La Comédie musicale

KISS ME KATE (Embrasse-moi, chérie) – George Sidney (1953)

La MGM réunit en 1953 certains de ses meilleurs artisans, du cinéaste George Sidney au directeur artistique Cedric Gibbons, afin de porter à l’écran un spectacle-événement de Broadway.

Les films tirés de spectacles mythiques de Broadway permettent-ils de se faire une idée de ce que les spectateurs new-yorkais ont pu découvrir lors de leur création ? Comme les musicals de Gershwin ou de Rodgers et Hammerstein n’ont jamais fait l’objet de captations (du moins dans leur version d’origine), il est bien difficile de répondre à cette question. Outre les différences essentielles qui existent par nature entre un spectacle de théâtre et un film, le processus d’adaptation lui-même s’accompagne souvent de nombreuses modifications. On réduit une intrigue jugée trop longue pour le spectateur de cinéma, on ajoute des numéros pour satisfaire la star du film, ou bien on gomme certains éléments afin d’éviter les foudres du Code Hays. Broadway ne vivant pas sous la menace d’une telle censure, beaucoup de spectacles comportent en effet des allusions un peu « lestes » : c’est le cas en particulier de ceux de Cole Porter, passé maître dans l’art du sous-entendu. Certaines chansons du musical Kiss me Kate, comme « Too Darn Hot » et « Brush Your Shakespeare », se sont donc vues soigneusement expurgées lors de l’adaptation du spectacle par la vénérable MGM, sous le titre Kiss me Kate.

Kiss me Kate occupe une place de choix dans l’œuvre de Cole Porter, car il s’agit de son plus grand succès. Monté en décembre 1948 à New York, ce musical a compté plus de mille représentations, avant de connaître un accueil tout aussi enthousiaste à Londres. Influencé par Rodgers et Hammerstein, Porter s’est efforcé pour la première fois d’intégrer véritablement les chansons à l’intrigue – une intrigue basée sur les difficultés rencontrées par un couple d’acteurs divorcés qui se retrouvent pour jouer « La Mégère apprivoisée ». On dit d’ailleurs que le spectacle fut inspiré des conflits ayant réellement opposé les stars de Broadway Alfred Lunt et Lynn Fontanne quand ils jouèrent la célèbre pièce de Shakespeare en 1935… Quoi qu’il en soit, le succès de Kiss me Kate aiguise vite l’appétit des producteurs de cinéma. Le Britannique Alexander Korda se met sur les rangs, mais c’est finalement la MGM qui en décroche les droits, confiant l’adaptation à George Sidney, l’un des spécialistes maison de la comédie musicale (Bathing BeautyAnchors Aweigh, Show Boat…).

Puisque les héros de Kiss me Kate – titre devenu en français Embrasse-moi, chérie – interprètent des extraits de « La Mégère apprivoisée », la MGM envisage d’abord de confier le rôle de Fred à Laurence Olivier, acteur shakespearien par excellence. Quant à celui de Lilli, il est proposé à Deanna Durbin, une star de comédies musicales qui vient de prendre une retraite anticipée. Mais les tractations échouent, et le studio décide finalement de réunir le couple vedette de Show Boat, Kathryn Grayson et Howard Keel. Ann Miller étant choisie pour jouer la tempétueuse Lois Lane, ce personnage se voit considérablement étoffé, notamment grâce à la chanson « Too Darn Hot », qui était chantée par un autre personnage dans le spectacle d’origine. Mais la présence de ces trois têtes d’affiche n’est pas le seul argument commercial de Kiss me Kate, qui se voit en outre tourné en 3-D.

Kiss Me Kate est le second film en relief de la Metro-Goldwyn-Mayer. Le premier avait été quelques mois plus tôt Arena de Richard Fleischer et la M.G.M. espérait ainsi, comme les autres firmes hollywoodiennes de l’époque, s’opposer à la vogue de la télévision grâce à des systèmes techniques capables par leur originalité d’attirer les spectateurs vers les salles de cinéma. Alors que Dial M for Murder (Le Crime était presque parfait) d’Alfred Hitchcock a été réalisé en fonction de ce relief, Kiss Me Kate se contente d’utiliser à diverses occasions les possibilités de ce nouveau gimmick, sans jamais que ce dernier semble utile à l’intrigue. La plupart du temps, d’ailleurs, le film a été exploité dans une version plate. On remarque néanmoins dans le numéro « Why can’t you behave ? « , dansé par Ann Miller et Tommy Rail sur un toit, au milieu de vêtements qui sèchent et sur un fond de buildings, une utilisation assez évidente du procédé relief, notamment lorsque Tommy Rail se suspend à une corde et se dirige directement sur le spectateur…

Sur le plan musical, toutes les chansons sont extraites de Kiss me Kate, à l’exception de « From This Moment On », emprunté à un autre spectacle de Cole Porter. Ce morceau a été rajouté afin d’exploiter le talent des trois danseurs jouant Lucentio, Gremio et Hortensio, qui apparaissent dans ce numéro avec trois partenaires tout aussi douées. L’un de ces couples est formé de Bob Fosse (le jeune homme blond qui effectue un salto arrière) et Carol Haney, appelés tous deux à une belle carrière : le premier deviendra un metteur en scène aussi apprécié à Broadway qu’à Hollywood, où il réalisera Cabaret et All That Jazz (Que le spectacle commence) ; la seconde, qui est à l’époque l’assistante de Gene Kelly (elle a collaboré entre autres à On the Town (Un Jour à New York) et Singin’ in the Rain) sera à la fois une vedette de musicals et une chorégraphe réputée. Bien que toutes les danses de Kiss me Kate aient été réglées par Hermes Pan, le collaborateur attitré de Fred Astaire (il apparaît en marin dans la chanson « Always True to You in My Fashion »), c’est Bob Fosse lui-même qui a chorégraphié le ballet final : un morceau de bravoure qui lui permet de se faire un nom à la sortie du film, en novembre 1953.

Comme Three Little Words (Trois petits mots), également produit par Jack Cummings, Kiss Me Kate a toujours été un film sous-évalué. L’habileté du sujet original, qui mêle le thème de la pièce de Shakespeare aux propres démêlés amoureux de Fred et de LiIIi, est déjà une brillante variation pirandellienne. De son côté, la mise en scène de George Sidney ne se contente pas de filmer platement l’intrigue mais intègre parfaitement les séquences dialoguées, les numéros musicaux et le relief. Beaucoup plus novatrice qu’il n’est de bon ton de le dire, la chorégraphie d’Hermes Pan est une source de surprises. Déchaînée Ann Miller, les jambes nues, danse devant « Howard Keel » et « Ron Randell » – qui joue Cole Porter – et sur une table en chantant « It’s too darn hot. I’d like to sup with my Baby tonight », Howard Keel et Kathryn Grayson interprètent le très brillant « Wunderbar » et Ann Miller danse avec ses soupirants (Tommy Rail, Bobby Van et Bob Fosse) « Tom, Dick or Harry ». James Whitmore et Keenan Wynn, ahurissants, sont les héros de « Brush up your Shakespeare » alors que les décors, très stylisés, sont également étonnants. 

Le film réunit d’ailleurs un groupe exceptionnel de talents chorégraphiques : Hermes Pan, évidemment, Ann Miller, Bobby Van, éblouissant dans Small Town Girl (1953), Tommy Rall et Bob Fosse qui se retrouveront dans My Sister Eileen, Carol Haney et Jeanne Coyne qui étaient respectivement les assistantes de Jack Cole et de Gene Kelly. Bob Fosse, le futur cinéaste de Cabaret, reconnaîtra à propos de Kiss Me Kate : « Ma grande chance et le tournant de ma carrière ont été le moment où le studio m’a laissé faire la chorégraphie d’une petite danse pour moi-même et Carol Haney. » Il s’agit d’une des parties de « From this Moment On » que Hermes Pan considère quant à lui comme « un de ses meilleurs numéros, sinon le meilleur ». Brillant, amusant et élégant, Kiss Me Kate suffit à prouver à quel point la comédie musicale atteint à la MGM. une véritable perfection, que ce soit sous la houlette d’Arthur Freed et sous celle d’autres producteurs, accumulant des chefs-d’œuvre tels que Singin’ in the Rain ou The Band wagon et des films aussi réussis que celui-ci. [La comédie musicale – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1993)]


L’histoire

Le compositeur Cole Porter (Ron Randell) et le metteur en scène-acteur Fred Graham (Howard Keel) souhaitent que Lilli Vanessi (Kathryn Grayson), l’ex-femme de Fred, interprète le rôle principal de « Kiss Me Kate », une pièce musicale adaptée de « La Mégère apprivoisée » de William Shakespeare. Lilli est prête à refuser jusqu’à ce qu’elle apprenne que la volcanique Lois Lane (Ann Miller) qui doit jouer le rôle de Bianca est prête à être Katherine, le personnage que Cole Porter et Fred lui destinaient. Les représentations commencent mais, à la suite d’un quiproquo, Lilli, qui aime toujours Fred, croit que ce dernier lui préfère Lois. Elle décide alors de quitter le spectacle et d’épouser Tex Callaway (Willard Parker). Mais Bill Calhoun (Tommy Rall), le partenaire de Lois, a signé une reconnaissance de dette de deux mille dollars en imitant la signature de Fred. Lippy (Keenan Wynn) et Slug (James Whitmore), deux encaisseurs du créancier de Bill, exigent la somme due et s’opposent au départ de Lilli, ce qui signifierait l’arrêt du spectacle et l’impossibilité pour Fred de les rembourser. Tout s’arrangera finalement pour le mieux. La mort du créancier de Bill, éliminé par un rival, annulera la dette et Fred et Lilli se remarieront certainement, ayant compris qu’ils s’aiment plus que jamais.


Programme musical (sélection)
« Too Darn Hot »
Music and Lyrics by Cole Porter
Sung by Ann Miller
« Why Can’t You Behave »
Music and Lyrics by Cole Porter
Sung by Ann Miller
« Tom, Dick or Harry »
(uncredited)
Music and Lyrics by Cole Porter
Sung by Ann Miller, Tommy Rall, Bobby Van and Bob Fosse
« Brush Up Your Shakespeare »
(uncredited)
Music and Lyrics by Cole Porter
Sung by Keenan Wynn and James Whitmore
« From This Moment On »
(uncredited)
Music and Lyrics by Cole Porter
Sung by Ann Miller, Tommy Rall, Bob Fosse and Bobby Van


LA COMÉDIE MUSICALE
La comédie musicale a été longtemps l’un des genres privilégiés de la production hollywoodienne, et probablement le plus fascinant . Né dans les années 1930, en même temps que le cinéma parlant, elle témoigna à sa manière, en chansons, en claquettes et en paillettes, de la rénovation sociale et économique de l’Amérique. Mais c’est dix plus tard, à la Metro-Goldwyn-Mayer, que sous l’impulsion d’Arthur Freed la comédie musicale connut son véritable âge d’or, grâce à la rencontre de créateurs d’exception (Vincente Minnelli, Stanley Donen) et d’acteurs inoubliables (Fred Astaire, Gene Kelly, Judy Garland, Cyd Charisse, Debbie Reynolds). Par l’évocation de ces années éblouissantes à travers les films présentés, cette page permet de retrouver toute la magie et le glamour de la comédie musicale.


ANCHORS AWEIGH (Escale à Hollywood) – George Sidney (1945)
Anchors aweigh est la première rencontre à l’écran de Gene Kelly et Frank Sinatra, quatre ans avant Take me out to the ball game (Match d’Amour) et On the town (Un Jour à New York). Cette comédie musicale signée en 1945 par George Sidney regorge de bonne humeur, de chansons et de prouesses techniques.

THE HARVEY GIRLS (Les Demoiselles Harvey) – George Sidney (1946)
Lors de son voyage vers Sandrock, où elle doit épouser un beau jeune homme contacté par petite annonce, Susan Bradley sympathise avec un groupe de femmes qui se rendent elles aussi dans cette bourgade afin d’y travailler dans le nouveau restaurant Harvey. Mais arrivée à destination, Susan découvre que le « beau jeune homme » ne correspond pas du tout aux descriptions de ses lettres…  Pur produit de la Freed Unit, le film de George Sidney offre à Judy Garland  l’un de ses rôles les plus populaires. ainsi qu’un Oscar de la meilleure chanson. Genèse d’un western musical.

BATHING BEAUTY (Le Bal des sirènes) – George Sidney (1944)
Interprétée par le clown Red Skelton et la nymphe Esther Williams, cette comédie musicale de 1944 crée l’événement à sa sortie grâce à ses étonnantes séquences aquatiques. 

SHOW BOAT – George Sidney (1951)
A la fin du XIXe siècle, le Cotton Blossom descend le Mississippi avec à son bord la troupe de music-hall itinérante menée par le capitaine Andy Hawks. La fille de ce dernier, Magnolia, rêve de devenir elle aussi comédienne, malgré l’opposition farouche de sa mère. Mais lors d’une escale dans un village, un événement dramatique va venir chambouler l’organisation de la petite compagnie…  Adapté d’un spectacle à succès de Jerome Kern et Oscar Hammerstein II, le film de George Sidney fait partie de ces superproductions musicales dont la MGM a le secret.

PAL JOEY (La Blonde ou la Rousse) – George Sidney (1957)
Le chanteur de music-hall Joey Evans est un séducteur impénitent qui a la réputation de créer des tas d’ennuis à ceux qui l’emploient. Débarquant à San Francisco, il parvient à se faire engager dans un cabaret, où il entreprend de conquérir une jeune danseuse, mais cet homme ambitieux et sans scrupule va également tenter de séduire une femme du monde qui pourrait l’aider à monter son propre établissement.  Sortie en 1957, cette comédie musicale de George Sidney bénéficie de la présence de trois grandes stars (Rita Hayworth – Frank Sinatra – Kim Novak), ainsi que d’une bande originale entièrement signée Richard Rodgers et Lorenz Hart.  


“Here’ s to The Girls »
Director : George Sidney
Music by Roger Edens
Lyrics by Arthur Freed
Sung by Fred Astaire, chorus
Danced by Cyd Charisse, Lucille Ball, chorus
ZIEGFELD FOLLIESVincente Minnelli (1945)


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