Le Film français

LA CHIENNE – Jean Renoir (1931)

Le Crime de Monsieur Lange, La Grande Illusion ou, après-guerre, Le Fleuve, ont imposé l’image de Jean Renoir comme un auteur humaniste. Mais « le patron » pouvait aussi se révéler un redoutable misanthrope et un grand cinéaste de la cruauté, dans la lignée d’Eric von Stroheim. La Chienne, drame caustique de la petite bourgeoisie, est son œuvre la plus noire. Un théâtre de marionnettes (le film s’ouvre et se clôt sur des images d’un spectacle de Guignol) dont les personnages sont piégés par leurs pulsions… et par la perversité d’un réalisateur-démiurge qui se plaît à inverser les rôles : un proxénète va être condamné pour le seul crime qu’il n’a pas commis, alors que le vrai coupable, le brave caissier d’une bonneterie, ne sera pas inquiété… Michel Simon est prodigieux dans le rôle de ce petit homme, modeste employé et peintre frustré par une épouse revêche, soudain aveuglé par la passion. Mais Janie Marèse, la petite prostituée qui le manipule parce qu’elle est elle-même sous l’emprise de son « mac », et Georges Flamant, le souteneur-séducteur sans scrupules, ne sont pas mal non plus. L’électricité qui circule entre les trois est à très haute tension, peut-être parce que sur le tournage, la fiction rejoignit souvent la réalité : le futur interprète de Boudu était tombé fou amoureux de sa jeune partenaire, laquelle entretenait alors une liaison torride avec le beau Flamant… [Samuel Douhaire – Télérama (2023)]


Première grande œuvre de Jean Renoir, ce film est d’une extrême modernité. Le cinéaste joue avec les systèmes représentatifs, casse sa narration par des hors-champs qui deviennent d’authentiques contrepoints, libère sa direction d’acteurs de toute tradition théâtrale. Le jeu de Georges Flament (Dédé) est un modèle de naturalisme calculé, l’intonation de sa voix redoublant les choix de son vocabulaire. Les scènes de rues, l’omniprésence de Montmartre, de ses escaliers et de ses « becs de gaz » confèrent à cet ouvrage, qui donne si souvent l’impression d’avoir été pris sur le vif, un air d’époque et en font presque un document ethnographique. Au début des années 1930, Renoir fait encore démonstration de son savoir-faire : angles de prises de vues inhabituels, virtuosité du montage. Renoir, attaqué par la critique, cherche encore à faire ses preuves.

Mais cette fois, le ton est donné. Par-delà ses aspects de document sociologique (l’univers du peuple de Paris, de la petite pègre et des marchands de tableaux), Renoir filme « l’invisible » : ce qui se passe « derrière les fronts, derrière les crânes ». Prisonnières de références imaginaires à des partenaires idéaux, les victimes se torturent ici avec une touchante application. Adhérant encore à une conception tragique de l’existence, Renoir met en place la triade d’un amour impossible. Chacun s’éprend de celui ou de celle qui ne l’aime pas et dédaigne son prétendant, cependant tout à sa dévotion. Le cinéaste jette un premier regard de lucidité sur les sentiments amoureux. Les images comptent davantage que les personnes vivantes. Maurice Legrand – évidemment admirablement joué par un Michel Simon capable de moduler son personnage par la seule plastique de son corps – se jette dans ce désastre avec une naïve bonne volonté. Il se délecte de son propre sacrifice. Au bout du compte, il obtient ce qu’il a toujours recherché mais à son insu : le dénuement absolu sur fond de désolation sans fin. Extrême acuité de Jean Renoir : le sujet poursuit un idéal dont la réalisation s’avère un enfer. C’était là son désir. [Jean Renoir – Daniel Serceau – Filmo n°12, Edilio (1985)]


La Chienne tient aussi de la tragédie antique, en jouant sur l’égarement des personnages (et sur leur bêtise aussi), un peu à la façon d’Andromaque : Hermione est amoureuse de Pyrrhus, Pyrrhus est amoureux d’Andromaque, mais Andromaque est amoureuse d’un mort. Ici Maurice est amoureux de Lulu qui ne l’aime pas (et le méprise), Lulu est amoureuse de Dédé qui ne l’aime pas (mais la bat allègrement), et Dédé n’aime personne. On se doute que tout cela ne finira pas très bien. La Chienne est une tragédie, mais avec une bonne part de bouffonnerie. Dès l’ouverture du film, le spectateur est averti – et dans le plus déconcertant des cadres, un castelet où surgissent des marionnettes et Guignol en personne : La pièce que nous allons vous montrer n’est ni un drame ni une comédie. Elle ne comporte aucune intention morale et elle ne vous prouvera rien du tout.

Tous les mots sont importants : l’histoire va se dérouler dans un espace insolite, entre drame et vaudeville, et il ne faudra en tirer aucune leçon. C’est l’anarchisme de Jean Renoir, celui qui explosera bientôt dans Boudu, qui s’installe avec La Chienne. Il n’y a pas de morale à attendre du film puisque tout y est mensonge, faux-semblant et dissimulation, comme dans la vie, entre des pantins qui s’agitent en vain. Toujours dans le prologue, la présentation de Lulu est d’ailleurs aussi joliment paradoxale qu’explicite : « Elle est toujours sincère, elle ment tout le temps. » Et tous mentent effectivement aux autres et à eux-mêmes : Maurice (Michel Simon) en trompant sa femme, en trompant son employeur, en se trompant lui-même quand il se perd dans ses identités (comptable ou peintre ?); Lulu (Janie Marèse) trompe Maurice Legrand, avec Dédé évidemment mais aussi en lui volant ses tableaux et sa signature ; Dédé (Georges Flamant) trompe le monde (jusqu’à lui-même au moment de sa « défense » suicidaire lors du procès) ; l’adjudant trompe tout le monde, la société, sa femme, en changeant d’identité…

Ainsi va le monde dans cet entre-deux-guerres, incertain et assez misérable, où des grandes crises s’annoncent et où la France ne sait plus se situer entre optimisme béat qui commence à s’effondrer, angoisse liée à la crise, peur des extrémismes qui montent ou refuge dans des rêves utopiques… C’est sur ce terreau que s’exprime l’anarchisme de Jean Renoir – avec par ailleurs une symbolisation très étrange, portée par les intellectuels de l’époque, un étrange éloge de la clochardisation (que l’on retrouvera dans des termes très voisins dans des films importants et exactement contemporains, À nous la liberté ou Boudu): par-delà les identités sociales mensongères, l’expression sans limites de la « liberté » dans les errances du clochard ; c’est là que le comptable « modèle » ou l’artiste méconnu (de lui-même) et méprisé, au-delà des mensonges sociaux et des masques, trouvera sa véritable identité…

La scène assez remarquable du meurtre de « la chienne », filmée dans un magistral hors-cadre, permet d’éviter à la fois tout pathos, toute perspective moralisante et tout naturalisme sanglant et voyant qui passerait à côté de l’essentiel : son rire à elle, bien au-delà de la moquerie ou du mépris, un gros plan sur le coupe-papier sur le lit, un changement de plan vers l’extérieur de l’immeuble, sur les chanteurs de rue et la foule très populaire massée autour d’eux, un travelling sur la façade lépreuse de l’immeuble et sur ses fenêtres, un passage au noir, un gros plan sur un chat de gouttière avant de revenir dans la chambre…

Tout est dit sur l’état du monde en 1931. La réalisation est ainsi aussi sobre que signifiante. Peu avant la scène du meurtre, une autre scène essentielle, celle où Maurice Legrand entrant inopinément dans l’appartement y surprend les amants, est tout aussi remarquablement réalisée. Après la découverte et la sidération qui en résulte, la caméra est placée à l’extérieur de l’immeuble, à hauteur de la fenêtre de la chambre, avec le bruissement de la pluie en son direct – et pour la première fois, la seule fois du film, le spectateur est objectivement confronté à la réalité et ne peut plus se dissimuler derrière le regard des protagonistes ni derrière leurs mensonges dans les successions de champ contrechamp. C’est l’instant clé du film.

On soulignera également une utilisation très intéressante du son – alors que Renoir vient tout juste de découvrir le cinéma parlant (il a tourné On purge bébé quelques mois auparavant) : la prise directe du son en extérieur, inédite à l’époque, avec tous les bruits de la ville, particulièrement forte lors de la scène du meurtre en hors-champ (musique et chanson des chanteurs de rue, bruit des voitures, des pièces qui frappent le sol), tout cela contribue à créer une atmosphère enveloppante, à la fois réaliste et poétique.

Dans un contexte aussi puissant, Michel Simon, encore peu connu, était à l’évidence l’interprète idéal – tour à tour timide, effacé, passionné, abattu, violent, indigné, malin, cynique, vindicatif et finalement euphorique, il parvient à donner à son personnage pathétique une dimension à la fois humaine et paradoxalement emblématique. Quant à Janie Marèse, jeune actrice quasi débutante (elle avait déjà eu quelques mois, auparavant un rôle important dans Mam’zelle Nitouche), dans le rôle de La Chienne, elle ne joue sans doute pas très juste, mais dégage une vulgarité très physique et assez fascinante. Elle devait mourir peu après le tournage dans un accident de voiture (le véhicule étant d’ailleurs piloté par Georges Flamant. son amant du film). Outre-noir. [Une histoire du cinéma français 1930-1939 – Philippe Pallin, Denis Zorgniotti – Ed. LettMotif (2020)]


Un guignol balzacien (par Claude Beylie)

La Chienne, comme toute l’œuvre de Renoir d’avant guerre, où il jette les bases de l’éthique et de I’esthétique qui lui sont propres (jusqu’à La Règle du Jeu, qui en sera l’aboutissement), est un film entièrement fondé sur un système de contrastes. Ceux-ci en constituent l’armature maîtresse, en commandent la structure interne et externe, en expliquent l’étonnante richesse (par delà une donnée résolument simpliste). Voyons quelques-uns de ces contrastes.

Nous frappe d’abord la différence de milieu qui sépare les protagonistes : bourgeois respectables d’une part, maquereaux et putains de l’autre. Rarement à l’écran leur présentation aura été aussi crue, aussi peu retouchée. Là résidait, pour les contemporains, la grande audace : seuls les Allemands (Lang, Pabst), ou Stroheim dans ses films américains, s’étaient aventurés aussi loin. Mais que l’on creuse un peu, et l’on s’aperçoit que ce vernis social est un leurre, que les extrêmes se touchent : le caissier rentre-tôt aspire à s’encanailler, tout comme du reste ses collègues de bureau, avec seulement moins de précaution qu’eux ; inversement, la fille rêve d’une vie tranquille auprès de son amant, comme sa copine de salles de bains et d’aspirateurs. De la vie professionnelle rangée à la cloche, de la promiscuité conjugale aux galipettes galantes, il n’y ‘a qu’un pas. Le dehors des individus cache un dedans pitoyable ou dérisoire, au choix. Et nul n’est épargné dans ce jeu de massacre : si la femme est traitée de chienne, l’homme est soit un roquet hargneux (Dédé), soit un gros toutou se transformant en bouledogue (Legrand), dans un entourage de cabots minables (Langelarde, Wallstein, etc.). Que l’humaine condition ait des relents d’animalité, c’est, on le sait, un thème cher à Renoir, de Nana à La Bête humaine, de Boudu à Cordelier.

Ces personnages, en outre, mentent tous : les uns aux autres et chacun à soi-même (comme feront, avec plus d’élégance, ceux de La Règle du Jeu). Lulu ment à Legrand en jouant les saintes nitouches, Dédé ment à Gustave en lui racontant sa première rencontre avec Legrand, tous deux mentent au marchand de tableaux sur l’origine des toiles, Legrand ment à sa femme et à ses collègues (et même à Lulu, à qui il a fait croire qu’il a épousé « la veuve d’un colonel »). Adèle s’illusionne sur les vertus de son premier mari, Godard se fait passer pour un autre, etc. L’hypocrisie ou la dissimulation sont de rigueur, du haut en bas de l’échelle sociale, et il n’est pas surprenant dans ces conditions que la justice elle-même soit mystifiée. Le « double jeu » l’emporte sur toute la ligne. La vérité intérieure d’un être est pourtant sur le point d’éclater quelquefois : Legrand s’affaissant dans la salle d’audience, Dédé au petit matin de l’exécution. Le guignol humain est alors en passe de virer au noir, mais bien vite tout rentre dans l’ordre. C’est un marché de dupes permanent, un  « jeu auquel les plus faibles succombent », étant entendu qu’une apparence de faiblesse peut cacher une force inavouée, et vice-versa. Du reste, ce que l’on voit sur la façade correspond rarement à ce qui se trame derrière : Legrand s’éloigne confiant en regardant la fenêtre allumée de sa maîtresse qu’il croit seule, Lulu se précipite espérant accueillir son amant et trouve l’autre derrière la porte, Dédé entre chez le juge persuadé qu’il va être innocenté, etc. D’où l’alternance subtile de scènes d’extérieur et d’intérieur, culminant lors de la séquence du meurtre de Lulu, avec le contraste poignant de la sérénade faubourienne au dehors (idée reprise et développée dans Madame Bovary et La Bête humaine). On observera également que plusieurs scènes ou répliques sont construites en « rime » sarcastique avec une autre. Ainsi, par exemple : « Je vous écrirai », dit Lulu à Legrand pour s’en débarrasser, et plus tard, à son amant, implorante : « Tu m’écriras ? ». Ou bien : « Embrasse-moi mieux que ça », dit Legrand à Lulu, phrase que celle-ci reprendra textuellement devant Dédé. La petite fille qui chante « Marlborough s’en va t’en guerre » dans l’appartement d’en face ne se doute pas de la portée ironique de sa chanson, tout comme Dédé Jouant aux cartes ignore que s’y trouve inscrit en filigrane son destin.

Contrastes dans l’interprétation : Michel Simon – dont ce fut à coup sûr l’un des plus grands rôles – a un jeu étonnamment « rentré » (il ne prononce pas trois cents mots durant la première heure), jusqu’au moment où il se croit délivré de ses chaînes : de pauvre hère passif, et berné par tout le monde, il se transforme en brillant « metteur en scène » (séquence nocturne avec l’adjudant dans la cuisine). En sens inverse, Flamant est tout en extériorité et faconde, jusqu’à ce qu’il craque, dans le box, lamentablement. Est-il besoin de souligner combien tout cela s’agence diaboliquement, comme si un destin sournois tirait les ficelles ? Guignol, encore et toujours…

Tout est vrai, en somme, dans La Chienne, parce que tout y est faux (chef-d’œuvre du contraste !) : extraordinaire leçon que Renoir donne – en 1931, alors que le cinéma parlant commence à peine – aux tenants d’un « réalisme » épidermique, plaqué, qui professent une foi aveugle en l’apparence. Lui au contraire atteint, sans coup férir, une vérité profonde parce qu’il se moque éperdument de cette apparence, qu’il tourne résolument le dos au naturalisme, lui préférant les voies royales de la satire et du burlesque. Exemples de moments de fabuleuse drôlerie dont fourmille ce drame : la scène de ménage sous le portrait de l’adjudant, les gestes de Legrand fauchant en douce l’argent de son épouse, ou la lutinant après boire, la chaussure du petit avocat qui grince, la déposition du Colonel à la barre, la leçon de morale de M. Henriot, l’épilogue qui semble annoncer Boudu, etc…

« Le tout dans la vie, c’est de rigoler » : cette remarque d’un collègue de Legrand pourrait fournir une assez bonne conclusion, à laquelle se rangera d’ailleurs son interlocuteur après avoir essuyé quelques méchants coups du sort. Faut-il voir dans cette dialectique du cocasse et du tragique, de la vérité et du mensonge, de la morale figée et du je-m’en-foutisme anarchique, une part d’autobiographie, Renoir étant sur le point de jeter sa gourme, avec éclat, après avoir sagement fait ses classes ? Sans doute, à condition de ne point en déduire je ne sais quelle automystification, teintée de complaisant opportunisme, ainsi que le voudraient certains de sas détracteurs. Très haut au-dessus de ce petit monde qui s’agite mesquinement, il faut imaginer un esprit lucide, combatif, mordant, sans illusions, détaché déjà, à la fois cynique et bon enfant.

La Chienne est ainsi le premier des « drames gais » mis en scène par un artiste qui a su tirer les leçons, non pas contradictoires mais harmonieusement contrastées, de Zola, de Céline, de Courteline et du Guignol des Tuileries où le menait sa nourrice lorsqu’il était enfant. C’est une tragédie navrante et c’est une pittoresque bouffonnerie ; c’est un règlement de comptes avec un passé proche (où se rencontrent pêle-mêle, les épouses acariâtres, les copains de régiment, les peintres de Montmartre et les marchands de tableaux sans scrupules) et un pari sur l’avenir ; c’est un film tout pétri d’humanité et qui nous plonge en pleine féerie. De même que le timide employé de banque oublie sa cage de caissier en peignant des belles femmes à leur fenêtre qui, rêvent près de cages d’oiseaux bucoliques, de même que les médiocres ambiances de bastringue sont sublimées par le décor fleuri des pianos mécaniques, de même le cinéaste Renoir a pris la boue informe de la réalité et l’a modelée en riante ballade d’amour et de mort. [L’Avant-Scène Cinéma – La Chienne – n°162 (octobre 1975)]

Jean Renoir (sur le tournage de La Chienne)

L’histoire

De retour d’un banquet d’affaires, Maurice Legrand (Michel Simon), modeste employé de bureau, croise un couple sur les hauteurs de Montmartre. L’homme, Dédé (Georges Flamant) frappe sa compagne Lulu (Janie Marèse). Legrand intervient et se fait rabrouer par la jeune femme. Mais celle-ci, sur les conseils de son ami qui se révèle être un souteneur, entreprend de séduire le serviable passant. Maurice a épousé une femme acariâtre, Adèle (Magdeleine Bérubet) qui vit dans l’admiration de son premier et défunt mari, Alexis Godard (Roger Gaillard). Elle ne supporte pas le violon d’Ingres de son nouvel époux, la peinture, et lui intime l’ordre de la débarrasser de ses croûtes. Maurice les installe dans le petit appartement qu’il loue pour Lulu, devenue sa maîtresse. Mais Dédé a besoin d’argent et décide de les vendre. Lulu les signe du nom de Clara Wood. Très vite, « l’artiste » se fait une place dans le monde, il est vrai au moyen de ses charmes. Legrand rencontre accidentellement Alexis Godard, disparu sous un faux nom pour échapper à son épouse. Maurice propose à Godard de venir dérober un peu d’argent au domicile de son ex mais officiellement toujours épouse. Il monte un guet-apens et se retire la tête haute, laissant Adèle au bras de son légitime époux. Le cœur à l’aise, il se précipite chez Lulu espérant passer enfin une nuit entière avec elle. Il Ia découvre couchée avec Dédé. Au matin, il veut lui pardonner. Lulu se gausse de lui. Il Ia tue. Dédé est condamné à mort à sa place. Legrand finit clochard et retrouve Godard, mendiant lui aussi.



« Je nourris pour La Chienne une immense tendresse, parce que c’est le premier, et l’un des rares films auquel j’ai le sentiment d’avoir vraiment collaboré. Un film dans lequel je me suis mis tout entier, en toute liberté. Je les compte sur les doigts d’une seule main. Ça m’est arrivé une autre fois avec Renoir, et ce fut Boudu. » [Propos recueilli par Claude Gauteur, Art et Essai n° 12, juillet 1966]


FRITZ LANG ET DUDLEY NICHOLS [autour de Scarlet Street et de La Chienne]
Scarlet Street (La Rue Rouge) est le premier projet que Diana Production met en chantier. Ce sera la production la plus indépendante et la plus autonome de Fritz Lang à Hollywood. Ce sera aussi la première fois depuis House Across the Bay (1940) d’Archie Mayo avec George Raft (dont par ailleurs les scènes aériennes ont été filmées par Hitchcock), que Joan Bennett collabore avec le producteur Walter Wanger sur un projet.


Les extraits

Le film a fait l’objet d’un remake américain : Scarlet Street (La Rue rouge), réalisé par Fritz Lang en 1945, avec Edward G. Robinson, Joan Bennett et Dan Duryea.

SCARLET STREET (La Rue rouge) – Fritz Lang (1945)
Tout à fait dans la manière de Fritz Lang, Scarlet Street est un film très sombre relatant l’histoire d’un homme ordinaire aux prises avec les forces du mal ; il succombe d’abord au vice, puis au crime. Kitty March et Johnny Prince comptent parmi les « méchants » les plus désinvoltes du film noir, amoraux jusqu’à en être troublants.


JEAN RENOIR : UNE VIE AU SERVICE DU CINÉMA
Considéré par beaucoup comme « le plus grand et le plus français des cinéastes français », Jean Renoir aura marqué son temps avec des films où une féroce critique de la société s’alliait à un sens très vif du spectacle.

MICHEL SIMON
Michel Simon est considéré comme l’un des plus prestigieux comédiens du XXe siècle. Sa personnalité se dessine dès l’enfance : un esprit d’une vivacité peu commune, épris de liberté individuelle, un amour éperdu de toute forme de vie et un sens de l’observation extrêmement aigu. A l’épreuve de la vie en société, tout cela composera un humaniste misanthrope dans la grande tradition, d’une sensibilité inquiète et d’une tendresse ombrageuse, mais aussi d’une timidité qui le condamnera à une certaine solitude.


« J’avais envie de faire ce film pour les mêmes raisons qui m’ont poussé à faire bien d’autres films. C’était à cause de mon admiration pour Michel Simon. je pensais que Michel Simon dans le personnage de Legrand serait prodigieux (…) En réalité, ce genre d’histoire, j’en rêvais depuis longtemps. je n’avais pas réussi à le mettre sur l’écran, mais enfin je suis sûr que, même dans Nana, j’ai des choses qui préparent La Chienne (…) En ce qui concerne Michel Simon, je rêvais de le voir sur l’écran avec certaines expressions, avec la bouche pincée d’une certaine façon ; je rêvais de le voir avec cette espèce de masque qui est aussi passionnant qu’un masque de la tragédie antique. Et j’ai pu réaliser mon rêve. » [Cahiers du Cinéma n » 78, Noël 1957]


BOUDU SAUVÉ DES EAUX (Jean Renoir, 1932)
Dans Boudu sauvé des eaux, Renoir fait pour la première fois avec une telle clarté le procès de l’imaginaire en tant que force de dénégation du réel et instrument de conquête d’une identité mensongère. Tout le malentendu autour de l’insuccès puis du succès de ce film vient de là. A travers le personnage de Michel Simon, le spectateur n’accède-t-il pas lui aussi à une illusion de liberté sur fond de dénégation de ses propres contradictions ? Redoublant le génie de Renoir, sa science du décor et de la profondeur de champ, Boudu doit évidemment beaucoup à l’immense talent de Michel Simon. On ne peut même plus parler de direction d’acteur, mais de la rencontre de deux personnalités d’exception en état de grâce. Une œuvre unique dans le cinéma mondial.

TONI – Jean Renoir (1935)
Réalisé avec des acteurs et des techniciens de l’équipe Marcel Pagnol, développé dans son laboratoire de Marseille, et ayant peut-être bénéficié de sa discrète collaboration pour certains dialogues, Toni, entièrement tourné en extérieurs dans le Midi, a plus d’un point commun avec Angèle, tant dans son thème et ses personnages que dans son style, résolument mélodramatique. 

LES BAS-FONDS – Jean Renoir (1936)
L’action des Bas-fonds se situe à la fois dans la Russie des tsars et la France du Front populaire. Renoir n’a pas cherché à tricher. Seuls les noms, les costumes et quelques anecdotes de scénario rappellent le pays de Gorki. Le « réalisme extérieur » ne compte pas. L’auteur du Crime de monsieur Lange parle de la France en 1936. 

PARTIE DE CAMPAGNE – Jean Renoir (1936 – 1946)
Moyen métrage aussi travaillé qu’un film long (selon l’expression de son auteur), ce dix-septième film de Renoir est une œuvre faussement limpide. Simple histoire d’amour pour une banale promenade à la campagne, il porte, jusqu’à en crier, toute la tragédie de l’amour en Occident – une tragédie dont Renoir, de film en film, fera une critique de plus en plus radicale pour en consommer définitivement la fin dans Le roi d’Yvetot.

LA GRANDE ILLUSION – Jean Renoir (1937)
« La Grande Illusion, écrivait François Truffaut, est construit sur l’idée que le monde se divise horizontalement, par affinités, et non verticalement, par frontières. » De là l’étrange relation du film au pacifisme : la guerre abat les frontières de classe. Il y a donc des guerres utiles, comme les guerres révolutionnaires, qui servent à abolir les privilèges et à faire avancer la société. En revanche, suggère Renoir, dès que les officiers, qui n’ont d’autre destin que de mourir aux combats, auront disparu, alors les guerres pourront être abolies : c’est le sens de la seconde partie, plus noire, qui culmine dans les scènes finales entre Jean Gabin et Dita Parlo, à la fois simples et émouvantes.

LA BÊTE HUMAINE – Jean Renoir (1938)
Deux ans après leur première collaboration pour Les Bas-fonds, Gabin et Renoir se retrouvent pour porter à l’écran le roman d’Émile Zola. À la fois drame social et romance tragique, La Bête humaine s’avérera l’un des chefs-d’œuvre de l’immédiat avant-guerre. 

LA RÈGLE DU JEU – Jean Renoir (1939)
Devenu culte après avoir été maudit (mutilé, censuré…), ce vaudeville acide a été conçu dans l’atmosphère trouble précédant la Seconde Guerre mondiale, à une époque où une partie de la société française ignorait qu’elle dansait sur un volcan. Jean Renoir s’inspire de Beaumarchais et de Musset. Et il dirige ses comédiens, inoubliables, en pensant à la frénésie de la musique baroque, à la verve trépidante de la commedia dell’arte : Dalio en aristo frimeur, Carette en braconnier gouailleur, Paulette Dubost en soubrette, Gaston Modot en garde-chasse crucifié.

FRENCH CANCAN – Jean Renoir (1954)
Le film dont Jean Gabin attaque le tournage à l’automne 1954 est, à plusieurs titres, placé sous le signe du renouveau. Tout d’abord parce qu’il s’agit de son tout premier film en couleurs. Ensuite, parce que l’aventure de French Cancan marque la fin d’une des bouderies les plus regrettables du cinéma français : en froid depuis la Seconde Guerre suite à des choix de vie divergents, Gabin et Jean Renoir trouvent dans ce projet le prétexte à des retrouvailles sans doute espérées de part et d’autre depuis longtemps.


2 réponses »

  1. Bonjour,

    Je souhaite exprimer mon appréciation pour vos contenus. Grâce à cet article, j’ai pu découvrir un film intéressant que je ne connaissais pas. Votre travail contribue à élargir mes horizons cinématographiques.

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.