Marie, surnommée Casque d’or pour son éclatante chevelure blonde, a un « homme », Roland, l’ébéniste, dit Belle Gueule, petite frappe appartenant à la bande de Leca, caïd de Belleville. Un dimanche, dans une guinguette à Joinville, elle fait la connaissance de Manda, voyou repenti devenu charpentier. Par provocation, elle lui demande de l’inviter à danser… Echec total à sa sortie, un classique aujourd’hui. Casque d’or évoque ce Paris 1900 des fortifs et des caboulots, des malfrats et du populo, ainsi que ce quartier de Belleville (superbes décors de Jean d’Eaubonne) qui avait alors la dimension humaine d’un village. Avec le lyrisme sec qui lui est propre, Becker décrit les rouages d’une tragédie implacable : la violence d’une passion qui lie deux amants jusque dans la mort. [Xavier Lacavalerie – Télérama, janvier 2014)]

Entre Édouard et Caroline (1951) et Rue de l’Estrapade (1953), Becker tourne Casque d’or qui sort sur les écrans en avril 1952. Considéré aujourd’hui, avec Le Trou, comme le chef-d’œuvre du cinéaste, c’est un film qui, à bien des égards, est atypique dans cette deuxième période de la filmographie du cinéaste. D’abord, à la différence des autres films que Becker tourne depuis Antoine et Antoinette, c’est un projet ancien qui ne lui était pas destiné puisqu’il aurait dû être tourné avant la guerre par Julien Duvivier pour le producteur André Hakim, avec Jean Gabin dans le rôle de Manda. Le film ne se fait pas et Hakim propose le sujet à Becker qui écrit un scénario en 1946 avec Roger Vitrac. L’histoire est inspirée d’un fait divers réel qui avait défrayé la chronique à la fin du siècle dernier : deux bandes rivales de truands parisiens (les « Apaches ») ne cessaient alors de se battre parce que leurs chefs respectifs (Manda et Leca) aimaient la même femme, la belle Amélie Hélie, surnommée « Casque d’or » à cause de sa chevelure blonde. L.es deux truands finissaient par se blesser gravement et terminaient leur vie au bagne.

Dans la première version, Vitrac et Becker racontaient comment Manda, après avoir commis un meurtre, était amené à travailler pour la bande à Leca afin que ce dernier le protège. Mais la maîtresse de Leca, la fameuse « Casque d’or », tombait amoureuse de Manda. Celui-ci quittait alors son chef et fondait une bande rivale pour vivre sa passion amoureuse. Les deux truands s’affrontaient et Manda tuait Leca au cours d’une rixe. Arrêté, il était condamné à mort. Le bourreau n’était autre qu’un pêcheur amateur du nom de Deibler, qui pêchait au même endroit que Manda, et avec lequel il avait sympathisé, sans, évidemment, qu’aucun des deux hommes ne connaisse le « métier » de l’autre. Cet épilogue « racinien » devait montrer le conflit entre le devoir et l’amitié.

Lorsque Duvivier apprend que Becker veut tourner son projet, il s’interpose. Becker le lui laisse, mais le film ne se fait pas. L’idée est ensuite reprise par Allégret puis Clouzot, mais toujours sans suite. Becker s’intéresse finalement une nouvelle fois au projet avec Robert Hakim et Michel Safra, et cette fois avec des contraintes budgétaires précises : « Safra ma dit : « Attention, je ne peux pas mettre plus de quatre-vingts millions, et même je ne les mettrai pas. « J’ai alors reconsidéré en son entier le scénario que j’avais écrit avec Vitrac […]. Je ne pouvais plus le tourner, c’était impossible, cela aurait coûté à l’époque au moins cent cinquante millions. » Le cinéaste remanie donc le scénario, dans une version épurée, avec moins de péripéties. Le personnage du pêcheur-bourreau est abandonné, Manda n’est plus chef de bande mais simple ouvrier menuisier. Reste le meurtre d’un homme (Roland, le souteneur de Casque d’or, tué par Manda), la passion amoureuse entre Marie (Simone Signoret) et Manda (Serge Reggiani), la jalousie de Leca (Claude Dauphin) qui entraîne l’arrestation de Manda et son exécution capitale par guillotine.

Au départ, Becker est méfiant à l’égard du sujet car il n’aime pas beaucoup les histoires de malfaiteurs, ni celles de crime. Elles revêtent un caractère singulier qui s’oppose à la description de la vie quotidienne que le cinéaste filme depuis la fin de la guerre : « Le crime est exceptionnel et l’exception ne m’intéresse pas ! » C’est pourquoi dans Casque d’or, les truands sont montrés comme des hommes ordinaires, En revanche, il est sensible à l’aspect « pictural » Belle Epoque de cette histoire : « J’ai voulu mettre l’équivalent des anciennes images en couleurs du Petit Illustré qui paraissait au temps de notre enfonce : on y voyait des agents en pèlerine noire arrêter un criminel dans les rues parisiennes. Pourtant, j ai évité autant que possible le genre 1900, sauf dans le personnage antipathique de Leca, j’ai voulu que mes acteurs aient l’air de vivre à l’époque du film et ne soient pas costumés (…) . »

Avec son décorateur Jean d’Eaubonne et Mayo, le dessinateur des costumes, le cinéaste reconstitue ce Paris « fin de siècle » en studio, à Billancourt. Il tourne certaines séquences à Belleville (l’actuel 20e arrondissement) pour représenter les quartiers populaires ainsi qu’à Annet-sur-Marne pour les scènes au bord de l’eau, lesquelles rappellent d’ailleurs Partie de campagne de Renoir sur lequel le jeune Becker était assistant. Le tournage se déroule pendant l’automne 1951, dans une bonne ambiance. Le cinéaste s’entend bien avec ses acteurs, notamment Simone Signoret qui refuse pourtant une première fois de quitter Yves Montand pour tourner le film : « Jacques me dit : « Tu as bien raison, on n’a qu’une vie ; une histoire d’amour, ça se soigne tous les jours comme une plante » (…). Et il cite deux noms de filles pour me remplacer (…). Le lendemain, j’ai pris le train (…) et je suis rentrée pour faire le film (…). Je pourrais vous raconter pendant des heures comment ce film a été fait dans l’amour, la joie, l’amitié et l’humour (…). Jacques avait dégotté pour les extérieurs un café hôtel dans lequel nous habitions, lui, Annette Wademant, Serge Reggiani et moi (…) dans des chambres qui n’avaient pas l’eau courante […] et qui donnaient sur un jardinet au bout duquel se trouvaient les commodités ». Le reste de la troupe était logée dans un vrai hôtel Cette idée nous sembla saugrenue pendant vingt-quatre heures, mats lumineuse dès que nous eûmes endossé nos costumes (…). » Anecdote qui révèle aussi cette attention de Becker à mettre ses acteurs en situation.

La place particulière qu’occupe Casque d’or dans l’œuvre de Becker tient au fait qu’il synthétise à la fois les acquis de cette période libératoire de sa filmographie, tout en réintroduisant certaines caractéristiques du cinéma classique. Le choix de réaliser un film qui se déroule à la Belle Époque est un des premiers signes de ce rapprochement avec le classicisme cinématographique de l’après-guerre, très friand de ces époques passées, et qui différencie assez nettement Casque d’or des comédies contemporaines que Becker tourne depuis 1946.

C’est aussi un sujet plus dense, à la tonalité plus grave : une passion amoureuse finissant dans la tragédie. Comme pendant sa période « classique », de Dernier Atout à Falbalas, le cinéaste fait a nouveau mourir ses personnages : Manda (Serge Reggiani), Leca (Claude Dauphin), Raymond (Raymond Bussières)… De plus, il fait appel à un scénariste professionnel reconnu : Jacques Companeez (Les Bas-Fonds de Renoir, L’Alibi et La Maison du Maltais, tous deux de Pierre Chenal… ) qui n’a pas le même profil que les jeunes collaboratrices (Françoise Giroud, Annette Wademant) avec lesquelles Becker a travaillé pour ses « films de couple ». Même si Companeez n’intervient que dans la dernière partie du scénario (que le cinéaste n’arrivait pas à terminer), son apport est cependant décisif : « C’est lui qui a imaginé l’arrestation de Bussières machinée par Leca pour aboutir à la situation de Manda se livrant aux flics pour foire libérer son ami ». L’histoire est d’ailleurs construite selon une progression dramatique plus classique que dans les précédents : les rebondissements y sont notamment plus nombreux (rixe mortelle, arrestation, emprisonnement, exécution capitale).

Pour incarner les principaux personnages de son film, Becker rompt là encore avec une méthode qui semblait prédominer depuis Antoine et Antoinette. A la place d’acteurs inconnus ou débutants, il choisit des comédiens plus confirmés comme Serge Reggiani, Simone Signoret, Claude Dauphin et Raymond Bussières, Et les « éternels » seconds rôles beckeriens Gaston Modot, Yette Lucas…

Mais Casque d’or n’est pas qu’un film classique de plus. Son intérêt est aussi de se libérer, avant l’heure, des contraintes qui pèsent toujours sur le cinéma de l’époque, par exemple en privilégiant, dans un film « criminel », les temps morts qui interrompent l’action (la longue séquence à la campagne où l’on voit Marie et Manda se promener amoureusement dans la forêt, au village) … De même, Becker évite les scènes « dramatique » attendues dans ce genre de film (le meurtre d’Anatole par la bande à Leca n’est pas montré, ni le casse du Crédit Lyonnais dont l’argent est partagé au début du film) ou les tourne différemment, sans violence excessive, (le plan sur la main de Roland, pendant le combat mortel avec Manda, qui caresse doucement le visage de ce dernier avant de s’immobiliser définitivement). Chez Becker, les personnages se définissent davantage par ce qu’ils sont que par ce qu’ils font.

C’est avec le même souci d’épurer sa mise en scène, que le réalisateur filme les scènes d’émotion avec une économie de moyens qui redouble leur effet au lieu de les noyer sous des flots de sentimentalité. Nulle déclaration d’amour alambiquée pour signaler le « coup de foudre », entre Manda et Marie mais, un simple échange de regard au cours d’une valse. Nul comportement hystérico-Iacrymal de Marie quand elle voit la tête de son amant tomber dans le panier à la fin du film mais des yeux figés par la douleur et un visage qui se penche doucement au son du Temps des cerises (le peuple est encore une fois vaincu) pendant que défile sous nos yeux l’image de la valse des deux amants qui aurait pu se prolonger si Leca (représentant de la petite bourgeoisie) n’avait dénoncé Raymond à la police.

Dans le même esprit toujours, Becker fuit les « mots « d’auteur » qu’affectionnent les scénaristes de la IV » République. Pas d’effet littéraire dans les répliques de Casque d’or mais une parole sobre, juste, conforme à l’image des personnages. Reggiani, par exemple, parle très peu : tout passe par ses gestes ou son regard. Le cinéaste s’en explique avec lucidité : « Jamais les scénaristes dialoguistes n’auraient eu l’idée de se contenter de cela ; mais s’ils dialoguaient les scènes en les découpant directement (…) ils ne pourraient plus prolonger à loisir le dialogue tels qu’ils aiment le faire. Quand on fait de la mise en scène, on dialogue peu parce qu’on cherche à donner le plus de vie et de vérité possible à la scène et au jeu. » On comprend aisément combien cette déclaration de Becker en février 1954 devait plaire aux futurs cinéastes de la Nouvelle Vague qui l’interrogeaient alors : Jacques Rivette et surtout François Truffaut, dont le fameux article « Une certaine tendance du cinéma français » venait de paraître un mois plus tôt.

Casque d’or reprend enfin tous les thèmes récurrents du cinéaste. On retrouve les configurations habituelles de personnages : le couple dans sa version passionnelle (Marie-Manda) et le groupe (la bande à Leca) avec ses contradictions internes : l’amitié de Raymond pour Manda et son appartenance à la bande à Leca, l’amour de Marie pour Manda contre souteneur… Le film est aussi un hymne à l’amitié masculine (Manda se dénonce pour sauver Raymond de la guillotine) et, surtout un des plus beaux portraits de femme dans le cinéma français de cette époque. Grâce à l’interprétation éclatante de Simone Signoret, Casque d’or représente d’abord un personnage de femme libre, insoumise, qui brave tous les interdits sociaux, sexuels et moraux pour vivre jusqu’au bout sa passion amoureuse : c’est elle qui « drague » Manda, défie son souteneur et le chef de la bande, organise l’évasion de son amant. Il faudra attendre l’arrivée des jeunes cinéastes à la fin. des années 1950 pour retrouver des personnages féminins d une telle liberté. [Jacques Becker – Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

Il est d’ailleurs possible, comme l’écrivent Burch et Sellier, que l’insuccès critique et public du film puisse s’expliquer par « le tranquille défi de ce personnage féminin [qui] constituait sans doute en 1952 une provocation trop directe, malgré le camouflage de la Belle Époque, pour que le public et les critiques (masculins) puissent le supporter ». Il faut pourtant nuancer l’affirmation selon laquelle le film aurait été unanimement mal accueilli, Il y eut, en effet, de grandes plumes « négatives » comme Jacques Doniol-Valcroze (dans France-Observateur), Henri Magnan (dans Le Monde) ou André Bazin (dans Le Parisien libéré) qui écrivait : « Quand Becker aura trouvé son scénariste comme Carné son Prévert, il fera peut-être enfin de grands films !» Bazin reviendra cependant, sur son jugement en 1955 sous l’influence des « »jeunes Turcs » des Cahiers du cinéma. Mais on trouve aussi des articles élogieux de Georges Sadoul (Les Lettres françaises), Georges Charensol (Les Nouvelles littéraires), Roger Boussinot (L’Humanité), Jean Quéval (Les Cahiers du cinéma), ou Claude Mauriac (Le Figaro littéraire). [Jacques Becker – Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

À sa sortie, Casque d’or a pourtant quelques problèmes. Le film est d’abord amputé par la Commission de censure de quelques plans d’échafaud que Becker fait rétablir facilement. Il s’agit là d’une des raisons, tout de même, pour lesquelles il ne sera pas sélectionné à Cannes. Il est ensuite mis sous séquestre, le temps que le cinéaste gagne son procès intenté par le mari de la véritable « Casque d’or », un ébéniste avec lequel elle avait refait sa vie depuis 1917, lequel reproche à Becker d’avoir filmé « des épisodes outrageants et diffamatoires » pour la mémoire de sa femme, décédée en 1933. Quand le film est enfin visible sur les écrans français, le 16 avril 1952, il ne rencontre pas le public espéré. C’est un échec commercial. Il est cependant plus apprécié par l’Angleterre qui attribue à Simone Signoret le prix de la meilleure interprétation décerné par la British Film Academy. [Jacques Becker – Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]




L’histoire :
Marie (Simone Signoret), dite Casque d’or, vit sous la coupe de Roland (William Sabatier), son souteneur. Un dimanche dans une guinguette, elle rencontre le menuisier Manda (Serge Reggiani) ; coup de foudre. Roland provoque Manda et celui-ci tue celui-là au terme d’un combat au couteau. Obligé de fuir Paris, Manda part à la campagne avec Marie où ils peuvent enfin vivre leur histoire d’amour, jusqu’au jour où Manda apprend par Leca (Claude Dauphin), le chef de la bande à laquelle appartenait Roland et qui, depuis le début, rêve de posséder Marie, que son ami Raymond (Raymond Bussières) a été incarcéré pour le meurtre de Roland. Il se dénonce, va en prison, finit par apprendre que c’est Leca qui a dénoncé Raymond. Il s’évade, tue Leca et meurt guillotiné sous les yeux de Marie qui, au moment où la lame s’abat « secoue convulsivement la tête comme si … elle venait elle-même de recevoir le couperet ! ». Image finale : les deux amants dansent dans la guinguette déserte.
Les extraits

JACQUES BECKER OU LE GOÛT DE LA VÉRITÉ
De tous les metteurs en scène français dont la carrière prit son essor pendant l’occupation allemande, Jacques Becker est, avec Robert Bresson et Henri-Georges Clouzot, l’un des plus intéressants et des plus brillants. Pourtant ce cinéaste, tellement représentatif à certains égards de ce que le cinéma français peut donner de meilleur, est devenu réalisateur presque par hasard, et sans vocation véritable au départ.


DERNIER ATOUT – Jacques Becker (1942)
Bertrand Tavernier s’est longtemps souvenu d’une séquence de poursuite nocturne en voiture, qu’il a mise des années à identifier. C’était Dernier Atout, le premier film de Jacques Becker. Bertrand Tavernier commence son Voyage à travers le cinéma français avec le réalisateur de Casque d’or, de Falbalas, d’Édouard et Caroline et du Trou, montrant l’acuité de sa mise en scène, son économie de moyens, et en même temps son attention à la réalité, la justesse des personnages, l’étude précise d’un milieu, d’un métier.

GOUPI MAINS ROUGES – Jacques Becker (1943)
Dans son auberge des Charentes, le clan Goupi attend Goupi Monsieur, le petit-fils qui a réussi à Paris. Ce soir-là, l’aïeul, Goupi l’Empereur, a une attaque, de l’argent est volé, l’acariâtre Goupi Tisane est assassinée. Et toute la famille ne pense qu’à retrouver un magot caché dans la maison… On est frappé par la modernité de ce film sorti sous l’Occupation, le deuxième de Jacques Becker après Dernier Atout — deux oeuvres qu’il put tourner en échappant au stalag après avoir simulé des crises d’épilepsie.

TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954)
Classique par son sujet, le film tire son originalité et son phénoménal succès du regard qu’il porte sur ces truands sur le retour. Nulle glorification de la pègre ne vient occulter la brutalité d’hommes prêts à tout pour quelques kilos d’or. Délaissant l’action au profit de l’étude de caractère, Jacques Becker s’attarde sur leurs rapports conflictuels, sur l’amitié indéfectible entre Max et Riton. Et puis il y a la performance magistrale de Jean Gabin. Il faut le voir, la cinquantaine séduisante et désabusée, prisonnier d’un gigantesque marché de dupes, regarder brûler la voiture qui contient les lingots et quelques minutes plus tard apprendre, au restaurant, la mort de son ami.
DE VRAIES MOUSTACHES (par François Truffaut, 1964)
Dans le film de Ernst Lubitsch To be or not to be, pendant quelques minutes des officiers allemands s’emploient à se tirer réciproquement la moustache afin de démasquer, parmi eux, l’imposteur.
Inutile de soumettre à cette épreuve les personnages de Casque d’Or, chaque poil de la moustache de Serge Reggiani étant garanti hors compétition dans ce festival de l’authenticité.
Par ailleurs Casque d’Or est le seul film que Jacques Becker, d’ordinaire tatillon, minutieux, maniaque, inquiet et parfois tâtonnant, ait filmé d’un trait, très vite, d’un seul élan, droit au but. Il a écrit lui-même ce dialogue très parlé, absolument naturel et si économique que Reggiani ne prononce, parait-il, pas plus de soixante mots.
Pour tous ceux qui aiment Casque d’Or, il est évident que Simone Signoret et Serge Reggiani ont trouvé là leur meilleur rôle même si le public français – mais non l’anglais décidément plus fin – semble avoir boudé cet accouplement paradoxal, beau justement par son paradoxe : un petit homme et une grande femme, un petit chat de gouttières tout en nerfs et une belle plante carnivore qui ne crache pas sur le fromage.
Si l’on s’intéresse à la construction des histoires, comment ne pas admirer l’ingéniosité du scénario et particulièrement la façon si puissante, détournée et inattendue d’arriver abruptement à l’exécution de Manda par l’Intermédiaire d’une scène aussi belle que mystérieuse, l’arrivée de Casque d’Or dans un hôtel borgne en pleine nuit ? Avec mes amis scénaristes, quand nous sommes en panne, bien souvent il nous arrive de dire : « Et si on adoptait une solution – Casque d’Or ? »
Casque d’Or, qui est d’abord un film de personnages est aussi une grande réussite plastique : la danse, la rixe dans l’arrière-cour, le réveil à la campagne, l’arrivée de Manda devant la guillotine, soutenu par un prêtre, toutes ces images sont des couvertures du « Petit Journal » ou de « l’Illustré » et cet enchantement de l’ œil me confirme dans l’idée, que le cinéma a une vocation populaire et qu’il se trompe lorsqu’il prétend animer des peintures célèbres.
Casque d’Or, parfois drôle et parfois tragique, prouve enfin que par l’utilisation raffinée du changement de ton, on peut dépasser la parodie, regarder un passé pittoresque et sanglant et le ressusciter avec tendresse et violence.

Certaines photos de cette page ont été publiées avec l’aimable autorisation de Gérard Gagnepain détenant les droits d’auteur légués par le photographe Marcel Thomas.
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