriqué un personnage. Ses acteurs étaient des stars dont le sex-appeal est indubitable : Cary Grant, Rod Taylor, James Stewart… Lui, il était gros depuis l’enfance. Il s’était senti laid n’a connu qu’une femme et s’en disait heureux… Seul son travail l’intéressait et il ne vivait que par procuration. investissait tout dans ce travail et y cherchait une réponse à ses propres angoisses, ses doutes et ses pulsions de mort. A la fin de son existence, il était devenu un mythe. Il n’a, donc plus qu’à mourir. Sa femme, Alma, mourut deux ans plus tard. D’outre-tombe, il continue à régner sur l’inconscient collectif car il est le seul cinéaste à avoir filmé les méandres de la mort à travers des histoires incroyables qui accrochent le  spectateur de la première à la dernière image. Mais quoi qu’écriront les futurs exégètes, quoi qu’aient approfondi les critiques d’hier, le cinéma d’Hitchcock est surtout l’expression d’ un risque maximal : si la connaissance c’était le néant ?… Alors, le jeu avec le vide, cette peur, ce vertige, cet acte sexuel détourné qu’est la création, ne serait-ce pas la raison qui explique l’implacable fascination qu’exerce les images que cet homme a créées ? [Noël Simsolo – Anthologie du cinéma n°110 – Alfred Hitchcock – L’Avant-Scène (1982)]


TORN CURTAIN (Le Rideau déchiré) – Alfred Hitchcock (1966)
Son éternelle jeunesse permet à Hitchcock de créer pour son cinquantième long-métrage un thriller haletant, ayant la guerre froide pour toile de fond. Le maître, qui n’en est pas à son premier film d’espionnage, réalise Torn Curtain avec une équipe très largement renouvelée, des acteurs inhabituels, une technique et une photographie nouvelles. De cette alchimie inédite naîtra un film pourtant très hitchcockien.


Un anglais bien tranquille (période 1899-1929)
Alfred Hitchcock est né en Angleterre, le 13 août 1899, au sein d’une famille de catholiques. Son père était un riche marchand de volailles. Il aimait le théâtre, mais se voulait rigoureux en matière de discipline et de religion. L’enfance heureuse d’Alfred fut marquée par un incident qu’il n’oubliera jamais. Lire la suite…

Sur la piste du crime (période 1929-1939)
La première expérience parlante d’Hitchcock, ce sera Blackmail (Chantage, 1929). Aujourd’hui, cette œuvre conserve une authentique modernité. L’auteur y installe des personnages et des situations qui alimenteront ses films postérieurs : la femme coupable, le policier amoureux de la femme qu’il doit arrêter, l’union terrible par un secret encore plus terrible, l’itinéraire vécu par un couple et la traversée des apparences.

Hollywood et la guerre (période 1940 – 1944)
A la veille de la guerre, l’industrie cinématographique américaine domine le marché mondial. De nombreux cinéastes européens ont raillé Hollywood. la domination nazie accélérera cette migration, mais ce cosmopolitisme convient au public national. Ce peuple d’émigrants aime le cinéma. les images satisfont ses fantasmes et bercent ses espoirs. Il se retrouve culturellement devant des produits conçus par des réalisateurs européens.

Expérimentations (période 1945-1954)
Rentré aux U.S.A. après avoir réalisé Bon voyage et Aventure malgache (courts métrages à la gloire de la résistance française réalisés en Angleterre), Hitchcock tourne une production de Selznick : Spellbound (La Maison du docteur Edwards). Cette fois, la chasse à l’homme et la formation d’un couple s’inscrivent dans une structure plus complexe. La psychanalyse règne sur l’œuvre.

Le temps de la perfection (période 1954 -1966)
En 1954, Hitchcock entre à la Paramount. Il y restera de longues années et en deviendra l’une des plus fortes valeurs commerciales. Il commence par l’adaptation d’une nouvelle de Corneil Woolrich (William Irish) : Rear window (Fenêtre sur cour). C’est l’histoire d’un reporter photographe qui a la jambe dans le plâtre. Il passe son temps à observer ses voisins. de l’autre côté de la cour.


Les films d’Hitchcock sur Mon Cinéma à Moi

THE LODGER (Les Cheveux d’or) 1927
THE 39 STEPS (Les 39 marches) 1935
SABOTAGE (Agent secret) 1936
THE LADY VANISHES (Une femme disparaît) 1938
JAMAICA INN (La Taverne de la Jamaïque) 1939
REBECCA 1940
SABOTEUR (Cinquième colonne) 1942
SHADOW OF A DOUBT (L’ombre d’un doute) 1943
SPELLBOUND (La Maison du docteur Edwardes) 1945
NOTORIOUS (Les Enchaînés) 1946
THE PARADINE CASE (Le Procès Paradine) 1947
ROPE (La Corde) 1948
STAGE FRIGHT (Le Grand Alibi) 1950
STRANGERS ON A TRAIN (L’Inconnu du Nord-Express) 1951
I CONFESS (La Loi du silence) 1953
DIAL M FOR MURDER (Le crime était presque parfait) 1954
REAR WINDOW (Fenêtre sur cour) 1954
TO CATCH A THIEF (La Main au collet) 1955
THE TROUBLE WITH HARRY (Mais qui a tué Harry ?) 1955
VERTIGO (Sueurs froides) 1958
NORTH BY NORTHWEST (La Mort aux trousses) 1959
TORN CURTAIN (Le Rideau déchiré) 1966




Publication mise en ligne le 03/01/2020 – Mise à jour le 19/09/2022

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