Etonnante rencontre du film policier et de la comédie musicale, cette réalisation de William Wellman révèle au public de 1943 une nouvelle facette du talent de la grande Barbara Stanwick.



Pour comprendre l’intrigue de Lady of burlesque (L’étrangleur), il faut la restituer dans son contexte : celui du music-hall américain des années 1930. En ce sens, le film de William Wellman est déjà, en 1943, un film historique, puisqu’il décrit un monde qui vient de disparaître. Contrairement au music-hall tel qu’il a pu exister en France, le music-hall américain n’est pas une entité homogène, et on y distingue deux grands courants. D’une part, le « Vaudeville », terme qui ne désigne pas comme en français un genre théâtral, mais un spectacle où se succèdent danseurs, chanteurs, acrobates, et magiciens, le tout dans une atmosphère se voulant artistique et élégante – c’est le cas des fameuses Ziegfeld Follies. D’autre part, le « Burlesque », qui s’adresse à un public beaucoup plus populaire : ses deux principaux ingrédients sont des sketches comiques souvent crus et des numéros de strip-tease. Les salles spécialisées dans ces programmes sont donc régulièrement la cible de descentes de police pour « outrage aux bonnes mœurs » – jusqu’à leur interdiction pure et simple en 1937. C’est la forte réprobation sociale liée à ce type de divertissement qu’il faut garder en tête en regardant L’Etrangleur, ironiquement intitulé en anglais Lady of Burlesque.

Dès sa parution en 1941, le livre The G-String Murders suscite la convoitise des producteurs. Signé par la célèbre strip-teaseuses Gypsy Rose Lee, ce roman policier décalé mêle en effet suspense et description émoustillante des coulisses d’un music-hall. David O.Selznick est le premier à mettre une option sur les droits d’adaptation, mais c’est finalement Hunt Stromberg qui met le film en chantier en 1942. Cet homme respecté a été longtemps l’un des fers de lance de la MGM, où il a supervisé entre autres les films de Jean Harlow, la série policière de L’Introuvable et les comédies musicales de Jeannette MacDonald et Nelson Eddy. En désaccord avec Louis B.Mayer, Stromberg a décidé de créer sa propre compagnie et l’adaptation de The G-String Murders est son tout premier projet. Un projet pour lequel il s’adjoint les services du réalisateur William Wellman, une valeur sûre à qui l’on doit notamment The Public Enemy (L’Ennemi public, 1931) et la première version de A Star is born (Une étoile est liée, 1937). Mieux encore, Stromberg parvient à persuader Barbara Stanwyck, l’actrice la mieux payée du moment, de le suivre dans l’aventure.

Barbara Stanwyck et William Wellman se connaissent bien puisqu’ils ont déjà signé quatre films ensemble depuis le début des années 1930. Pour ces deux artistes habitués aux productions de prestige, le tournage de ce film policier mâtiné de comédie musicale constitue une agréable récréation qu’ils abordent avec enthousiasme. Barbara Stanwyck est notamment ravie de se glisser à nouveau dans la peau d’une danseuse de music-hall, un rôle déjà tenu en 1941 dans Ball of fire (Boule de feu, d’Howard Hawks. Cette fois, la danseuse est en outre une strip-teaseuse mais la star ne court pas pour autant le risque de choquer son public, car le bureau de censure veille au grain, interdisant toute représentation d’un vrai strip-tease. Les délégués du Code Hays voient par ailleurs d’un mauvais œil que l’arme du crime soit un string : ils obtiendront que l’objet délictueux apparaisse le plus discrètement possible à l’écran, et que le titre initial du film, G-String Murders (Meurtres au string), soit finalement changé en Lady of burlesque, plus convenable…

Tourné entre décembre 1942 et janvier 1943, le film – intitulé en français L’Etrangleur – réunit autour de Barbara Stanwyck une pléiade d’acteurs formant une troupe de music-hall haute en couleurs. Outre Michael O’Shea et Iris Adrian, le film s’appuie sur des seconds rôles aguerris comme Gloria Dixkson (They won’t forget, They Made Me a Criminal), J. Edward Bromberg (Jesse James, The Mark of Zorro) et Marion Martin (His Girl Friday, The Big Store), une comédienne abonnée aux rôles de ravissantes idiotes. Une véritable vedette de music-hall est également présente en la personne de Pinky Lee, qui interprète le partenaire comique de Michael O’Shea, et entraîne Barbara Stanwyck dans une danse effrénée qui révèle chez l’actrice des talents insoupçonnés. De même, la voix grave de la star se prête fort bien à la chanson-phare du film, « Take It Off The E-String », « Put It On The G-String » écrite par Sammy Cahn et Harry Akst. Nul doute que cette facette inattendue du registre de Barbara Stanwyck, ajoute au parfum de scandale entourant le livre de Gypsy Rose Lee, va contribuer pour beaucoup au succès rencontré par le film à sa sortie en salles aux Etats-Unis, en avril 1943.

L’histoire
Dixie Daisy est l’une des vedettes d’un spectacle burlesque dans un théâtre de Broadway transformé en music-hall. Lolita, une des actrices de la troupe, est retrouvée assassinée. Dixie est très vite soupçonnée à cause de la rivalité qui régnait entre les deux femmes. Mais d’autres crimes inexpliqués sont bientôt commis et Dixie veut mettre en place un piège pour démasquer l’assassin…
Les extraits

LA COMÉDIE MUSICALE
La comédie musicale a été longtemps l’un des genres privilégiés de la production hollywoodienne, et probablement le plus fascinant . Né dans les années 1930, en même temps que le cinéma parlant, elle témoigna à sa manière, en chansons, en claquettes et en paillettes, de la rénovation sociale et économique de l’Amérique. Mais c’est dix plus tard, à la Metro-Goldwyn-Mayer, que sous l’impulsion d’Arthur Freed la comédie musicale connut son véritable âge d’or, grâce à la rencontre de créateurs d’exception (Vincente Minnelli, Stanley Donen) et d’acteurs inoubliables (Fred Astaire, Gene Kelly, Judy Garland, Cyd Charisse, Debbie Reynolds). Par l’évocation de ces années éblouissantes à travers les films présentés, cette page permet de retrouver toute la magie et le glamour de la comédie musicale.

WILLIAM A. WELLMAN
Au début des années 1930, Wellman consolide sa position à Hollywood, tournant 17 films en trois ans pour la Warner. Ces œuvres dont la plus connue est The Public Enemy (L’Ennemi public, 1931), font encore l’unanimité aujourd’hui par leur étonnant modernisme et leur ton très personnel.

BARBARA STANWYCK
D’une enfance difficile, Barbara Stanwyck a tiré une force et une volonté hors du commun. Elle commence au cinéma dès la fin du muet et est propulsée par le metteur en scène Frank Capra qui lui donne des rôles importants. Elle atteint des sommets en incarnant les stéréotypes de l’héroïne du film noir. Elle excelle dans les genres cinématographiques les plus variés : le mélodrame, le western, le film policier, le film noir, la comédie, le film social. Nominée quatre fois pour un Oscar, elle n’en reçut aucun.

CINÉMA ET CENSURE : LE PRÉ-CODE
Les scandales qui secouèrent Hollywood dans les années 1920 déclenchèrent une violente réaction puritaine, qui atteint son point culminant avec l’entrée en vigueur du code Hays en 1934.

Gypsy Rose Lee
Figure étonnante du show-business, cette femme énergique ne s’est pas seulement fait une spécialité de l’effeuillage élégant : elle fut aussi comédienne et auteur de best-sellers.

La célèbre strip-teaseuse doit sa carrière à une mère ambitieuse. Rose Hovick rêve en effet de gloire pour ses deux filles, Louise et June, nées respectivement en 1911 et 1913. Elle les fait débuter dès l’enfance au music-hall, où elle met en vedette « Baby June », plus charismatique. Mais lorsque celle-ci s’enfuit à quinze ans avec un danseur, Louise se voit poussée sur le devant de la scène. Les versions divergent sur les raisons qui ont poussé l’adolescente à intégrer le strip-tease à son numéro, mais c’est en tout cas cette innovation qui lui apporta le succès, sous le nom de Gypsy Rose Lee. La jeune fille, qui ne se déshabille pas totalement, se distingue de ses consœurs en agrémentant son effeuillage de trait d’esprit qui lui valent la réputation de « strip-teaseuse intellectuelle ».

Nouvelle coqueluche de Broadway, Gyps Rose Leee devient l’attraction du Minsky’s Burlesque, un music-hall populaire spécialisé dans les numéros comiques et les strip-teases. Mais sa renommée lui vaut d’apparaître aussi dans des revues plus prestigieuses, comme le Ziegfeld Follies, et c’est en pensant à elle que Rodgers et Hart écrivent pour Pal Joey la chanson Zip ! consacrée à une strip-teaseuse férue, de philosophie… Le maire de New York met toutefois fin à cette carrière en faisant interdire en 1937 les numéros de strip-tease. Gypsy Rose Lee se rend alors à Hollywood, où la Fox lui fait tourner une série de films (sous son vrai nom, Louise Hovick, afin de ne pas déclencher les foudres des censeurs). La jeune femme côtoie ainsi les stars Alice Faye, Don Ameche et Eddie Cantor dans des comédies musicales comme Brelan d’as et Nuits d’Arabie.

Gypsy Rose Lee retourne à New York en 1940 pour remplacer Ethel Merman dans le musical Du Barry Was A Lady, de Cole Porter. Elle poursuit avec le spectacle Star and Garter, monté en 1942 par son compagnon du moment Mike Todd – célèbre producteur et futur mari de Liz Taylor -, et se lance également dans l’écriture. Pour autant, Gypsy ne renonce pas au cinéma : après une apparition dans Le Cabaret des étoiles, elle partage avec Randolph Scott l’affiche du western Belle of the Yukon,puis tient des rôles de moindre importance dans une poignée de films dont Wind Across the Everglades (La Forêt interdite) de Nicholas Ray. Elle donne naissance par ailleurs en 1944 à un fils, fruit de sa liaison avec Otto Preminger. Suite au succès de son autobiographie, parue en 1957, Gypsy Rose Lee deviendra une figure bien connue de la télévision, statut qu’elle conservera jusqu’à sa mort en 1970.

Artiste complète, Gypsy Rose Lee ajoute en 1941 une nouvelle corde à son arc en publiant son premier livre, The G-String Murders, un roman policier situé dans le milieu du music-hall. L’ouvrage, adapté au cinéma sous le titre Lady of burlesque, est bientôt suivi d’un autre « polar », Mother Finds A Body. Prise au jeu, Gypsy écrit également en 1943 la pièce The Naked Genius, produite à Broadway par Mike Todd, et transposée à l’écran en 1946. Mais l’œuvre de Gypsy Rose Lee qui connaît le plus grand retentissement est l’autobiographie qu’elle livre en 1957, trois ans après la mort de sa redoutable mère. En plus de devenir un best-seller, l’ouvrage inspire en 1959 le musical à succès Gypsy : écrit par Jule Styne, Arthur Laurents er Stephen Sondheim, le spectacle offre un rôle en or à la diva Ethel Merman, parfaire en mère ambitieuse. Le film Gipsy, Vénus de Broadway est ensuite tiré du musical en 1962, avec Rosalind Russell et Natalie Wood dans les rôles principaux (trente ans plus tard Bette Midler et Cynthia Gibb incarneront à leur tour Rose Hovick et sa fille aînée dans le téléfilm Gypsy). Quant à la sœur cadette de Gypsy Rose Lee, devenue actrice sous le nom de June Havoc, elle donnera elle aussi sa version des faits dans ses propres mémoires.

GYPSY (Gypsy Vénus de Broadway) – Mervyn LeRoy (1962)
Adapté d’un succès de la scène, le film de Mervyn LeRoy relate la carrière d’une strip-teaseuse pas comme les autres. Un rôle qui permet à Natalie Wood de changer radicalement d’image.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)

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