Le Film Noir

LE FILM NOIR : NAISSANCE ET HISTOIRE D’UN GENRE

Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang « .

OUT OF THE PAST (La Griffe du passé) – Jacques Tourneur (1947)

De fait, les grands studios – Paramount, Twentieth Century Fox, MGM et Warner Brothers – confiaient généralement ces « films de criminels » à leurs départements de série B, ne les produisant que pour combler les deuxièmes parties de doubles programmes. Les autres majorsRKO, Universal, United Artists et Columbia – ainsi que les studios plus pauvres PRC (Producers Releasing Corporation) les débitaient à la chaîne.

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BODY HEAT (La Fièvre au corps) réalisé (Lawrence Kasdan, 1981)

Compte tenu de ces conditions, noyé sous l’opprobre de la critique et méprisé comme produit bas de gamme par l’industrie du cinéma, comment le genre a-t-il été érigé en film noir ? Comment ces œuvres ont-elles pu exercer une telle influence sur les deux générations suivantes de cinéastes, parmi lesquels Roman Polanski, Francis Ford Coppola, François Truffaut, Martin Scorsese, Claude Chabrol, Lawrence Kasdan, Luc Besson, Quentin Tarantino, Takeshi Kitano, David Fincher, Bertrand Tavernier, Stephen Frears, Spike Lee, Bryan Singer, Neil Jordan, pour ne citer qu’eux ? Comment, retrouvant un nouveau souffle baptisé néo-noir, a-t-il pu se renouveler sans s’épuiser pendant plus de trois décennies ? Baptisé ainsi par Todd Erickson et analysé pour la première fois dans la deuxième édition de son ouvrage Film Noir : An Encyclopedic Reference to the American Style (1987), le néo-noir est né avec des films comme Chinatown de Polanski (1974), The Conversation (Conversation secrète) de Coppola (1974), Taxi Driver de Scorsese (1976) et Body Heat (La Fièvre au corps) de Kasdan (1981). [Film Noir –  Alain Silver & James Ursini, Paul Duncan (Ed.) – Ed. Taschen (2012)]

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Le Facteur sonne toujours deux fois (The Postman Always Rings Twice) – Tay Garnett (1946)

Comment se fait-il que ce soit un terme français, film noir, qui ait été adopté pour désigner un genre d’abord anglo-saxon et qui figure désormais dans le vocabulaire de tout cinéaste, quelle que soit son origine ?

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Il est d’usage de signaler la première apparition du terme : film noir dans un article du numéro 61, d’août 1946, de L’Ecran français. Sous le titre : « Un nouveau genre policier : l’aventure criminelle », Nino Frank définissait ainsi quelques films américains, venant de sortir en France, qui lui semblaient montrer autrement la violence physique et les actes criminels.

La réponse réside dans la richesse et la complexité du mouvement. L’expression fut inventée par des Français, toujours fins critiques et grands amateurs de culture américaine. Elle fit son apparition dans des critiques de films presque immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sous l’Occupation, les Français avaient été privés de films américains pendant près de cinq ans. Lorsqu’ils purent en voir à nouveau à la fin de 1945, ils remarquèrent que les ambiances mais également les sujets étaient devenus plus sombres que dans les années 30. Les critiques Nino Frank et Jean-Pierre Chartier commencèrent à publier des articles sur ces films dès 1946. [Film Noir –  Alain Silver & James Ursini, Paul Duncan (Ed.) – Ed. Taschen (2012)]

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Tour à tour insolite, angoissant, érotique ou cruel, le film noir a créé un malaise spécifique et marque notre époque. D’étranges figures ont surgi des bas-fonds : tueurs italiens, gangsters névrosés, tigresses blondes ou chefs de bande racés, lucides et redoutables. Pour toute une génération, le couple Laureen Bacall-Humphrey Bogart restera comme le symbole même de cette érotisation de la violence. Mais, tout compte fait, que valent ces films ? La série noire n’a-t-elle été qu’une distraction ? Et ne dépasse-t-elle pas ce plan de l’esthétique pour devenir un témoignage involontaire sur une société ? Quelques-uns des plus grands réalisateurs de Hollywood ont tourné des «thrillers». Ces œuvres ont-elles gardé leur pouvoir de suggestion ? Et le recul du temps n’accuse-t-il pas déjà certains poncifs ? Raymond Borde et Étienne Chaumeton répondent à ces questions. [Flammarion]

En 1955, bien avant que le film noir soit débattu dans un ouvrage ou un article anglophone, Raymond Borde et Étienne Chaumeton rédigèrent la première grande étude sur le sujet, Panorama du film noir américain. Les jeunes critiques/cinéastes de la revue Les Cahiers du cinéma (Claude Chabrol, François Truffaut, Jean-Luc Godard et Éric Rohmer, entre autres) reprirent le flambeau à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Ils analysèrent l’œuvre de spécialistes du genre tels que Nicholas Ray, Robert Aldrich, Fritz Lang, Jacques Tourneur, Robert Siodmak ou Anthony Mann.

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Les Américains ne prirent le train en marche que lorsqu’une nouvelle génération de cinéphiles entra dans les écoles de cinéma à la fin des années 1960. Se rebellant contre les canons de l’histoire du cinéma américain que voulaient leur imposer des critiques comme Arthur Knight ou Lewis Jacob, ces étudiants trouvèrent l’inspiration dans des classiques négligés du film noir tels que : Double indemnity (Assurance sur la mort)Out of the past (La Griffe du passé)T-men (La Brigade du suicide)Detour, Criss Cross (Pour toi, j’ai tué), Gun Crazy (Le Démon des armes), Touch of evil (La Soif du mal), In a lonely place (Le Violent), The Reckless moment (Les Désemparés) et Kiss me deadly (En quatrième vitesse). [Film Noir –  Alain Silver & James Ursini, Paul Duncan (Ed.) – Ed. Taschen (2012)]

Le début des années 70 fut marqué par la publication de plusieurs essais en anglais sur le film noir, parmi lesquels « Peignez-le en noir, l’arbre généalogique du film noir » de Raymond Durgnat et « Notes sur le film noir » de Paul Schrader. Toutefois, quand parut enfin en 1979 la première étude approfondie du genre en anglais, Film Noir : An Encyclopedic Reference to the American Style, le terme « film noir » était encore largement inconnu aux États-Unis en dehors des écoles de cinéma. Ce ne fut qu’avec l’essor d’un mouvement néo-noir dans les années 1980 que la presse grand public s’empara de l’expression. [Film Noir –  Alain Silver & James Ursini, Paul Duncan (Ed.) – Ed. Taschen (2012)]


Genre mythique d’une exceptionnelle richesse, le Film noir américain a donné naissance, depuis plus d’un siècle, à des figures légendaires et d’innombrables icônes. Créateur du Cinéma de minuit et spécialiste du cinéma américain, Patrick Brion propose une somme encyclopédique unique de plus de 1100 films noirs, produits aux États-unis de 1912 à 1960. Un second volume couvrira la période des années 1960 à nos jours devrait paraître en fin d’année.


LE FILM NOIR : UNE INVENTION FRANÇAISE
C’est au cours de l’été 1946 que le public français eut la révélation d’un nouveau type de film américain. En quelques semaines, de la mi-juillet à la fin du mois d’août, cinq films se succédèrent sur les écrans parisiens, qui avaient en commun une atmosphère insolite et cruelle, teintée d’un érotisme assez particulier : Le Faucon Maltais (The Maltese Falcon) de John Huston (31 juillet), Laura d’Otto Preminger (13 juillet), Adieu ma belle (Murder, My Sweet) d’Edward Dmytrick (31 juillet), Assurance sur la mort (Double indemnity)de Billy Wilder (31 juillet).

L’AVENTURE CRIMINELLE par Nino Frank
Il est d’usage de signaler la première apparition du terme : film noir dans un article du numéro 61, d’août 1946, de L’Ecran français. Sous le titre : « Un nouveau genre policier : l’aventure criminelle », Nino Frank définissait ainsi quelques films américains, venant de sortir en France, qui lui semblaient montrer autrement la violence physique et les actes criminels. Il les désignait comme des oeuvres de psychologie criminelle et insistait sur leur manière d’exploiter brillamment un dynamisme de la mort violente. 

LE NÉO-NOIR, UN GENRE CONSCIENT DE SES RACINES (par Douglas Keesey)
Dans « film noir », noir a le sens de « sinistre », « redoutable » et « sombre »  comme l’évoque la célèbre citation de Raymond Chandler : « Les rues étaient sombres d’autre chose que la nuit.» Le « néo-noir » constitue un genre hautement auto référentiel et très au fait des conventions d’intrigue, des types de personnages et des techniques courantes associés aux films noirs du passé.

LE FILM NOIR DE SÉRIE B
De la série réalisée par Anthony Mann et John Alton pour Eagle-Lion entre 1947 et 1949 – Raw Deal (Marché de brutes, 1948), T-Men (La Brigade du suicide,1948), He Walked by Night (Il marche dans la nuit, 1948) et Reign of Terror (Le Livre noir, 1949) – au Gun Crazy (Démon des armes, 1950) de Joseph H. Lewis et au Killer’s Kiss (Baiser du tueur, 1955) de Kubrick, de nombreux exemples «classiques» de films noirs sont réalisés par des producteurs et des metteurs en scène indépendants disposant de budgets limités.

LES BEAUTÉS FATALES DANS LE FILM NOIR
Il est surprenant de lire, ici et là, que le film Noir est un genre exclusivement masculin, alors que la motivation du comportement de ses personnages est souvent le désir sexuel et que les drames y sont provoqués à cause d’une femme à la sensualité dévorante ou bénéficiant d’une beauté exceptionnelle.

DE SHERLOCK HOLMES AU FILM NOIR
Dans les années 1940 on vit apparaître sur les écrans le détective privé, solitaire, dur et très souvent en marge de la loi, chevalier sans peur dans un monde désormais dominé par la corruption. Ce personnage nouveau trouvera un terrain d’élection dans ce qu’on a baptisé « film noir ».

THE BIG SLEEP – THE MALTESE FALCON : NAISSANCE DU FILM NOIR (par Stéphane Michaka)
Un détective privé qui n’a aucun goût pour les orchidées est introduit dans une serre qui en regorge. Là, un vieux général aux jambes paralysées lui confie une enquête impliquant ses deux filles. Le privé est mis en garde : ces demoiselles en détresse n’ont guère plus de sens moral qu’on en trouve chez un chat. Le détective, un rien cynique, se nomme Philip Marlowe. Vous avez reconnu le début du Grand sommeil . Même détective, changement de décor : un bureau qui donne sur le Golden Gate Bridge. A travers une vitre en verre dépoli, notre privé aperçoit une silhouette spectrale. Encore une demoiselle en détresse. Elle vient supplier qu’on retrouve sa sœur. Le détective, un rien cynique, se nomme Sam Spade. Vous avez reconnu le début du Faucon maltais.



 

 


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